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Les rêves adolescents

Paris, Mai 2023

Je suis tombé dans la photo par hasard.

Que fait-on de ses rêves d'adolescent ? On les avale, on les vomit. On les ravale, et on oublie.

À 20 ans, je suis sur le point d'être diplômé d'une école de commerce que j'ai choisie pour être avec mes amis. Stage de fin d'études, marketing, réunions, stratégies pour des hôtels du groupe Accor. Et le week-end, je ne rêve que d'une chose : à la prochaine rentrée scolaire, je suis inscrit en 1ere année de Cinéma à Paris 8. Je vais être cinéaste.

Pourquoi nous pousse-t-on à poursuivre des études ? Pour assurer nos arrières. "Au cas où". Mais je ne veux pas assurer mes arrières. Si je tombe, je veux tomber en avant, la tête la première.

Ça a fait splash. Traumatismes de l'enfance, trop de drogues, dépression, thérapie. Mon derrière dans le canapé, une télécommande à la main.

À 25 ans, j'ai faim. Et pour payer les pâtes il faut bosser. Alors je commence par ceux qui prennent tout le monde : porte à porte dans des pavillons de banlieue pour vendre des alarmes. Toujours pauvre et en surpoids, mais au moins je suis bronzé.

De sauts de puces en CDI, j'atterris commercial pour un studio de... photographes. C'est là que j'ai pris le virus, hein ? Elle est bientôt finie cette histoire ? Nada. Rien. Je vendais des shootings, mais j'ai jamais touché un boîtier. En revanche, ça m'a servit plus tard, pour devenir professionnel.

Mon premier appareil photo m'était offert par les collègues d'EuroRSCG, alors que je m'étais fait lourdé avec une violence extrême. Pas la faute à Havas, mais à ma boss qui n'avait que moi pour passer ses nerfs et son incompétence. Les copains d'Euro, je vous ai pour toujours dans mon cœur.

Avec mon chèque cadeau en main, je m'avance dans les allées de la FNAC des Ternes. Et là, devant moi... un Pentax K200. La liberté retrouvée. Et les rêves d'adolescents qui remontent à la surface. La suite, dans cette vidéo :

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À la recherche du meilleur cacao au monde

Voulez-vous goûter le meilleur chocolat au monde ? C’est en ces termes qui paraissent toujours étonnants que commence mon aventure devant un carré de chocolat Équatorien. Est-il possible de déterminer quel est le meilleur chocolat du monde ? Tous les ans des scientifiques, gastronomes, chefs et des amoureux de chocolat se réunissent pour mettre en compétition des chocolats du monde entier. Ces mêmes scientifiques ont analysé les propriétés gustatives des différentes fèves de cacao qui composent ces chocolats et ont déterminé que parmi les 5 grandes variétés de cacao, la plus savoureuse et la plus riche gustativement se trouve dans la forêt tropicale sud-américaine à l’est de Quito en Equateur. S’il existe un meilleur cacao au monde qui permet de produire le meilleur chocolat au monde, je le trouverai sur ma route et je le goûterai.

« On arrive à la création des peuples que par les routes du ciel »
— René de Chateaubriand

C’est ainsi décidé et sûr de moi que je prends la route depuis Quito, en direction de la Cordillère des Andes. Cette route depuis Quito vers les plantations de Cacao de la communauté Santa Rita est un merveilleux parallèle des paradoxes de l’Equateur. Quito est dense, agité, parfois majestueux dans son cœur historique. Son identité est difficile à synthétiser, mélange d’architecture coloniale qui nous transporte dans l’Europe de la renaissance, d’une capitale vivante enclavée au coeur des montagnes, de rites africains importés par les bateaux remplis d’esclaves et de ce regard que je croise si souvent, le regard d’un montagnard qui parle peu parce qu’il manque d’air. Quito est à 3 200 mètres au-dessus du niveau de la mer, la moindre marche vous essouffle et depuis que je suis arrivé il m’est difficile de dormir ou simplement de m’acclimater à une vie normale quand chaque geste est un effort.

Je quitte donc Quito et son manque d’air vers ce qui constitue certainement la plus grande réserve d’oxygène de notre planète, la forêt Amazonienne qui déborde du Brésil vers l’est de l’Equateur. Je laisse derrière moi les 2 millions d’habitants de Quito pour un village de 800 personnes. J’abandonne le poids de notre histoire, de nos colonies et de nos guerres pour une tribu ancestrale où les légendes ont des centaines de milliers d’années.

En sortant de Quito, la route de montagne se transforme en quelques kilomètres. L’industrie périphérique de Quito disparaît comme par magie et laisse place à une montagne fascinante, totalement recouverte d’une végétation extrêmement dense, colorée d’un vert foncé qui est bien sombre dans cette journée sans soleil. Ce que je croyais être une brume est en réalité beaucoup plus grand, nous sommes au milieu des nuages, au plus haut point de notre route. A plus de 4000 mètres, nous traversons la Cordillère des Andes. C’est la route que créèrent les conquistadors espagnols à dos de cheval dans l’espoir de découvrir l’El Dorado, ces montagnes d’or que des équatoriens d’aujourd’hui disent avoir inventées pour éloigner l’envahisseur.

