Photographie de rue Genaro Bardy Photographie de rue Genaro Bardy

Comment appréhender les portraits de rue ?

Les portraits de rue constituent une pratique particulière de la photographie de rue. Pour moi, les portraits ont un rôle essentiel pour raconter l'histoire d'un lieu, de communiquer une atmosphère ou de développer une idée en s’appuyant sur des personnages qui en témoignent. Les portraits de rue sont également l’occasion de rencontres inattendues, j’ai rencontré certains de mes meilleurs amis en leur proposant quelques photos. Les portraits donnent aussi l’opportunité de raconter l’histoire d’une personne, d’offrir un point de vue sur le sujet qui vous intéresse.

Cependant, bien qu'il soit incroyablement gratifiant de réaliser des portraits dans des lieux publics avec des inconnus, il n'est pas toujours facile de réussir ses images, d’abord parce que le temps disponible est souvent beaucoup plus court. En effet, il se peut que les bons sujets et les bonnes compositions ne vous viennent pas naturellement, ou que vous vous sentiez mal à l'aise de photographier les personnes que vous croisez dans la rue.

Je vous propose ici quelques conseils pour vos portraits de rue, pour être plus à l’aise et que vous soyez en mesure de créer des images intéressantes et évocatrices.

Réussir ses portraits de rue : pensez à l’arrière-plan

La plupart des photographes se focalisent sur le visage et le corps du sujet et ignorent le reste de l'environnement, c’est une erreur majeure, la plus facile à résoudre. Même si votre profondeur de champ est réduite pour isoler votre sujet, vous devez faire attention aux effets de planéité et voir dans l’arrière plan ce qui interagit avec votre sujet ou perturbe la lecture de votre photo.

Les portraits de rue ont souvent un contexte, et un bon arrière-plan peut aussi mettre en valeur le portrait en montrant l'environnement qui aide à raconter l'histoire de votre personnage.

Réfléchissez à l'endroit où vous allez placer votre sujet et d’où vient la principale source de lumière, quand vous avez choisi observez l'arrière-plan. Demandez-vous quel est le meilleur cadrage et observez comment en vous décalant légèrement vous pouvez modifier l’arrière plan et le rendre plus harmonieux.

N'ayez pas peur de demander une photo à des inconnus

Photographier les personnes de près peut être intimidant lorsque l’on débute, mais vous constaterez assez vite que la plupart des gens sont heureux d'être pris en photo. Si vous débutez dans cette pratique, commencez par demander d'abord la permission. Soyez amical et expliquez ce que vous allez faire, ça se passera souvent bien. Il suffit de demander poliment : "Est-ce que je peux vous prendre en photo ?". La plupart du temps, vous obtiendrez un sourire ou un hochement de tête en retour. Être pris en photo est souvent vu comme un compliment quand vous demandez la permission.

Le portait, dans la rue ou non, c’est d’abord la relation que vous arriverez à établir, avec vos sujets. Soyez sympathique et vous rencontrerez majoritairement des personnes qui recevront votre proposition agréablement.

Réussir ses portraits de rue : quand le naturel prime

Une fois que vous aurez pris confiance dans votre pratique du portrait de rue, en demandant systématiquement la permission, vous pourrez passer à l’étape d’après : prendre des photos sur le vif en étant très proche de vos sujets. Si vous voulez capter des instantanés étonnants et naturels, c’est certainement la meilleure méthode, mais c’est aussi celle qui paraît la plus “tête brulée”, qui fait le plus peur.

Vous pouvez tout à fait commencer par prendre des photos, même très près, et ENSUITE demander la permission et reprendre un peu plus haut la méthode. Vous demandez si vous pouvez garder la photo, vous expliquez votre démarche, toujours avec le sourire et la manière la plus sympathique qui soit. Puis vous pouvez commencer une mini-séance de portrait avec la collaboration de votre sujet.

À mon avis, l'un des meilleurs conseils pour les portraits de rue est d'expliquer ce que vous essayez d'obtenir. Dites aux intéressés que vous voulez que le portrait ait l'air aussi naturel que possible, qu'ils doivent agir comme si vous ne les preniez pas en photo. Plus ils comprendront qu'un portrait est une collaboration, mieux ils poseront. Enfin, montrez le résultat et proposez-leur de leur envoyer les meilleurs clichés.

