La Permission en Photographie de Rue
Ai-je besoin d'une autorisation écrite pour publier la photo d'un inconnu sur les réseaux sociaux ? Et pour l'exposer ou commercialiser ? Est-ce que je serai poursuivi si j'utilise cette photo que j'ai prise ? D'une manière générale, a-t-on le droit de "voler des photos" ? Ou plutôt, doit-on demander la permission avant de prendre une photo dans la rue ou dans un lieu public ? Ces questions sont tout à fait légitimes et extrêmement fréquentes chez les photographes qui débutent dans la pratique la plus fascinante à mes yeux et en même temps la plus facile à commencer : la photographie de rue.
J'évoquerai ici ma manière personnelle de pratiquer la photographie de rue, ce qui ne constituera en rien une règle ou une obligation. Si vous êtes curieux sur le cadre légal de ce que vous pouvez faire ou ne pas faire, soyons très clair : vous avez le droit de prendre des photographies d'inconnus dans un lieu public, d'exposer et de commercialiser ces photos sans demander la permission. Si vous voulez savoir pourquoi je vous invite à lire cet article qui en détaille les raisons :
Vous n'avez donc aucune obligation de demander la permission pour prendre des photos, même si ces personnes sont reconnaissables. Mais à mon avis, ce n'est pas parce que vous n'êtes pas obligés que vous ne devriez pas le faire de temps en temps.
Demander la permission par écrit
Dans un lieu public, que la personne soit reconnaissable ou non, demander la permission par écrit est absurde. Voir l'article mentionné plus haut. Si vous travaillez avec un ou une modèle (professionnelle ou amateure), pour une photographie mise en scène et dirigée, alors oui cette permission écrite est indispensable. Mais on ne parle plus ici de photographie de rue.
Demander la permission pour s'approcher
Le principal enjeu dans cette demande de consentement à être photographié est pour moi d'abord un moyen de m'approcher au plus près des personnes que je souhaite photographier. En allant demander la permission et en expliquant ma démarche, je m'approche à une distance raisonnable pour dire à cette personne qui m'intéresse : "je suis photographe, je suis en train de photographier [ceci ou cela], est-ce que je pourrais faire un portrait de vous ?". J'ai toujours mon téléphone de prêt pour montrer une série de photos ou mon compte Instagram ´pour rassurer sur la nature des photos que je produis.
Je n'arrive pas à être en permanence discret, et lorsque je croise quelqu'un qui m'intéresse pour une raison ou une autre, je suis parfois instantanément repéré comme photographe. Je procède alors ainsi et vais parler à la personne en question. Quand je me dirige vers elle, je peux toujours prendre des photos qui seront naturelles. Et lorsque je commence mon portrait, c'est à moi de mettre mon sujet suffisamment à l'aise pour que les attitudes soient naturelles, je peux aussi cadrer de manière à ce que la photo ne ressemble pas à un portrait classique "posé".
S'approcher en photographie de rue est pour moi la principale difficulté qui repousse les photographes qui débutent dans cette pratique. Demander la permission et probablement le meilleur moyen de s'habituer à aller vers les autres, et donc de s'approcher.
Demander le consentement pour être respectueux
Quand je photographie dans un lieu public, je cherche parfois à être discret pour être vu le plus tard possible, mais je met un point d'honneur à toujours être transparent sur ma démarche et sur le fait que je suis en train de photographier.
Si je suis vu ou si l'on me pose la question, j'explique ce que je fais. Je sais que je suis dans mon droit quand je photographie ainsi, mais je tiens à être respectueux des personnes qui deviennent mes personnages. Par exemple, j'essaye de ne jamais prendre en photo des personnes qui seraient dans une situation difficile. Si je n'aimerais pas être pris en photo ainsi, je ne déclenche pas.
De la même manière, je veux toujours expliquer ma démarche de photographe lorsque l'on m'en donne l'occasion. C'est d'abord une histoire de respect. Je sais que certains n'ont aucun problème avec le fait de prendre une photo et de partir sans rien dire, personnellement je préfèrerai toujours le dialogue. Ceci étant, je rentre parfois dans un dialogue conflictuel où la personne refuse obstinément que je garde une photo déjà prise. Je met aussi un point d'honneur à ce que mon travail soit respecté et à expliquer le cadre légal qui me permet de garder cette photo.