Sur l’autre versant, je découvre la forêt Amazonienne. Jusque là je trouvais déjà la végétation dense, mais je comprends très vite qu’ici il est impossible de faire un pas sans un coup de machette. Pendant notre descente chaque kilomètre semble abîmer la route, en quelques minutes nous avons basculé vers un chemin creusé par l’abandon, puis sur une simple piste en terre. Les quelques maisons qui bordent la route ne sont pas terminées, les murs n’ont ni fenêtres ni peintures. A l’approche du village de Santa Rita, je comprends que ce ne sont pas des maisons à l’abandon, mais un village en construction. La civilisation telle que je la connais est en train de sortir de terre. Et au bout d’un ultime chemin où notre voiture ne peut plus avancer, je mets pied à terre et serre la main de Bolivar, mon guide qui m’ouvrira les portes du mode de vie ancestral de sa tribu, les Kichwas.

“Au delà de ce rocher, c’est interdit”

Je suis accueilli dans un baraquement en bambou où les femmes préparent notre déjeuner. Quelques légumes et graines de Jacquier accompagnent un poisson mariné dans une large feuille de palmier. Une fois refermé, l'ensemble est posé sur un feu de bois recouvert de pierres qui réchaufferont nos plats. Tous ceux que je croisent m’accueillent avec un “Aly Puncha”, qui signifie “Que la lumière t’accompagne” et que mon hôte résume en “Bonjour”.

Devant notre poisson cuit, Bolivar m’explique qu’ici à Santa Rita les 800 hommes, femmes et enfants qui vivent sont “100% Kichwas et 100% producteurs de cacao”. Ils exportent dans 48 pays pour les marques de chocolat les plus prestigieuses. Bolivar ne me parle pas seulement comme un chef d’entreprise qui conquiert des marchés, il est vêtu du costume traditionnel imposé pour l’accueil des visiteurs étrangers. Il représente aussi une passerelle entre son territoire, son peuple, et le monde moderne.

Le cacao n’a pas toujours été une fève nécessaire à la transformation en chocolat. Pour les Mayas d’Amérique Centrale les fèves de cacao, l’écorce de l’arbre et la tisane qu’ils en tiraient permettait de combattre différentes affections. Le cacao était un produit précieux qui était réservé aux nobles et aux guerriers, c’était la boisson amère et épicée des dieux. Le cacao est devenu une passerelle avec l’Europe pendant la colonisation des Amériques en devenant le premier ingrédient du chocolat.

En quelques mètres, nous sommes sortis du village qui est la seule zone habitée d’un territoire préservé. Après un pont de liane sur une petite rivière chantante, la dernière hutte du village perchée sur un arbre et quelques pilotis borde un petit lac et domine la vallée. Bolivar m’explique que ce lieu est sacré et que la cabane sert au rituel des chamanes. Je comprends à demi-mot que lui-même devient guerrier chamane quand des visiteurs veulent expérimenter ce voyage spirituel. Bolivar serait un chef de village, guide, exploitant de cacao, guerrier chamane, tout à la fois ? En réalité, très peu de Kichwas s’aventurent jusqu’à la ville la plus proche, encore moins parlent convenablement espagnol. Bolivar est simplement ce lien avec le monde extérieur, pour chaque occasion.

Après une petite côte, la nature est luxuriante, brillante. Les dégradés de verts se perdent à l’infini avec les premiers rayons de soleil de la journée. L’horizon montagneux a disparu, nous sommes totalement entourés de feuilles et de branches sans que je puisse distinguer un arbre d’un autre. La forêt me semblait calme, elle est maintenant franchement bruyante. Les oiseaux, les insectes, quelques animaux que je vois remuer derrière des branchages rivalisent de cris ou de chants pour signaler notre présence.

Au plus haut de la colline, quelques rochers semblent hors de propos, comme posés là s’il était possible de les soulever, plus probablement expulsés il y a quelques millions d’années par un volcan éteint. Mais ces rochers ressemblent à des totems, on peut circuler autour. Bolivar me montre des inscriptions gravées dans la roche depuis 100 000 ans, du temps où les Kichwas étaient nomades, chasseurs et cueilleurs. Ce sont des symboles de fertilité pour les Kichwas qui marquent la fin du territoire. "Au-delà de ce rocher, c’est interdit. Là-bas, c’est le territoire d’une tribu avec qui nous n’avons pas de contact, franchir ce rocher serait vu comme un acte de guerre”.

Le meilleur cacao au monde

Devant ce rocher, à l’ombre d’immenses arbres qui tutoient le ciel, un cacaoyer. Chaque jour, les membres de la communauté de Santa Rita viennent recueillir à l’ombre de ces arbres géants des cabosses jaunes et rouges qui contiennent les fèves de cacao. Bolivar transperce le feuillage et attrape une cabosse. D’un mouvement rapide et calme il la transperce d’un coup de machette et révèle les fruits, les fèves, et un jus de cacao blanc et crémeux. Ce jus est fruité, suave, il nous apporte une fraîcheur nécessaire. Nous n’avons marché que quelques kilomètres mais l’humidité est telle que je suis déjà liquide de chaleur, je bois ce jus comme si ma survie en dépendait.