Photographie de rue et simplicité

Restez simples lorsqu'il s'agit de portraits de rue. Isolez les sujets, faites attention aux arrière-plans et utilisez des compositions simples.

Regardez attentivement la scène avant de déclencher. Contient-elle des éléments inutiles ? Un arrière-plan simple aiderait-il votre sujet à se démarquer ? Que pensez-vous de la composition générale ? Quelle est la valeur de plan qui est utilisée et que dit-elle de votre personnage ?

Supprimez les éléments inutiles d'une composition si vous les remarquez. Dans certains cas, il suffit de faire un pas de côté pour améliorer le cadre. Dans certaines situations, il faudra se rapprocher du sujet, s'en éloigner ou prendre de la hauteur.

J’espère que ces conseils vous ont aidé, vous ont détendu par rapport à cette pratique si particulière. Cette liste n’est bien entendu pas exhaustive, vous pouvez chercher des manière originales de composer vous-même vos portraits de rue.

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5 leçons, Photographie de rue Genaro Bardy 5 leçons, Photographie de rue Genaro Bardy

5 conseils en photographie de rue - Masters of Street Photography

La photographie de rue s’apprend d’abord par la pratique. Et si vous voulez avancer dans cette pratique, il me semble plus pertinent d’apprendre la symbolique, la théorie des couleurs ou à développer un essai, plutôt que des pures techniques qui sont vite apprises. Le livre Masters of Street Photography dont il s’agit ici présente les différents photographes selon le style de photos qu’ils adoptent : au flash, contrasté, noir et blanc… à la fin de chaque chapitre, les élément techniques de chaque photo sont inscrits. Je ne vois pas bien en quoi apprendre qu’une photo a été prise au 1/100ème de seconde plutôt qu’au 1/250ème de seconde est utile à quoi que ce soit.

Mais les chapitres sont également accompagnées d’interviews qui permettent au photographe d’expliquer mieux sa pratique. J’ai choisi ici 5 photographes et 5 conseils issus de leurs interviews respectives. Vous pouvez vous procurer le livre Masters of Street Photography en cliquant ici.

Soyez en empathie avec vos sujets - Melissa Breyer

Qu'est-ce qui vous a poussé à incarner des serveuses dans votre série The Watchwomen ?
Est-il important d'être en empathie avec vos sujets ?

« Il y a plusieurs vies, j’ai quitté la Californie et je suis tombé à New York, décrochant un emploi dans un petit restaurant de West Village. Je servaid aux gens des assiettes, leur versais du vin et m’occupais des tâches de service ; et dans les moments calmes entre les deux, j’ai permis à mon esprit de vagabonder. Mes rêveries allaient de peintures que je voulais faire à des conversations imaginées. Les rêveries étaient une merveilleuse façon de remplir les espaces creux pendant mes heures de travail. Maintenant, des années plus tard, chaque fois que je vois des femmes travailler dans des restaurants perdues dans leurs pensées, cela me rappelle ces rêveries. Je me demande, à quoi pensent-elles ? Quelles sont leurs histoires ? Mon imagination commence à créer des récits. Ces femmes sont bien plus que leur travail et je vois leur grâce et leur dignité même dans le plus petit des gestes. J’aime l’idée de figer le cadre - pour faire taire le cliquetis des assiettes et arrêter le dressage d’une table - pour les arracher à leur rôle de serveuses pendant une fraction de seconde et les présenter comme des acteurs dans des scénarios différents.

Pour moi, c’est l’empathie qui donne de l’intérêt aux photos - si nous sympathisons avec nos sujets, nous pouvons les montrer dans un contexte qui me semble juste et nous pouvons montrer leur dignité. Nous leur devons cela puisqu’ils nous servent de modèles à leur insu. D’une certaine manière, les photographes de rue sont des voleurs, avec des instants et des portraits de passants volés. La seule façon de se sentir bien à ce sujet est de s’assurer que nous le faisons avec intégrité - et il semble que l’empathie contribue à garantir cela. Je pense qu’il est assez facile de dire quand un photographe de rue manque d’empathie et que ses photographies semblent superficielles, ou même irrespectueuses. Les photos en disent plus sur le photographe que sur le sujet, et je ne veux jamais que mes photos soient comme ça. »
— Melissa Breyer

Photos Melissa Breyer

Cherchez des scènes originales - Sally Davies

Selon vous, quels sont les éléments clés qui font qu'une photographie de rue "fonctionne" ?