Comme vous le voyez, j'ai beau parler de respect je suis plein de contradictions. Mais par principe, je préfère toujours un dialogue et une rencontre pour essayer de mieux comprendre les personnes que je photographie.
Demander le pardon
Plus ma pratique de photographie de rue évolue, moins je demande la permission avant de prendre une photo. En réalité ce que je demande, c'est de garder une photo qui a déjà été faite. Plutôt que de demander la permission, je préfère demander pardon.
Demander la permission est un bon exercice pour un photographe débutant, essentiellement parce qu'il a besoin de s'habituer à se confronter aux autres. Mais ce que j'ai constaté avec les années de pratique, c'est simplement que mes photos sont meilleures si je m'approche, je déclenche et travaille ma scène au maximum avant d'être repéré, PUIS je demande la permission de garder les photos.
Savoir être chanceux
Tous les conseils que vous pourrez trouver pour améliorer vos photos sont acceptables, intéressants à explorer. Améliorer ses photos est une recherche fastidieuse. C'est aussi l'intervention de la chance. La chance suprême, magique. Pas le hasard. Une photo exceptionnelle est à la fois provoquée et imperceptible.
Ne cherchez pas trop à réaliser une image parfaite. Tous les principes que vous étudierez pour améliorer vos photos seront soudainement anecdotiques à la prise de vue, où le temps manquera toujours. La chance vous informera de sa présence si vous savez reconnaître des bonnes photos. La chance vous dira : "tiens, regarde". Comme une flèche en plein cœur, vous saurez. Mais uniquement si vous savez aussi reconnaître la chance et son intervention.
Pour provoquer la chance, travaillez vos prises de vue à l'édition en devenant le plus exigeant possible. Même si c'est impossible, essayez d'oublier le moment que vous avez passé et regardez vos photos pour ce qu'elles sont, pas pour ce qu'elles représentent seulement pour vous. Est-ce que ce que vous ressentez est effectivement présent et bien décrit par la photo ? Si vous avez un doute, c'est qu'il n'y a pas de doute : la photo est ratée.
Afin de laisser la chance vous informer de sa présence, vous devez être ouvert et capable de réagir à une action en mouvement perpétuel. Et vous devez apprendre à disqualifier une photo si la chance n'est pas intervenue.
Photo Genaro Bardy - Salvador da Bahia - Nov 2020
Photo Genaro Bardy - Salvador da Bahia - Nov 2020
Le mariage des coïncidences
La vie est souvent une comédie, et la photographie peut en révéler des scènes fascinantes par la juxtaposition. Je propose rarement des photos avec des scènes explicitement drôles ou avec des associations comiques. Quand je photographie dans la rue, je cherche à assembler, à lier des éléments qui sont sur différents plans ou qui coexistent dans le cadre.
Avec un peu de chance, un heureux hasard et l'habitude de la pratique, on peut juxtaposer et trouver un rythme ou un motif dans une photographie. À la prise de vue je n'ai pas le temps d'y penser, je fonctionne purement à l'instinct. Mais à l'édition rien ne me semble plus important que l'analyse et la recherche de moments synchrones.
Je me demande : est-ce que cette photo représente une harmonie ? Une tension ? Un conflit ? Parfois, je trouve des éléments ou des personnages qui se répondent sans le savoir.
Une juxtaposition est souvent un mariage de coïncidences.
Comment s'approcher en Photographie de Rue
S'approcher des inconnus que l'on rencontre en photographie de rue est l'une des choses les plus difficiles à accomplir dans tout type de photographie, pour une raison simple: la peur.
Quand nous débutons en photographie de rue, nous ne savons pas comment les gens vont réagir, nous ne voulons pas gêner ou être vus comme des intrus. Et surtout, cela peut sembler bizarre d'admettre que oui, nous sommes en train de prendre cette photo. Même si nous en avons le droit, même si c'est dans un lieu public, nous ne voulons pas ressembler à ce que certains prennent pour un voleur.
Alors pourquoi recommander de s'approcher de plus en plus de vos sujets en photographie de rue ? Pour une autre raison simple : l'empathie. Vous rapprocher de vos sujets vous permettra de montrer plus d'empathie dans votre photographie. On perçoit mieux ce que ressent le sujet dans ce type d'images. On se sent plus proche (duh!), plus intime, on peut tellement mieux comprendre la personne ou à la scène que l'on regarde. C'est vrai en portrait, c'est vrai pour toute photographie éditoriale, et c'est vrai en photographie de rue, où le sujet principal n'est pas la rue mais ceux qui la fréquentent.