Une fois rafraîchit, j'observe le cacaoyer, ce petit arbre dont je peux toucher les branches en tendant le bras. Il paraît fragile, chétif par rapport aux arbres qui l’entourent, son bois semble délicat et précieux. J’apprends que cette variété de cacao tient son goût réputé de son mode de culture, cet arbre ne grandit qu’à l’abri de la canopée amazonienne, impossible d’en faire une culture intensive. Ce cacaoyer est dit “Nacional” par les équatoriens qui exportent en Europe et achètent les graines de cacao, pour Bolivar c’est la seule source de vie de sa tribu.

Pour moi, c’est une émotion incroyable. Ce jus de cabosse est mon Eldorado, ce goût précieux que je n’attendais pas. Je pensais explorer un monde d’épices et de saveurs boisées, je découvre un jus vivifiant et sucré. De retour aux abords du village, Bolivar prend une poignée de fèves séchées au soleil et me dit “nous allons faire du chocolat”. Je vais de surprise en surprise, alors que je croyais le chocolat réservé à des processus complexes de torréfaction et de conchage, je vais pouvoir transformer moi-même ces fèves de cacao en chocolat artisanal.

Les fèves de cacao sont chauffées sur le feu de bois qui a servi à notre déjeuner, elles sont ensuite épluchées de leur coque qui craquelle au-dessus du feu, enfin elles sont pilées dans un pot de roche volcanique. Les fèves concassées sont remises au-dessus du feu et mélangées avec de la “Panela”, un sucre de canne naturel, et de la Guayusa, une plante qui ne se trouve que dans cette vallée. Le mélange est chauffé encore quelques minutes et placé sur une feuille de Guayusa que je prends entre mes mains.

Le goût de ce chocolat artisanal est exceptionnel, une explosion de saveurs unique. La sensation est brute, comme si je goûtais à la forêt amazonienne elle-même. Je reconnais des fruits secs comme la noisette, par moment des notes florales, clairement fruitées, et aussi une épice d’un monde inconnu, alors que le sucre s’est transformé en caramel boisé. C’est une saveur incomparable, qui me renvoie instantanément à la raison de mon voyage.

Quelques années plus tôt, dans un hôtel à Paris, je découvrais le travail d’un pâtissier Français qui avait gagné les championnats du monde de pâtisserie. En lui parlant, je découvre que certains cacao proposent des saveurs plus intéressantes que d’autres, du fait de leur origine. J’ai depuis goûté des milliers de chocolats du monde entier, et le meilleur que je connaisse je le découvre à Quito, dans les locaux de Pacari. De Pacari je pars explorer leur plantations de cacao à Santa Rita et découvre la simplicité de la vie des producteurs de l’or brun. J’ai effectué le chemin inverse de ces fèves de cacao, jusqu’au cœur de la forêt amazonienne, pour trouver un arbre, une fève, une tribu et une culture uniques au monde. J’ai entre mes mains le meilleur cacao au monde, celui qui n’existera que pour un instant, le temps que je le savoure.

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New York, en pire

Times Square, sous la pluie, avec une valise de vingt kilos qui trotte derrière mon bras. Trois allers-retours pour trouver l'adresse, je vois le jour tomber et les lumières épileptiques se lever. Les touristes du monde entier, une publicité 3D haute comme un gratte-ciel, la fumée, le bruit et la fureur du capitalisme. Mac Donald's, Bubba Gump, TGI Friday, GAP, HBO, les bus, les taxis jaunes, les jongleurs et les super-héros, les flics qui me confirment que mon accent est incompréhensible. Tu parles d'une idée de prendre un bureau au centre du monde. J'arrive directement de l'aéroport, à peine le temps de déposer mes affaires à l'appartement de mes patrons, de retrouver rapidement notre avocat qui m'a détaillé les prochaines étapes de nos procédures, et me voilà en direction de notre filiale, désertée de son unique employée.

J'ai le costume de directeur du développement trempé. Paul Smith, Printemps de l'Homme, huit cents Euros sous la flotte. Je n'ai pas de parapluie, je pensais que le taxi me déposerait devant l'adresse exacte. À vrai dire, il l'avait fait, mais je ne l'ai compris qu'après une heure la tête en l'air à pester contre le système d'adresses de New York. Mon papier dit : "1247 Times Square-38th West". Je ne suis pas bien avancé : "Pardon madame. Ha oui de l'autre côté. Aïe âve you in ze belook." Un torrent d'énervement à chaque demi-tour. L'adresse est bien sur Times Square, mais l'entrée de l'immeuble est au début de la 38th Street, côté ouest donc. Maintenant que j'y suis, j'ai comme un doute. Je suis dans l'ascenceur, toujours la tête en l'air à regarder s'égréner les étages, je me demande : "Et s'il est là ? Je fais quoi ?".

Je me suis dit qu'il n'y avait rien de plus improbable. Quand on est pris la main dans le sac ou dans le pantalon, on ne revient pas sur le lieu du crime. Il s'était fait prendre la main dans les deux, il devait être loin en train de jouir de son argent volé.