« J’essaie d’éviter les visuels trop utilisés. Il y a trop de photos de parapluies et de personnes passant devant des panneaux d’affichage. Moi aussi, j’ai été coupable de ça, mais on progresse au fur et à mesure. Les temps changent et nous devons changer aussi. Être juge dans quelques concours de photographie m’a montré ce qu’il ne fallait pas faire. Aussi étonnant que puisse être un coup de parapluie, ou une personne avec une longue ombre sur une allée pavée, il y en a trop dans le monde. Et oui, c’est la question que je me pose à chaque fois que j’appuie sur le déclencheur : « Le monde a-t-il besoin de cette photo ? » Parfois, la réponse est non, ce qui me pousse à regarder encore plus attentivement. »
— Sally Davies

Photos Sally Davies

La forme est au service du contenu - Dimitri Mellos

Beaucoup de vos photographies utilisent un fort contraste - quels défis cela crée-t-il et comment les surmontez-vous ?

« Plutôt que de considérer cela comme un défi, j’en suis venu à l’apprécier comme une opportunité. Le fait que sur une photographie vous ne puissiez pas exposer correctement toutes les zones d’une telle scène atteste de la grossièreté de notre équipement photographique par rapport à nos yeux : nos yeux peuvent voir des dégradés et des détails sur toute la surface, mais avec un appareil photo, vous devez soit exposer pour les zones claires ou pour les ombres. Au début, j’ai pensé à cela comme une limitation et un défaut, mais ensuite j’ai reconnu les possibilités esthétiques que cela ouvre. Il y a quelque chose d’émouvant et d’inquiétant dans une image où des visages semblent émerger d’un vide noir, par exemple. En général, je pense qu’il est libérateur de travailler dans les limites d’un support spécifique et de les plier à des fins créatives plutôt que d’essayer de les contourner. Bien sûr, il existe également des risques et des défis inhérents à l’utilisation d’un dispositif formel prononcé comme celui-ci. Plus que tout, il faut toujours se méfier du danger de dériver vers un maniérisme vide de sens ; la forme doit suivre le contenu. »
— Dimitri Mellos

Photos Dimitri Mellos

Aimez l’expérience autant que les photos - Ed Peters

Qu'est-ce qui vous attire dans les images complexes ?

« Déjà, le monde est un endroit complexe. Comme la plupart des gens, j’essaie de lui donner un sens du mieux que je peux, donc je suppose qu’à un certain niveau, vous pouvez interpréter mon travail comme une tentative métaphorique de poser des questions sur les situations confuses dans lesquelles nous nous trouvons tous. À un autre niveau, cependant , je pense que mes photos peuvent être appréciées sur des termes plus formels. Pour moi, l’arrangement du sujet d’une image, dans une composition élégante, offre ses transmet ses propres messages. Bien que la photographie de rue puisse parfois être frustrante, il y a aussi l’expérience joyeuse à attendre lorsque tout se passe bien. Je soupçonne la plupart des photographes de rue d’aimer le processus de création presque autant que les résultats finis. Le fait est que j’aime marteler le trottoir en prévision de ma prochaine bonne photo et je suis excité quand je la trouve. »
— Ed Peters

Photos Ed Peters

Ne demandez pas la permission - Marina Sersale

La photographie de rue peut être intrusive - avez-vous déjà eu l'impression d'envahir la vie privée d'une personne, et cela vous importe-t-il ?