Le photographe légendaire de l'agence Magnum Robert Capa a eu cette phrase restée à la postérité :
Si vos photographies ne sont pas assez bonnes, vous n'êtes pas assez près.
Robert Capa
Alors, comment vous rapprochez-vous des personnes que vous croisez en photographie de rue ? Vaincre cette peur est aussi l'un des thèmes principaux des ateliers de photographie de rue que je mène à Paris, Londres ou New York, et je voulais vous donner aujourd'hui 3 conseils que vous pouvez appliquer rapidement dans votre photographie.
Les photos sur lesquelles je m'appuie et que vous pouvez voir ici ont été prises la semaine dernière dans le quartier de Bonfim à Salvador de Bahia où je vis, mais vous pouvez appliquer ces principes n'importe où. Je vous montre dans la vidéo beaucoup de photos que je ne garderai pas, pour que vous puissiez voir à quel point il est possible de s'approcher.
3 conseils pour s'approcher en photographie de rue
Faites partie de la scène
Parlez aux gens, obtenez des informations sur ce qui se passe devant vous. Les autres vous verront en train de photographier mais si vous faites connaître votre présence, vous faites maintenant partie de la scène, vous devenez un personnage de l'histoire. Vous êtes le photographe.
Je ne suis pas quelqu'un qui reste silencieux ou neutre quand je photographie, je vais parler aux gens autant que je peux. Pour clarifier les choses, je ne parle pas tout le temps à tout le monde et la plupart du temps je prends ma photo et passe mon chemin. Mais si je veux me rapprocher, j'irai souvent parler aux gens et je demanderai simplement ce qui se passe.
Plus vous en saurez sur un sujet, meilleures seront vos photos. Si vous voyagez et que vous photographiez dans une nouvelle ville, demandez simplement aux personnes qui y vivent de vous raconter leur histoire ou celle du lieu, et continuez à photographier tout en parlant. Vous serez surpris par le genre d'images que vous obtiendrez ainsi.
Pour mieux capturer cette scène avec ce cheval abandonné, je suis simplement allé parler aux gens.
Ne ressemblez pas à un photographe
Si vous vous approchez très près des gens pour prendre des photos, cela vous aidera tellement de NE PAS ressembler à un photographe. Si vous ressemblez à ce que les gens pensent être un photographe professionnel, ils vous demanderont pourquoi vous photographiez et ils risquent de gâcher une scène simplement en étant conscient de votre présence.
C'est la raison pour laquelle les appareils compacts sont si populaires en photographie de rue. Si vous êtes discret et que vous ressemblez à n'importe qui, vous n'aurez généralement aucun problème à prendre des photos très près.
En ce qui me concerne, je suis un gringo à Slavador et mon portugais n'est pas parfaitement courant. Avec un appareil photo compact, je ressemble à un touriste et la plupart des gens ne font pas attention au fait que je prenne des photos.
Utilisez donc des appareils compacts, et éventuellement un sac photo très léger, évitez les gros reflex et les zooms. Quant à moi, j'essaye de ne prendre aucun sac. J'ai juste un Ricoh GRII et maintenant une Gopro sur la poitrine pour pouvoir vous montrer ma production.
Une bonne tête de touriste masqué
Commencez par demander la permission
Si vous avez trop peur de vous lancer et de vous rapprocher des gens, mon conseil serait de commencer par demander la permission. Si vous débutez en photographie de rue, commencez simplement par faire des portraits. Lorsque vous voyez quelqu'un d'intéressant, allez le voir, montrez votre appareil photo et demandez en souriant si vous pouvez faire un portrait.
Déjà, vous serez surpris du nombre de personnes qui seront simplement d'accord et vous demanderont probablement d'envoyer la photo. Ensuite, cela vous habituera à parler et à interagir avec des inconnus.
Lorsque vous avez fait cela plusieurs fois et que vous êtes plus à l'aise avec le processus, arrêtez de demander la permission avant de photographier. Commencez à prendre des photos pendant que vous approchez quelqu'un, si vous êtes repéré en train de prendre des photos, alors vous demandez la permission de photographier et de faire un portrait. Et juste comme ça, vous serez passé de l'autre côté du miroir, où vous serez très proches de vos sujets.
Quand vous serez à l'aise pour demander des portraits, arrêtez de demander la permission.