Lui, je ne me souviens plus de son nom. Producteur de musique pour jeunes chanteuses de Rythm and Blues et amant d'Alice. Alice, elle, je la connaissais pour l'avoir vue une fois et virée dans la foulée. Alice travaillait pour la filiale américaine de la société Evenement International qui m'employait depuis trois mois à peine. J'étais arrivé pour développer de nouveaux événements, dans de nouveaux pays. Alors que je prenais mes marques dans mes nouvelles fonctions, on me demande mon opinion sur la filiale US qui perd trop d'argent chaque année. L'événement prestigieux de New York pouvait ne pas être rentable, il servait l'image de l'entreprise, mais le bateau prenait l'eau et risquait de faire tanguer toute la flotte.

Je ne fis alors qu'une simple demande d'accès aux données comptables de la filiale à la seule salariée qui y était détachée. Alice était Française, elle était entrée dans l'entreprise comme assistante et avait survécu en sept ans aux trois personnes qui avaient tenté en vain de prendre la direction de l'événement New Yorkais. En pratique, c'était Alice qui gérait la filiale. Les informations, je les recevais. Mais je ne trouvais jamais de quoi les vérifier. Ma seule source était Alice, elle pouvait me dire ou m'écrire ce qu'elle voulait, je voulais confirmer avec les fichiers sources. Puisqu'elle bottait toujours en touche, je suis allé jusqu'au plaquage pour arrêter de perdre du temps. Je voulais qu'elle m'envoie son disque dur de travail si elle ne pouvait m'y donner accès à distance.

Le disque dur était oublié, puis perdu, puis cassé. Il semblait avoir vécu mille vies depuis que je lui demandais de rentrer au bercail. Il est cassé ? Et bien soit. Envoie-le moi cassé. Je sais comment récupérer ces données. Mais Alice avait fui son domicile, battue par son compagnon. Elle pleurait, elle voulait rentrer en France. Et puis, non, ça allait mieux.

Je finis par recevoir en grandes pompes ce disque dur éreinté par les années de pertes sans profits. Illisible, je l'envoyais directement en pension dans le XIIIème arrondissement de Paris pour se retaper. Quand il eut recouvré ses esprits, je compris enfin pourquoi on voulait le réduire au silence : il connaissait un secret. Toutes ces années, il avait caché une double comptabilité, et même une double vie de sa propriétaire. La lecture de milliers d'emails et la récupération de fichiers effacés m'apprit beaucoup. Alice avait une société de production avec son petit-ami grand-escroc, elle soumettait à notre filiale qu'elle opérait des devis pour des prestations achetées par ailleurs bien moins chères. Les devis à valider ou les factures à payer arrivaient en bloc à Paris, mes patrons étaient toujours mis dans l'urgence et surtout, ils faisaient confiance. L'opération rondement menée, manifestement orchestrée par son amant, durait depuis au moins cinq ans avec des détournements colossaux, pas très loin des pertes selon mes estimations.

Petit curieux, le disque dur de la feuille me révéla également quelques vidéos de l'intimité du couple. La morale m'interdit d'en révéler ici les détails. Disons juste que si vous cherchez des objets à détourner de leur usage habituel ou avez toujours été curieux de certaines promotions que les hommes reçoivent dans leurs spams, vous auriez ici toutes les réponses. Apprendre à un disque dur à prendre l'avion et à parler sous la contrainte prend un peu de temps, voilà bien trois mois que j'étais dans l'entreprise et en un éclair je me retrouvais avec une filiale à retaper, une employée à licencier, un événement inconnu à relancer, à produire et à vendre dans une ville que je découvrais, sous la menace d'un brigand dont personne ne savait rien. Et par dessus le marché, j'étais trempé. Bienvenue à New York.

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[à suivre...]

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Maroc - Nouveau Départ

Sous un ciel de mille étoiles, le feu de camp improvisé crépite régulièrement au rythme d'une légère brise. Les flammes éclaircissent seulement les visages et les mains, les vêtements de notre groupe se fondent dans le sable des dunes qui nous entourent. Comment suis-je arrivé là ? J’ai complètement oublié et c’était bien le but de ce voyage. Abdou tourne ce visage buriné par les âges qui m’est devenu si familier, il m’observe transporté dans des rêveries puis me dit : “vous savez, ce n’est pas seulement de la musique, c’est une guérison”.

Sortir du cadre

Marrakech est le point de départ de ce fabuleux voyage. Quand je pose le pied sur le tarmac je ne suis pas vraiment arrivé au Maroc, ma tête est encore à Salvador ou je veux retourner et aux mille problèmes que j’ai laissés derrière moi à Paris. Les décisions qui viennent sont d’importance et je me trouve dans une situation inextricable, rien de ce que je puisse faire n’aura d’influence positive, aucune solution n’est acceptable. Dans ce genre de situation, j’essaye de m’extraire de l’équation, de méditer à une alternative. Je pars au Maroc avec l’objectif de changer de perspective. Quand il est urgent d’attendre, je sors du cadre, littéralement.