« Je suis d’accord que ça peut être intrusif, et c’est définitivement quelque chose qui compte pour moi, mais en même temps je trouve ce qui se passe dans la rue très intéressant et très inspirant. Je me rends compte que lorsque je photographie des gens dans la rue, je le fais sans leur permission et la plupart du temps sans même qu’ils le sachent. Certaines personnes peuvent penser que ce n’est pas bien, mais pour moi, la limite est de ne pas de photographier des personnes en détresse - je ne suis pas photojournaliste et je ne suis pas payé pour le faire. À part ça, je ne vois pas pourquoi je ne photographierais pas les gens dans la rue. »
— Marina Sersale

Photos Marina Sersale

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Inspiration Genaro Bardy Inspiration Genaro Bardy

11 citations sur la photographie de rue - Streetwise

11 photographes, 11 citations, 22 photos issus du livre Streetwise de l’agence Magnum. Difficile de commencer par quelqu’un d’autre :

Henri Cartier Bresson

« C’est une illusion de croire qu’une photo est faite avec un appareil... Elles sont faites avec l’œil, le cœur et la tête »
— Henri Cartier Bresson

Mexico, 1963 - Henri Cartier Bresson - Magnum Photos

Mexico, 1963 - Henri Cartier Bresson - Magnum Photos

Gueorgui Pinkhassov

« La seule chose qui compte est la curiosité »
— Gueorgui Pinkhassov

Gueorgui Pinkhassov / Magnum Photos

Gueorgui Pinkhassov / Magnum Photos

Herbert List

« Les photos que j’ai prises spontanément étaient souvent plus puissantes que celles que j’ai composées avec soin. J’ai saisi leur magie juste en passant »
— Herbert List

Herbert List / Magnum Photos

Herbert List / Magnum Photos

Christopher Anderson

« Je recadre de manière conséquente, pour éliminer toute information de contexte. J’essaye d’être conscient émotionnellement des personnes que je photographie »
— Christopher Anderson

Christopher Anderson / Magnum Photos

Christopher Anderson / Magnum Photos

Sergio Larrain

« Ne forcez jamais les choses, sinon l’image perdrait de sa poésie. Suivez votre instinct et rien d’autre »
— Sergio Larrain

Sergio Larrain / Magnum Photos

Sergio Larrain / Magnum Photos

Bruno Barbey

« Je suis rarement immobile, toujours en mouvement »
— Bruno Barbey

Bruno Barbey / Magnum Photos

Bruno Barbey / Magnum Photos

Elliott Erwitt

« J’observe, j’essaye de divertir, mais je veux avant tout des photos qui ont une émotion »
— Elliott Erwitt

Elliott Erwitt / Magnum Photos

Elliott Erwitt / Magnum Photos

Nikos Economopoulos

« Quelle que soit l’histoire, elle doit être contenue dans chacune des images individuelles »
— Nikos Economopoulos

Nikos Economopoulos / Magnum Photos

Nikos Economopoulos / Magnum Photos

Bruce Gilden

« Aucune importance si vous êtes un caïd ou une femme au foyer. Le sujet est ce à quoi vous ressemblez - comment vous vous habillez, la forme de votre visage ou votre coiffure folle »
— Bruce Gilden

Bruce Gilden / Magnum Photos

Bruce Gilden / Magnum Photos

Bruce Davidson

« Je suis dans la photo, croyez-moi. Je suis dans la photo, mais je ne suis pas la photo »
— Bruce Davidson

Bruce Davidson / Magnum Photos

Bruce Davidson / Magnum Photos

Jonas Bendiksen

« Quand je suis dans la rue, j’essaye de laisser toute réflexion derrière »
— Jonas Bendiksen

Jonas Bendiksen / Magnum Photos

Jonas Bendiksen / Magnum Photos

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5 leçons, Photographie de rue Genaro Bardy 5 leçons, Photographie de rue Genaro Bardy

5 leçons de photographie avec Ernst Haas

Je suis heureux de pouvoir vous présenter une sélection de photos d’un des photographes que je préfère, qui fait partie des artistes dont j’essaye humblement de m’inspirer dans ma photographie. Les photos d’Ernst Haas sont plus que des photos extraordinaires, ce sont des émotions que j’aimerais arriver parfois à transmettre. Étudier le travail d’Ernst Haas est un plaisir infini, j’espère que ces quelques citations pourront également vous inspirer.