Pour aller plus loin :
Combien de bonnes photos sur une journée de photographie de rue ?
https://www.facebook.com/genaro.bardy.photographer/videos/353961449121316/
Photographie de rue à la première personne - Salvador de Bahia, Pelourinho
Combien de bonnes photos obtenez-vous en une journée de photographie de rue ? Cela va dépendre de la manière dont vous allez définir ce qu'est une bonne photo.
En ce qui me concerne, si je reviens d'une sortie en photographie de rue avec une seule bonne photo pour un projet, je m'estime heureux. Également, sur un voyage photo je suis heureux si j'ai une bonne photo par jour. Bien sûr, je ne parle pas de photos "convenables', dont je pourrais me servir pour un client.
Si je photographie pour un client, je produirai et enverrai beaucoup plus de photos acceptables, qui fonctionnent. Je serais un photographe très cher si je n'étais capable de livrer qu'une seule photo par jour à un client. Alors, comment j'arrive à ce ratio d'une bonne photo pour une journée de prise de vues ?
Je vois 3 différents niveaux de qualité en photographie :
Les photos qu'un magazine pourrait acheter. Ce sont des images professionnelles qui racontent parfaitement l'histoire d'un client. Ces images sont parfaites à bien des égards, elles servent simplement l'histoire d'un autre, que ce soit un client ou d'un média. C'est l'étalon basique pour analyser ses photos : demandez-vous "est-ce que je pourrais voir cette photo dans un magazine ?". Si la réponse est non, c'est que vous avez encore du travail.
Des images qui pourraient être dans un livre ou une exposition. Ce sont vos meilleurs travaux, les 10-15 images parfaitement conçues et qui fonctionnent entre elles. Ce sont les photos qui tiennent au mur et qui ensemble racontent une histoire ou un projet. Ce genre de photos, je suis content si j'en ai une par jour.
Le troisième et dernier niveau, ce sont les photos qui ont leur place dans un musée. Je ne pense pas que vous puissiez décider d'en produire. Ce sont des images avec une vie qui leur est propre, ce sont les autres qui vous demandent de les voir. La plupart d'entre nous n'en produirons probablement jamais, en tout cas ça ne me préoccupe pas plus que ça puisque je ne décide rien ici.
Alors quand je travaille sur livre photo, ce qui est le cas dans le petit film que vous pouvez voir plus haut, je vise le 2ème niveau. Les photos sur lesquelles je peux revenir avec plaisir, celles que je peux accrocher sur un mur. Si je ne suis pas à ce niveau là, je ne considère pas les photos pour mon livre.
Cette vidéo est tournée au Pelourinho, la vieille ville de Salvador de Bahia, où j'habite. J'y suis allé pour prendre des photos d'innombrables fois, c'est mon endroit par défaut où je traîne pour prendre des photos de rue. Et j'ai la chance d'avoir obtenu ce jour-là une photo parfaite pour mon projet, pour le livre sur lequel je travaille.
Photo Genaro Bardy
My Soul so Cool from the Bath of Light - Salvador de Bahia, Pelourinho - Sept 2020
Pour aller plus loin :
5 leçons de photographie avec Daido Moriyama
J'ai découvert Daido Moriyama quand je me suis intéressé à Tokyo, alors que je devais m'y rendre pour écrire une histoire et réaliser Desert in Tokyo. Daido Moriyama est certainement une des raisons de mon retour à la photographie de rue comme pratique dominante.
Daido Moriyama dit pratiquer la photographie "instantanée", qui est ce que j'ai trouvé de mieux pour traduire "Snapshot Photography". Icône vivante de la photographie de rue Tokyoïte, on ne compte plus les livres et expositions qui présentent le travail de Daido Moriyama. Cet artiste est une institution au Japon, littéralement à travers la fondation à son nom, tout en pratiquant la photographie qui peut paraître la plus simple à réaliser.
Ses photos semblent prises rapidement, sans chercher la complexité. C'est simple et pourtant percutant, chaque image est pensée et provoque une émotion décidée par son auteur. La photographie de Daido Moriyama montre une physicalité différente de tout ce que j'ai pu observer, dans la manière qu'il a de produire ses photos. Par bonheur, Daido Moriyama propose dans son livre How I Take Photographs de le suivre dans ses pérégrinations Tokyoïte dans 5 quartiers différents, où il détaille sa pratique et sa manière d'appréhender la photographie.