Partir est pour moi une meilleure option que d’attendre, Steve Jobs méditait en marchant, je médite en roulant. L’aventure du désert Africain est à peine à 3 heures d’avion du centre de l’Europe, c’est le chemin le plus court vers l’évasion. Rester allongé sur une plage ne m’a jamais reposé, j’ai besoin d’un mouvement visuel permanent, et rien de mieux que le road trip pour ça.

En Afrique du nord comme en Inde, quand les routes peuvent être des épreuves, rien n’est plus important que le chauffeur. Par chance Abdou qui se présente à moi entre le soleil de midi et le trafic coloré d’une capitale de la Méditerranée, a une personnalité joyeuse, entraînante.

S’il est le premier contact avec la route pour son passager, il est aussi le premier entremetteur à chaque étape. Autour d’Abdou les visages s’illuminent, ce qui peut paraître une complication se résout facilement. Une discussion commence par le traditionnel “sois le bienvenu” et se conclut par “bonne conti-nua-tion”, lancé presque en chantant. Abdou est chez lui partout après 30 ans sur la route. Docker, marin ou pilote, il a déjà eu mille vies et quand la population se fait rare il a le don de toujours trouver un ami improbable

Maroc, 2018 - Photo Genaro Bardy

Maroc, 2018 - Photo Genaro Bardy

Maroc, 2018 - Photo Genaro Bardy

Maroc, 2018 - Photo Genaro Bardy

Méditation

La route vers le désert est une poésie. Chaque virage annonce un nouveau verset, chaque arrêt donne le repos de la rime. Les décors sont changeants, de forme et de couleurs, ils défilent dans une rêverie de la fenêtre. Quelques kilomètres à peine en sortant de Marrakech, les montagnes du massif du Haut Atlas sont en ligne de mire. Les paysages se simplifient, la vie trépidante et luxuriante de Marrakech laisse place à une nature plus réduite entre les villages de montagne, dans une palette tricolore : le vert encore présent au printemps, le rouge de la pierre et de la terre, et le blanc des sommets qui semble ne jamais disparaître.

Les virages s’enchaînent, les pauses sont culturelles avec l’école coranique et la bibliothèque de Tamegroute et l'architecture spectaculaire d'Ait Ben Haddou. Je les laisse rapidement sur le bord de mon chemin, car l’extraordinaire se trouve après 2 jours de route. Une fois le haut Atlas franchi, la nature se transforme à une rapidité sidérante.

Après quelques jours, nous croisons une voiture… de temps en temps. Je commence déjà à oublier pourquoi je suis parti. En quelques kilomètres, l’horizon rectiligne s’allonge à perte de vue. Sur les bords de la route les couleurs sont des variations d’ocre et de jaune, la poussière apparaît plus dense. La montagne se transforme en canyon, la roche devient sable, le vent semble être le seul à partager la place avec le soleil. Des petits tourbillons de poussière jaune nous accueillent dans l’aride.

Maroc, 2018 - Photo Genaro Bardy

Maroc, 2018 - Photo Genaro Bardy

Maroc, 2018 - Photo Genaro Bardy

Maroc, 2018 - Photo Genaro Bardy

Monochrome

Le décor devient majestueux, les falaises monochromes, ocres, dominent une plaine de steppe jaune avec quelques rochers pour dessiner l’horizon. Puisque nous sommes seuls la plupart du temps, nous pourrions être des explorateurs d’une nouvelle planète rouge. Le chemin lui aussi se transforme, à vrai dire il disparaît complètement. Cette route ressemble probablement à ce que ressentiront un jour ceux qui découvriront Mars, c’est saisissant.

Seule l’expérience d’Abdou permet de se diriger, car les pistes prennent mille directions et il décide lui seul de notre chemin. Le 4x4 rebondit et tremble pendant ce qui me semble être des heures. Et puis, alors que je suis absorbé par la magnificence des canyons et de la roche qui nous entourent, les roues semblent perdre toute adhérence. Pendant quelques secondes, le véhicule pourrait aussi bien être un bateau. Les cailloux sont devenus du sable.

Un couple de nomades croise notre route, avançant à pied dans la steppe avec un âne chargé de provisions pour plusieurs jours. Quelques kilomètres plus tard, nous devinons une tente cernée de sable et de vent qui doit être leur destination.

Au fil des kilomètres, la roche disparaît. Des vagues de sable se forment et le désert océan nous entoure. J’ai l’impression qu’Abdou roule à une vitesse folle, plus aucune trace ne nous précède. “Nous sommes sur le Lac Iriki”, me dit-il.

Quand la pluie vient, c'est impraticable pour quelques jours, le temps qu’elle s’évapore, mais nous sommes bien au fond du lac, sur un plateau sans fin. Une cabane en forme de bateau est perdue au milieu des dunes. Dans le rétroviseur le soleil tombe entre deux montagnes au loin, le ciel devient orange derrière nous, pourpre devant.

Nous nous arrêtons quelques minutes pour observer une famille de dromadaires, le plus jeune marche à peine droit dans les longues pattes de sa mère. Ils ont trouvé le seul coin de verdure piquante que j’ai vu depuis des heures. La scène est fascinante, je sais que les dromadaires appartiennent à quelqu’un qui les regroupera bientôt, mais ils me donnent un vrai sentiment de liberté. Je sais qu’un jour je devrai rentrer, mais le moment est unique de simplicité et de beauté.