Ernst Haas est un photographe autrichien et américain précurseur de la photographie couleur. Entré dans l’agence Magnum par l’intermédiaire de Robert Capa, Ernst Haas est particulièrement connu pour avoir offert une vision unique et intemporelle de New York en couleur. C’est d’ailleurs le titre du dernier livre assemblé par le Ernst Haas Estate, qui est malheureusement déjà épuisé. Son livre ayant connu le plus grand succès est nommé The Creation, qui fut tirée à plus de 350 000 exemplaires.

Voici une sélection de mes photographies préférées d’Ernst Haas, et de quelques unes de ses citations inspirantes.

La photographie est un voyage dans le temps

« Avec la photographie, un nouveau langage a été créé. Maintenant, pour la première fois, il est possible d’exprimer une réalité par la réalité. Nous pouvons regarder un tirage aussi longtemps que nous le souhaitons, nous pouvons l’approfondir et, pour ainsi dire, renouveler à volonté les expériences passées. »
— Ernst Haas

La photographie est un art extraordinaire qui peut permettre d’aller très au-delà d’un simple souvenir. Une seule photo peut me transporter dans une rêverie lointaine, dans une ambiance et et une émotion indescriptible. Et en même temps, je suis aussi capable de littéralement voyager dans le temps et de me remettre dans un état d’esprit passé depuis longtemps, simplement en parcourant les photographies que j’ai prises d’une période donnée. Créer des photos intemporelles et chargées en émotion comme celles d’Ernst Haas est une de mes chimères en photographie.

Photo ©️ Ernst Haas

Photo ©️ Ernst Haas

Photo ©️ Ernst Haas

Photo ©️ Ernst Haas

Photo ©️ Ernst Haas

Photo ©️ Ernst Haas

La photographie est facile, l’art est difficile

« Il y a presque trop de possibilités. La photographie est en proportion directe avec notre temps : multiple, plus rapide, instantanée. Parce que c’est si facile, ce sera plus difficile. »
— Ernst Haas
« Il n’y a que vous et votre appareil photo. Les limites de votre photographie sont en vous, car ce que nous voyons est ce que nous sommes. »
— Ernst Haas

C’est une réalité que j’ai eu du mal à comprendre pendant longtemps : à tout moment, à chaque instant, uniquement autour de moi, là où je suis et pas ailleurs, j’ai une possibilité infinie de photographies et des images extraordinaires qui attendent d’être prises. On a pas besoin d’aller là ou ailleurs pour prendre des photos, même si je trouve mon environnement proche banal et sans intérêt. C’est uniquement une manière de se projeter, le regard que je peux poser sur ce qui m’entoure, qui fera une photo digne d’intérêt. Si je ne sais pas voir des photos dans mon salon, dans mon jardin ou dans ma rue, des sujets que je connais le mieux, je ne peux pas espérer voir des photos intéressantes dans un lieu que je découvre.

C’est ce qui rend la photographie passionnante : faire une photo convenable, pour ne pas dire banale, est extrêmement facile. Et créer une image fascinante est extrêmement difficile, rare, précieux, souvent chanceux. Pourtant, ces deux photos sont exactement au même endroit.

Photo ©️ Ernst Haas

Photo ©️ Ernst Haas

Photo ©️ Ernst Haas

Photo ©️ Ernst Haas

Photo ©️ Ernst Haas

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La photographie comme un nouveau langage

« Nous pouvons écrire les nouveaux chapitres dans un langage visuel dont la prose et la poésie n’auront besoin d’aucune traduction »
— Ernst Haas
« Il n’y a pas de formule pour le style, mais il y a une clé secrète. C’est le prolongement de votre personnalité. La somme de cet ensemble indéfini de vos sentiments, de vos connaissances et de votre expérience. »
— Ernst Haas

Comment décrire un poème de Baudelaire sans en détruire tout ce qui en fait un texte fabuleux ? C’est aussi toute la difficulté avec des photographes comme Alex Webb ou Ernst Haas, où la principale caractéristique est de proposer des images avant tout poétiques. On peut décrire, on peut analyser, mettre des mots sur ce que l’on ressent devant une image, mais rien ne rendra pleinement justice à la photographie d’Ernst Haas.