Toutes les citations présentées ici sont extraites de ce livre et traduites de l'anglais par mes soins. Je ne saurai trop vous recommander de vous le procurer si vous voulez commencer à explorer l'œuvre de Daido Moriyama.
À la lecture de How I Take Photographs, plusieurs fois je me suis dit que je n'oserais pas proposer ces photos dans un livre, qu'elles pourraient paraître banales. Et pourtant, en série elles donnent parfois une impression de légèreté, à d'autres moments une pesanteur presque morbide. C'est un monde que je reconnais, et qui est aussi absurde et dur à apprécier. Le monde de Daido Moriyama a quelque chose de simple et rassurant : il est aussi moche que dans mes souvenirs, et aussi beau que la vérité.
Voici 5 leçons de photographie par le grand maître Daido Moriyama.
Le moment accidentel
La photographie instantanée, c'est capturer un mouvement naturel, l'expression de ce qui se trouve devant vous. C'est comme pêcher au filet. Votre désir vous pousse à le lancer. Vous lancez le filet, puis vous ramenez ce qui s'est passé - c'est un moment accidentel.
(...) Prenez des instantanés sur vos trajets quotidiens. C'est un bon moyen de comprendre votre propre pouvoir d'observation sur les choses les plus communes. Prendre des photos, encore et encore, vous entraînera à devenir de meilleurs photographes. (...) Toutes les techniques que vous apprendrez dans la rue peuvent servir en photographie commerciale.
Daido Moriyama - How I Take Photographs
Je préfère nettement la notion de moment accidentel à celle galvaudée d'instant décisif. Une photographie est un accident, car même si je crois composer, anticiper ou vouloir une photographie, je ne sais jamais vraiment ce que donnera le déclenchement. Et je ne saurai certainement pas si l'idée furtive que j'ai eue et qui me poussa au déclenchement donnera une photo qui fonctionne. En photographie de rue, et probablement dans tout autre genre, une photo est un essai bien plus souvent raté que réussi.
C'est pour cette raison qu'il me semble essentiel de pratiquer un maximum dans son quotidien. Cela sert à mieux se connaître, mais surtout cela sert à expérimenter des cadrages, des lumières, des angles ou des points de vue. En tout cas, ce fut ma manière de progresser. Je sais qu'il existe des photographes qui déclenchent peu, je suis définitivement dans les pas de Daido Moriyama sur ce point, boulimique du déclenchement.
Photo Daido Moriyama
Photo Daido Moriyama
Photo Daido Moriyama
L'endroit où vous ne seriez jamais allé
Il y a quelque chose d'unique dans le quartier de Ginza, aussi élégant et luxueux soit-il. (..) Ginza est spécial, propose quelque chose de différent par rapport à des endroits plus rugueux, comme Shibuya ou Harakuju, et spécialement Shinjuku. On ne devrait jamais écarter quoi que ce soit par principe. Particulièrement avec la photographie, vous devez absolument tout essayer. Bien sûr, clairement, tout le monde a ses préférences, et personne ne peut tout aimer. Mais si vous êtes trop pointilleux pour essayer quelque chose de nouveau, vous finirez par passer à côté de l'essentiel.
Daido Moriyama - How I Take Photographs
Je suis un adepte de l'expérimentation, sur les sujets, les lieux, les histoires. Quand je suis bloqué, je me demande où je n'aurais jamais eu l'idée d'aller prendre des photos. S'y rendre est presque toujours une bonne idée.
Une section entière du livre How I Take Photographs est consacrée à Daido Moriyama qui prend la place du passager pendant ses voyages en voiture. Personnellement, je monte toujours à la place du passager quand je le peux. Je m'y sens comme un enfant dans une montagne russe. Je vais voir des choses que je n'aurais jamais vues si je n'avais pas décidé de les photographier. Des formes, des pancartes, des scènes, le monde pressé de partir ou de rentrer.
Il y a quelque chose de nonchalant et paresseux de laisser les photos venir à soi, de ne pas marcher pour aller les chercher. Il faut accepter ce qui vient vers soi, que ce soit des montagnes, des rivières, des autoroutes ou des scènes de rue.
Photo Daido Moriyama
Photo Daido Moriyama
Photo Daido Moriyama
Attention maximale
Je vois beaucoup de jeunes, je suppose des étudiants, avec un appareil à la main qui marchent dans la rue. C'est très bien, mais si vous prenez des photos de manière aléatoire, je ne pense pas que vous arriviez à ce qu'il y a de plus important, qui est d'avoir une compréhension de ce que vous faites, de ce que vous voulez capturer.