Lac Iriki - Maroc, 2018 - Photo Genaro Bardy

Maroc, 2018 - Photo Genaro Bardy

Maroc, 2018 - Photo Genaro Bardy

Maroc, 2018 - Photo Genaro Bardy

Le rituel Gnawa et la musique comme thérapie

Juste avant la pénombre, Abdou m’informe que nous sommes arrivés. Je sens bien que l’endroit est reculé, qu’il espérait arriver avant la nuit tombée. Les dunes de sable fin devant nous sont gigantesques, un jeune homme habillé d’un turban et d’une tunique blanche se tient là et dans un grand sourire nous accueille. “Sois le bienvenu”. En quelques mètres, qui paraissent plus longs quand les pieds s’enfoncent dans le sable, je me tiens devant une tente au pied de la plus haute des dunes. Mon hôte, que j’apprends être Qassim, me fait le tour du propriétaire, je suis étonné de ne pas voir d’autres campements, d’autres tentes, d’autres aventuriers.

Le plus jeune de mes hôtes prépare un feu qui grandit vite avec la brise qui s’est levée. La nuit vint, mais pas les ténèbres.Par chance je suis arrivé un soir de pleine lune, elle éclaire d’un voile bleu roi le sable et est entourée de millions d’étoiles. Après quelque repos mérité, le dîner est servi dans un décor impossible, avec tout le confort que l’on peut espérer.

Et alors que je crois avoir eu mon lot de scènes incroyables, un petit groupe d’hommes à la peau plus sombre arrive en file indienne depuis une dune. Deux d’entre eux tiennent dans leur mains ce que je sais être qu’une guitare, tous les autres des petites coupelles de métal dont je deviens vite curieux de l’usage. Avec le feu sur ma gauche, des montagnes de sable autour et une voie lactée au-dessus de la tête, je les observe parler dans leur langue vivace à Abdou qui nous a rejoint. Et après un silence que je n’ai vu qu’en religion, les coupelles de métal s’entrechoquent et commence une rythmique mélodieuse. Ce sont des instruments, des claquettes qui sont utilisés avec une grande douceur, sans soubresaut.

J’apprendrai par Abdou que la musique et les rituels Gnawas ont pour origine des cultes sahéliens adaptés par les descendants de musulmans Subsahariens au Maghreb. Ces pratiques on diverses origines Peules, Haoussa, Barnou, Foulani, Barma, Bambara, Wolof, Mandingue, Bozo, et d'autres tribus du Mali et du Burkina Faso… de ces régions où le désert du Sahara n’a jamais été une frontière pour ceux qui doivent le traverser. Ces peuples, souvent amenés dans la région par des marchands d’esclaves, ont dû se métamorphoser pour survivre, et adopter l'Islam comme religion afin d'assurer leur continuité. Leur musique est d’une rythmique que je n’avais jamais expérimentée, leurs chants paraissent mystiques.

Je comprends que les Gnawas sont une confrérie religieuse dont les pratiques sont avant tout thérapeutiques, y compris leur musique. Le moment n’est bien sûr pas à l’argumentation scientifique, je me laisse transporter par leurs chants en levant la tête vers le ciel.

Au petit matin, après une nuit de plomb avec le seul vent pour musique, je ne sais pas bien quel mal fut guéri, mais je me sens tellement mieux.

En gravissant la dune pour observer le lever du soleil au bout de cet océan de sable, je sens une énergie nouvelle, avec pour seul regret le devoir de rentrer un jour.

Maroc, 2018 - Photo Genaro Bardy

Maroc, 2018 - Photo Genaro Bardy

Maroc, 2018 - Photo Genaro Bardy

Maroc, 2018 - Photo Genaro Bardy

Maroc, 2018 - Photo Genaro Bardy

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Une histoire du temps qui passe

L’arrivée au Rajasthan est intense, à Delhi la vie est dense, compacte, il se passe toujours quelque chose devant mes yeux. En transit pour une journée avant de partir traverser le Rajasthan, j’ai à peine le temps d’être étouffé par cette ville bruyante, fumante de pollution avec ces milliers de regards que je croise. Dans nos vies bien réglées par un agenda je me laisse porter par le temps qui s’accélère en voyage. On ne peut jamais se calmer quand on voyage, c’est l’agenda qui dicte le temps. Récupérer son bagage, trouver un taxi, check-in, dormir, check-out, attraper un avion. Le temps est accéléré quand on ne l’observe pas.

Je débute ma traversée du Rajasthan par Jaipur, une autre mégacité qui n’est ici qu’une capitale de Province. A force de voir cette densité de poussière et les milliers de personnes dans les rues on se prend à croire que toute l’Inde est surpeuplée, qu’elle ne se calme jamais. Et puis, quand on pénètre dans le Jantar Mantar, commence un nouveau rapport au temps. Il ne me quittera plus de tout le voyage.