Au sujet du style, j’ai toujours du mal à fixer un photographe dans un seul genre de photos ou dans une seule manière de voir. Avec un peu d’expérience derrière moi, je suis aussi incapable d’établir un lien entre des projets anciens et ce qui m’occupe aujourd’hui. Les photos que j’ai déjà faites n’ont rien à voir avec celles que j’espère assembler, tout comme ma personnalité a évolué au fil du temps. Ainsi, je crois que ce n’est pas à moi de définir à proprement parler un style, je préfère travailler par projet et sur ce que j’espère raconter ou montrer. En tout cas, les projets sur lesquels je travaille, les photos que je suis amené à produire, et donc le style que je pourrais adopter à un moment donné, sont directement liés à ma personnalité.

Photo ©️ Ernst Haas

Photo ©️ Ernst Haas

Photo ©️ Ernst Haas

Photo ©️ Ernst Haas

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Photo ©️ Ernst Haas

Proposer une vision du monde

« Je préfère être remarqué d’abord pour mes idées et ensuite pour mon œil… »
— Ernst Haas
« Je veux qu’on se souvienne beaucoup plus d’une vision globale que de quelques images uniques parfaites. »
— Ernst Haas
« Seulement une vision - c’est ce qu’il faut avoir. »
— Ernst Haas

Il est difficile d’identifier la vision ou la volonté globale d’un photographe en analysant des photos uniques, aussi parfaites soient-elles. Mais simplement en assemblant une courte série comme celle de cet article, je crois pouvoir identifier une sensibilité et une intention créative, même si j’aurai du mal à le formuler avec des mots. Et puis, dès que vous ouvrez un livre pensé, écrit, assemblé par Ernst Haas, sa vision devient beaucoup plus claire avec la séquence de photos, la manière qu’il a de choisir et de séquencer ses histoires.

Je dois reconnaître ne travailler avec une vision globale que depuis peu de temps. Pour ce faire, je me suis fait aider par un spécialiste, Marc Prüst, qui accompagne des photographes dans leur démarche ou pour l’écriture ou l’édition d’un livre, entre autres activités. Cette démarche fut difficile, un chemin personnel ardu, où j’ai dû me regarder dans le miroir et me demander ce que je voulais vraiment raconter, pourquoi et comment. Je ne saurais trop vous recommander de vous faire aider si vous ne savez pas par où commencer.

Photo ©️ Ernst Haas

Photo ©️ Ernst Haas

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Photo ©️ Ernst Haas

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Photo ©️ Ernst Haas

L’art est une nécessité personnelle

« Dans chaque artiste, il y a de la poésie. Dans chaque être humain, il y a l’élément poétique. Nous le savons, nous le ressentons »
— Ernst Haas
« Chaque œuvre d’art a sa nécessité ; découvrez la vôtre. Demandez-vous si vous feriez cette image si personne ne la voyait jamais, si personne ne voulait jamais la voir. Si vous arrivez à un « oui » clair malgré cela, alors allez-y et n’en doutez plus. »
— Ernst Haas

En enseignant la photographie, et plus spécifiquement en accompagnant des photographes sur une longue période, j’ai pris un plaisir infini à voir émerger des artistes. Au-delà de la partie financière et commerciale en photographie professionnelle, trouver la photographie qui vous intéresse change complètement votre perspective par rapport à votre pratique. À titre personnel, j’ai le sentiment d’avoir longtemps produit des photos d’abord pour ceux qui étaient mes clients ou mes partenaires, j’essayais de deviner les photos qui les intéresseraient eux.

J’avais déjà ressenti cela en écriture, mais en réalité rien ne remplace les photos que vous ferez si vous ressentez une absolue nécessité. Cela n’améliorera pas votre ratio de bonnes photos, mais vous irez chercher ces photos plus personnelles qui ne ressemblent qu’à vous.

Photo ©️ Ernst Haas

Photo ©️ Ernst Haas

Photo ©️ Ernst Haas

Photo ©️ Ernst Haas

Photo ©️ Ernst Haas

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Et parce que je ne peux me résoudre à m’arrêter là, voici d’autres photos.

