5 Leçons de Photographie avec Bruno Barbey
Bruno Barbey est un photographe reporter et journalistefranco-suisse, né le 13 février 1941 à Berrechid au Maroc sous protectorat français et mort le 9 novembre 2020. Il fut membre de l’agence Magnum dès 1966 et membre de l’Académie des beaux-arts de 2016 à 2020.
Fasciné par le cinéma néo-réaliste italien, il débute en 1962 un essai photographique sur les Italiens, en séjournant pendant plusieurs semaines et à de nombreuses reprises en Italie. Ce qui lui donnera l'occasion de réaliser son premier livre et de rencontrer Henri Cartier Bresson et Marc Riboud.
Il serait difficile d'énumérer ici sa longue et brillante carrière, notons que Bruno Barbey est connu pour avoir photographié les révoltes ouvrières et étudiantes de Mai 68. Il a également photographié les émeutes étudiantes à Tokyo. En 1970, il réalise avec Jean Genet un reportage sur les Palestiniens, en 1971 et 1972, il couvre la guerre du Vietnam, notamment la bataille d'An Lộc.
Il amorce en 1972 un travail au long cours sur le Maroc, pays de son enfance, avec le désir de sauver une mémoire en train de se perdre. Plusieurs livres, avec des textes de Jemia et J. M. G. Le Clézio et de Tahar Ben Jelloun, en seront publiés dans les années 1990 et 2000.
En 2016, Bruno Barbey est élu membre de l’Académie des beaux-arts de l'Institut de France, en même temps que Sebastião Salgado et Jean Gaumy, à la suite de la création de deux nouveaux fauteuils dans la section de photographie, ce qui fait de lui un monument de la photographie Française.
La plupart des textes de Bruno Barbey cités ici sont issus du livre Magnum Histoires. Voici 5 leçons de photographie avec Bruno Barbey.
Apprenez à lire le rythme de la rue
Chaque culture propose un rapport à l'image différent, et cela aura des conséquences pour la ou le photographe qui travaille dans la rue ou dans des lieux publics. Je garde en mémoire mon premier séjour au Rajasthan, où j'étais interrompu régulièrement dans mes photos pour poser avec des passants ou des touristes Indiens qui cherchaient parfois à lier une amitié.
Ici à Salvador, quand je demande la permission personne ne refuse une photo, mais toutes mes rencontres commencent avec un pouce levé et un sourire béat. Je baisse l'appareil, je discute, je cherche à sortir la personne de la pose. J'essaye de trouver une attitude naturelle ou fidèle à ce que je perçois de la personne. Mais le rapport à l'image est très particulier, partout au Brésil et plus encore à Bahia. C'est alors difficile de retranscrire des ambiances et la vie du Nordeste qui se passe essentiellement en extérieur, dans la rue ou ailleurs, quand tout le monde cherche à poser dès qu'il voit un objectif. Pour d'autres raisons que Bruno Barbey, je cherche aussi à être discret, mais je m'expose à passer pour un voyeur ou un voleur de photos, ce qui est très mal pris par ceux qui s'en rendent compte.
En tout état de cause, ce que je retiens ici est le besoin d'adapter sa pratique photographique à la culture du lieu où l'on se trouve. Sans cette réflexion, on ne peut accéder qu'aux photos basiques vues mille fois ailleurs.
Se méfier de la compassion et des photos qui changent le monde
N'ayant pas le début du commencement de la moitié de l'expérience de Bruno Barbey, j'aurai du mal à commenter cette proposition. Cependant, j'ai également l'impression que la profession de photojournaliste a toujours été au coeur des bouleversements des médias, et ils ont étés permanents depuis que la photographie existe. J'ai le sentiment que chaque nouvelle génération de photojournalistes se réfère aux précédentes comme à un âge d'or utopique où les médias avaient de l'argent qui coulait à flot.
Oui, les temps ont changé. La photographie numérique a facilité l'accès à ce métier. Les réseaux sociaux ont donné la possibilité à certains photographes de devenir leur propre média, de distribuer directement leurs photos. Cela a aussi donné la possibilité je crois à beaucoup plus de monde de pouvoir vivre de la photo par des canaux nouveaux, avec de nouvelles manières de faire. Et je ne peux pas me résoudre à m'en plaindre. C'est ainsi, les manifestations ou les événements médiatiques sont couverts par beaucoup de photographes. La compétition est intense, parfois. Je vois cela comme une obligation à être original, à se remettre en question et à être toujours plus indépendant des clients ou des rédactions.
Je suis peut-être un doux utopiste, mais j'ai la conviction que si l'on travaille sur le sujet qui nous tient à coeur sans avoir de commande, si le sujet est bien traité, les photos exceptionnelles prennent leur indépendance et dépassent complètement le photographe. Une photo peut faire le tour du monde en une journée grâce à ces réseaux tant décriés, et si le photographe n'en tire pas toujours un profit direct, il a la possibilité aujourd'hui de profiter des conséquences et des opportunités que cela lui donne. En revanche, je suis d'accord avec Bruno Barbey, les photos qui changent le monde sont trop rares pour que cela puisse constituer un objectif.
Photographie de rue et droit à l'image
Je suis en respectueux désaccord. Les temps ont changé, c'est un fait établi. Il est certainement plus difficile aujourd'hui de pratiquer la photo de rue avec les problèmes que pose le droit à l'image. Mais le droit à l'expression artistique existe, même avec des personnes qui seraient reconnaissables sur les photos. Et le droit à l'image est un droit opposable. Cela veut dire que prendre la photo est autorisé. Vous ne vous exposez à un problème que dans le cas d'une diffusion qui porte préjudice à la personne photographiée, et c'est à elle de prouver ce préjudice.
La principale conséquence néfaste du droit à l'image est ce que certaines personnes croient savoir, y compris d'après mon expérience chez des personnes représentant l'autorité publique. Mais la nécessité de documenter le monde et l'expression artistique des photographes seront toujours pour moi plus importants que ces changements culturels qui font grincer les dents.
Connaissez votre droit et restez droit dans vos bottes. J'irais même jusqu'à dire que j'espère un jour un joli procès médiatique pour faire connaître ces problèmes. Mais les procès ne concernent, oh surprise, que ceux qui attaquent des médias en espérant un joli chèque au bout.
Travailler avec des écrivains
Je trouve fascinant de voir qu'un des photojournalistes les plus reconnus disent ne s'intéresser qu'à son travail d'auteur et d'artiste. Peut-être que travailler sur l'actualité, ou sur un sujet institutionnel, est surtout un moyen d'améliorer sa pratique. Mais l'objectif d'un grand photographe comme Bruno Barbey était d'être libre de travailler sur les sujets qui le passionnaient. Cette liberté était le fondement de l'agence Magnum, je crois que ces principes sont toujours d'actualités quand on voit les projets que les membres de cette prestigieuse agence mettent en avant.
La photographie est universelle
Voir vient avant les mots. Je n'avais jamais réalisé que la photographie était un langage absolument universel, compris de tous. Et il est certain que tout le monde peut comprendre la beauté transcendentale des photographies de Bruno Barbey.