Photo Genaro Bardy - Udaipur, Rajasthan, 2015

Photo Genaro Bardy - Jaipur, Rajasthan, 2015

Photo Genaro Bardy - Varanasi 2015

Le temps mesuré

Le Jantar Mantar est un observatoire astronomique établi à Jaipur, construit à l’intention du gourou de Jai Sing II dans le but d’établir les thèmes astraux et de déterminer les moments les plus propices pour les grands événements, mariages ou déplacements. C’est également le plus grand cadran solaire au monde. Je suis personnellement au Rajasthan pour réaliser des photographies, pour ramener chez moi l’âme de ce qu’ai pu voir. Derrière mon boitier, j’ai déjà un rapport au temps différent du visiteur habituel de ces lieux, car le temps photographique est plus long. La composition photographique prend du temps, c’est un travail de recherche et d’observation en temps réel qui vous absorbe, on ne voit pas le temps défiler. Mais ce temps est prévu, j’anticipe toujours ce temps nécessaire à la prise de vues. Ici c’est le sujet qui m’absorbe et fait ralentir le temps.

L’architecture est gigantesque, treize cadrans solaires, un pour chaque signe astrologique et un monumental qui dicte l’heure au dixième de seconde près. Le soleil de plomb est bien présent et je peux suivre sur ces crans minuscules au sol les secondes défiler. Je n’ai jamais eu le temps aussi bien matérialisé devant mes yeux, dans cet édifice imposant et majestueux. La rêverie dure de longues minutes, la chaleur est étouffante et me rappelle le travail nécessaire pour la construction de cet édifice certainement sous ce même soleil. Mes photographies d’architecture me font explorer les courbes, les lignes de chaque cadran solaire, l’histoire de cet édifice devient le poids du temps.

Passé, présent, futur. En physique, les scientifiques expliquent que c’est la même chose. Mais pour vous, pour moi, pour nous, le temps avance dans une seule direction: depuis nos attentes, à travers l’expérience et dans notre mémoire. Cette linéarité est appelé la flèche du temps, et certains scientifiques croient qu’elle ne progresse de cette manière uniquement parce que nous sommes là pour l’observer passer. Avec mes photos je suis un observateur du temps, les photographies sont un hommage aux puissants rois du passé, aux travailleurs qui ont construit ces cadrans solaires qui matérialisent le temps présent. Un hommage enfin aux décisions prises à partir d’eux. Qui n’a jamais été sous la contrainte d’une limite de temps ?

Photo Genaro Bardy - Observatoire Jantar Mantar - Jaipur, Rajasthan, 2015

Photo Genaro Bardy - Observatoire Jantar Mantar - Jaipur, Rajasthan, 2015

Le temps séparé

Le temps est un rythme personnel. Ma prochaine étape de ce voyage intérieur me montrera qu’il est différent pour chacun, que d’autres peuples vivent dans d’autres temporalités. J’arrive à Pushkar, ville moyenne du centre du Rajasthan, prise entre les montagnes avec le désert de Thar à l’ouest et la région tumultueuse de la capitale Jaipur à l’Est. Au coeur de la ville se trouve un lac entouré de temples qui est le principal lieu sacré de l’hindouisme après Varanasi (Bénarès). Au moment de Diwali, principale fête religieuse Hindoue, des milliers de familles effectuent le pèlerinage vers le lac de Pushkar. Pendant plusieurs semaines c’est un flot continu qui se presse pour se baigner dans le lac de Pushkar, le pèlerinage est un passage obligé pour toute famille hindoue respectable, tout le monde voyage en groupe et passe du temps dans cette ville qui décuple de taille, les tentes s’empilent dans les champs de sable autour de la villes. Avec cet afflux de monde tous les ans, Pushkar est aussi devenu le plus grand marché aux chameaux et aux chevaux d’Inde, qui sont utilisés jusque dans les villes pour le transport et l’agriculture.

Le marché de Pushkar est un véritable voyage dans le temps, la scène est biblique. Sur deux collines au bord de la ville se succèdent les troupeaux de chameaux, de tous les âges. La troisième est consacrée aux chevaux. Je me promène dans des allées de sables qui paraissent hors du temps. Les enclos éphémères sont en bois, bordés des tentes des propriétaires. C’est un émerveillement de tous les instants mais les animaux sont considérés comme des marchandises, déplacés ou montrés sans ménagements. Les hommes qui vivent ici sont avec les animaux en permanence, jour et nuit. Les collines sont animées, prises dans la poussières, l’odeur des animaux est prenante à chaque instant.

Photo Genaro Bardy - Foire de Pushkar - Rajasthan, 2015

Je passe deux jours dans cette immense foire, sans m’en lasser, tellement la variété de spectacle qui se présente devant moi est infinie, l’excitation est immense. Au détour d’un chemin de sable je vois un attroupement rassemblé, pas un seul touriste ne l’occupe, je comprends assez vite que ce sont des acheteurs qui se pressent pour une démonstration de chevaux. Les chevaux sont des Marwelis, cette race de chevaux courts et vifs qui paraissent tout de même puissants. Je suis au coeur du cercle qui s’est formé, observé sans hostilité par la foule alentour.. Et alors que j’ai posé mon genou à terre pour attraper mon appareil dans mon sac posé à mes pieds, au ras du sol, je vois un cheval plus nerveux que les autres se présenter devant nous. Son propriétaire l’excite sur le côté et son assistant qui tient le cheval a du mal à le contenir. Le cheval se cabre à plusieurs reprises, son mouvement est lent, puissant, et me paraît durer une éternité, je déclenche au moment où il est le plus haut, alors qu’il cache parfaitement le soleil pour une photo qui restera la plus belle de ce voyage.