Avec un appareil, vous arriverez à faire passer une image ou une autre pour une photo, mais ce n'est pas suffisant, pas sans un minimum de conscience.
C'est pourquoi je dis toujours à mes étudiants de choisir leur sujet et de l'observer attentivement. Donnez d'abord votre attention maximale, et ensuite prenez une photo. Et prenez beaucoup de photos. Parce que vous ne verrez pas ce que c'est à moins de prendre beaucoup de photos.
Daido Moriyama - How I Take Photographs
La photographie de rue, ça démarre comme un diesel. Ça prend un moment pour se mettre en route. Et puis, par l'observation ou la sérendipité, on essaye un cliché. Puis un autre. Puis tiens, et si j'allais là. Oh cette belle lumière. Tiens, comme il est curieux lui. En donnant toute mon attention à la prochaine photographie, je rentre dans cette zone où je vois comme la première fois, où tout devient une image possible. Ce moment de conscience est comme une méditation, seul cet instant compte et je ne veux qu'une chose : voir ce que ça donnera si je déclenche.
Photo Daido Moriyama
Photo Daido Moriyama
Photos Daido Moriyama
Chercher une meilleure photo
Qu'est-ce que j'attends ? et bien... rien de particulier. Juste que quelque chose arrive, n'importe quoi vraiment. Je n'attends pas quelqu'un ou quelque chose de spécifique pour aider ma composition. Mais si vous attendez, peut-être que quelque chose arrivera.
Et ce n'est pas à propos de la lumière non plus. Il n'y a pas de problème avec la lumière - je le sais sans avoir besoin de le vérifier.
Je me concentre uniquement sur le moment. Je pense à chaque instant profondément. Comment est-ce que je vais prendre ces prochaines photos ? Peut être qu'un passant au premier plan serait meilleur ? Peut-être que j'irai dans l'embrasure d'une porte ? Mais je ne vais pas m'obséder avec ça. Je me demande toujours comment est-ce que je vais prendre les prochains clichés. Je considère mes options, et cherche une manière de réaliser une meilleure photo.
Daido Moriyama - How I Take Photographs
Attendre est presque toujours une bonne idée. Et chercher une meilleure photo est pour ainsi dire le seul moyen de la trouver.
C'est tout ce que j'ai à dire à ce sujet.
Photo Daido Moriyama
L'appareil n'a aucune importance
J'ai toujours dit que l'appareil que vous utilisez n'a aucune importance. (...) Regardez, si vous avez un reflex ou un appareil grand format entre les mains, vous allez inévitablement penser à votre composition. Avec un appareil compact, vous avez juste à viser et photographier. De plus, un appareil si petit a une qualité d'image étonnante. Si les appareils compacts n'étaient que des jouets, et que je n'obtenais pas une image de bonne qualité, je ne m'en serais jamais servi pour tout ce que je fais, ce serait seulement de temps en temps. Enfin, de toute façon je n'ai jamais aimé trimbaler des sacs, des appareils lourds ou des trépieds. Si un appareil est petit, léger, et prends de bonnes photos, et bien que demander de plus ?
Daido Moriyama - How I Take Photographs
C'est une évidence, chaque appareil aura une une incidence sur vos mouvements, il transformera vos prises de vues. Avec un appareil compact, je vise et je déclenche, c'est aussi bête que ça. J'obtiens une liberté de mouvement incomparable.
Photographier uniquement avec un appareil compact me donne une liberté maximale pour m'approcher de mes sujets. Si je n'ai pas l'air d'un photographe, tant mieux, la vanité n'a jamais donné de meilleurs clichés.
J'ai découvert avec l'acquisition d'un Ricoh Gr que Daido Moriyama avait participé à la conception du premier modèle argentique, et qu'il utilisait encore ces modèles, anciens ou récents. Ce n'est pas une surprise, et cela me conforte dans cette décision d'alléger toujours plus le matériel qui m'accompagne au quotidien.
Daido Moriyama dans ses oeuvres
Photo Daido Moriyama
Photo Daido Moriyama
À titre personnel, Daido Moriyama me donne en vie de toujours photographier plus. Plus de noir, plus de couleurs, plus de personnages, plus de mon quotidien, plus de rencontres urbaines de chair, de métal et de béton.