Photo Genaro Bardy - Foire de Pushkar - Rajasthan, 2015

Ce matin je suis arrivé sur la foire de Pushkar avant le lever du soleil et j’ai profité d’un Chai, ce thé Indien très fort auquel ils ajoutent du lait, sur ce petit restaurant fait de bois et de tôle. Je regarde les allées et venues de cette foule de marchands qui se presse à l’aube d’une journée que chacun espère prospère. Je suis soudain harangué par un petit groupe qui entretient un feu à même le sol, et qui à forces de gestes et de sourires, m’invite à partager leur thé.. Avec cette curiosité réciproque qu’engendre la différence de nos vêtements, nous discutons de cette vie qu’ils mènent, si loin de la mienne. Nidhish m’explique qu’ils sont semi-nomades, qu’ils passent six mois de l’année sur la route à vivre sur les foires successives où ils font commerce de leurs chameaux. Une année coupée en deux, à nouveau je suis transporté par ce rapport au temps si différent de ces hommes qui vivent au rythme du soleil la moitié de l’année.

Photo Genaro Bardy - Foire de Pushkar - Rajasthan, 2015

Le temps spirituel

Continuant à mon tour mon propre nomadisme, je passe près d’un mois sur la route, entre le lac d’Udaipur, la ville bleue de Jodhpur, la ville dorée de Jaisalmer et le désert de Thar, mais rien ne pouvait me préparer au festival de Chandrabhaga. Jhalawar est une petite ville du sud-est du Rajasthan que l’on ne rejoint pas facilement, les routes y sont accidentées. Comme toutes les villes que j’ai croisées elle paraît surpeuplée, mais les bâtiments n’ont pas plus d’un étage et on sent la nature bien plus présente aux abords de la ville.

Une fois par an au coeur du mois de novembre, à la première pleine lune après Diwali, des dizaines de milliers de familles se rassemblent à Jhalawar pour le festival religieux qui mène à la rivière sacrée de Chandrabhaga. Le jour dit est appelé “kartik purnima”, tout ce que la ville compte de Folklore se rassemble dans une procession immense. La fanfare devance les danseurs traditionnels, des jeunes femmes en saris multicolores, les chevaux de la ville décorés de leurs plus belles parures. Je cours le long de cette procession pour tenter de prendre des photos mais suis pris dans le tourbillon de la foule.

Photo Genaro Bardy - Festival de Chandrabhaga - Jhalawar, Rajasthan, 2015

De part et d’autres dans les petites rues de Jhalawar des centaines de milliers de personnes se sont amassées pour les voir passer, applaudir et chanter. Les danseurs locaux m'entraînent dans leur pas, je passe mes caméras en bandoulière et les suis pendant une demi-heure de danse. Les sourires sont partout et la joie transperce la ville dans une ferveur indescriptible. Cette fête est une ivresse, elle se terminera de la plus belle des manières.

Photo Genaro Bardy - Festival de Chandrabhaga - Jhalawar, Rajasthan, 2015

En allant vers l’avant du défilé j’ai la chance d’arriver parmi les premiers à la rivière de Chandrabhaga. Au milieu d’un temple qui semble en ruine coule la rivière avec quelques pontons de fortunes. Les gens s'amassent et se pressent mais tout le monde semble calme. Le pèlerinage amènera chacun d’eux à se baigner dans la rivière pour accomplir le rituel dans les jours qui suivent, mais le jour de “Kartik Purnima" personne ne se baigne. Les femmes ont préparé des petits radeaux de bougies qui sont lancés un à un dans la rivière au moment où la nuit tombe, sous un ciel seulement éclairé par la pleine lune. La foule entière est en prière dans une communion saisissante, mes photographies deviennent une méditation.

Photo Genaro Bardy - Festival de Chandrabhaga - Jhalawar, Rajasthan, 2015

Photo Genaro Bardy - Festival de Chandrabhaga - Jhalawar, Rajasthan, 2015

Le temps qui reste

Le temps s’est-il arrêté ? J’ai le sentiment d’avoir passé une année au Rajasthan, d’avoir vécu tant de bouleversements. Ma mémoire fourmille de ces centaines de moments, mais grâce à la photographie je garde quelques instants. Par une seule image je cherche à la fois à contenir le mouvement du lieu et l’histoire de mon sujet. La prise de vue est un instant magique, une bonne photo requiert une concentration totale vers son sujet, une projection de soi-même dans une scène et en même temps un instant unique, furtif. Le rapport au temps du photographe est une quête éternelle, ou l’on essaye d’arrêter le temps et de le donner à voir aux autres. Croyez-moi, au Rajasthan on ne voit plus le temps qui passe, on fait partie du temps qui reste.

Photo Genaro Bardy - Pushkar, Rajasthan, 2015

Photo Genaro Bardy - Jaisalmer, Rajasthan, 2015

Photo Genaro Bardy - Jaipur, Rajasthan, 2015

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