Tout ce qui m'importe est que ce qui est en face de moi soit intéressant ou non.
Daido Moriyama - How I Take Photographs
Pour vous procurer le livre How I Take Photographs , ça se passe par ici.
De tout vers soi
La photographie est un art analytique, contrairement à la peinture, l'écriture ou la musique.
Si vous écrivez, vous commencez par une page blanche. En peinture vous commencez par un canevas. En musique vous commencez par ce que vous voudrez, mais vous partirez de rien, ou d'une intuition.
Partir de rien et faire ce que l'on veut est merveilleux, vous pouvez ainsi façonner ce que vous souhaitez, et continuer à construire, étape par étape. Vous obtiendrez exactement votre vision. Vous pourrez ajouter, couper, effacer, mélanger.
La photographie en revanche, commence avec tout. Votre palette, c'est le monde qui vous entoure. Vous devrez le réduire à ce que vous souhaitez montrer. Dans le maelstrom de la vie et de toutes ces choses qui existent devant vous, vous devrez choisir ce qui provoque une émotion. Quelque chose provoquera le déclenchement, cela vous appartient et vous représente. Votre cadre en dira autant sur vous que sur ce qu'il montre ou cache.
Que voudrez vous montrer, transformer ou sublimer ? Votre photographie peut être monumentale ou triviale. La photographie est une sélection. Une fraction de seconde qui réduit, et montre une vérité. En photographie vous partirez de tout, et vous irez vers vous-même. Votre photographie sera en même temps une fenêtre sur le monde et un miroir.
La photographie est une intervention.
Photo Genaro Bardy - Out of Lockdown, July 2020
Photo Genaro Bardy - Out of Lockdown, July 2020
La photographie est l'expression d'un désir
Alors que j'étais en train de préparer le dernier module de formation du programme L'Étincelle, je tombe dans mes recherches deux fois sur la notion de désir en photographie, à quelques heures d'intervalle dans "On Composition and Improvisation" de Larry Fink et "How I Take Photographs" de Daido Moriyama.
Ces deux passages m'ont intéressé, chacun à leur manière. C'est donc l'occasion pour moi de vous les retranscrire et de partager quelques photos des deux remarquables photographes qui en sont les auteurs.
Larry Fink et l'immédiateté du désir
J'aime m'approcher, donner un sentiment d'intimité. Ce n'est pas seulement à quel point je suis proche de mon sujet, mais aussi à quel point je me sens proche. Le critique John Berger écrivait ceci dans son essai à propos de Caravage. Il suggère que son travail est à propos de l'immédiateté du désir, et je dirais que cela est également vrai dans mon travail. L'appareil photo peut faire ressortir un antagonisme ou le narcissisme intense du sujet. Le sujet peut faire l'amour à la caméra. Le sujet peut faire la haine à la caméra. Ils peuvent lui faire nombre de choses.
Ce que j'essaye de faire est de percer ce qui est hostile ou harmonieux dans notre relation et d'aller au cœur de ce qui crée cette énergie. Ceci implique d'être connecté à l'émotion ou à la sensualité. Je ne parle pas de sensualité comme un désir sexuel ou d'une répulsion à un niveau superficiel. Je parle des sens - tous les sens - du bout des doigts jusqu'au bout de la langue.
Larry Fink
Daido Moriyama dans ce monde inconnu et étranger
Quelles capacités sont les plus utiles à un Photographe de rue, dans ce monde inconnu et étranger ? [...] Bien sûr un œil aiguisé est fondamental. Et bien sûr vous devez être vigilant, sensible, réactif, à l'aise dans votre corps, pour pouvoir répondre aux stimuli autour de vous immédiatement.
Mais au-dessus de tout, vous devrez avoir du désir. Ce désir que le photographe doit sentir au moment où il déclenche. Si vous n'avez pas de désir, vous ne verrez pas ce qui est devant vous. Je parle du désir que l'on ressent au moment qui vous pousse à déclencher. Le désir est tout autour de nous, il y en a une quantité disponible gigantesque, infinie.
Il est important d'être vrai vis-à-vis de ce désir. Pour prendre une photographie qui est digne de tout cet intérêt et pleine de sens, vous devez devenir un avec ce désir quand vous déclenchez.
Daido Moriyama
Que serait la photographie, si elle n'était pas l'expression d'un désir de son auteur ?