Photo ©️ Ernst Haas

Photo ©️ Ernst Haas

Photo ©️ Ernst Haas

Photo ©️ Ernst Haas

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Photo ©️ Ernst Haas

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Photo ©️ Ernst Haas

Je pourrais continuer pendant des heures. Si vous en voulez plus, abonnez-vous au Ernst Haas Estate sur Instagram.

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Photographie de rue, Droit Genaro Bardy Photographie de rue, Droit Genaro Bardy

Photographie de rue et droit à l’image : peut-on tout publier sur Internet ?

Le droit à l’image et les droits du photographe qui pratique dans la rue, ou dans tout autre lieu public, sont très mal compris. Un épisode récent d’une rencontre entre un photographe de rue et mon amie Salome Lagresle en fait malheureusement une belle démonstration. Le droit à photographier dans la rue est peu ou pas connu du grand public et attire beaucoup d’animosité sur les réseaux sociaux.

Je vais tenter de vous transcrire ici les faits de cet épisode en faisant abstraction de mon amitié pour Salome et de mon amour inconsidéré pour la photographie de rue.

Tout a commencé avec ce tweet :

Aucune réaction en commentaire de ce tweet n’est exacte

Salomé est animatrice d’émissions de télévision et sur JV.com, elle est suivie par beaucoup de monde et les réactions initiales des personnes qui la suivent rentrent dans une ou plusieurs de ces catégories :

  • Le photographe n’aurait pas le droit de la prendre en photo.

  • Le photographe n’aurait pas le droit de diffuser les photos prises.

  • Le photographe devrait demander un consentement avant de prendre une photo.

  • Salomé pourrait s’opposer à la conservation de la photo, sa diffusion ou sa commercialisation éventuelle.

  • Salomé ne devrait pas diffuser la photo du photographe, elle s’expose au problème qu’elle soulève.

  • Je serais même tenter de passer sous silence l’insulte ou l’incitation à la violence, mais c’est relativement fréquent dans ces mêmes commentaires.

Pas une seule de ces phrases n’est exacte, ni conforme à la loi ou à sa jurisprudence. La loi protège le droit d’expression artistique qui prévaut sur le droit à l’image, si la personne est dans un lieu public. Le droit à l’image est opposable uniquement dans le cas où la personne photographiée peut prouver un préjudice manifeste dans la publication de la photo.

Le droit d’expression artistique prévaut sur le droit à l’image

C’est un problème que très peu de monde soit au fait de cette réalité : la photographie de rue comme pratique artistique permet de prendre des photos dans un lieu public, diffuser voire même commercialiser ces photos, même si la personne est isolée sur la photo et reconnaissable.

J’ajouterais que le texte issu du site Service-Public.fr sur le droit à l’image contribue lui-même à la confusion, puisque le consentement à la diffusion y est inscrit, dans le cas d’une photo prise dans un lieu public si la personne est isolée et reconnaissable. Voici l’extrait du texte capturé ce jour :

Le texte est limpide, si le photographe souhaite diffuser la photo de Salomé, il aurait besoin de son accord. Nous allons voir que ce n’est pas si simple.Une chose est déjà sûre, le photographe a le droit de prendre la photo et de la conserver s’il le souhaite. Le refus d’effacer la photo par le photographe n’est pas très élégant, mais il est tout à fait dans son droit.La jurisprudence François Marie Banier protège l’expression artistiqueCeci étant établi, il a été signalé dans commentaires de ce tweet que la Jurisprudence dite François Marie Banier permet dans le cas d’une pratique artistique de se dispenser de l’autorisation.Le texte sur le “Droit à l’Image” du service Public n’est pas un texte de loi, il se sert de plusieurs textes de loi comme référence :LOI n° 2020-1266 du 19 octobre 2020 visant à encadrer l'exploitation commerciale de l'image d'enfants de moins de seize ans sur les plateformes en ligne Code civil : articles 7 à 16-14  respect de la vie privée (article 9)Code pénal : articles 226-1 à 226-7  Atteinte à la vie privéeCode pénal : articles 226-8 à 226-9 Atteinte à la représentation de la personneCode de procédure civile : articles 484 à 492-1

Le texte est limpide, si le photographe souhaite diffuser la photo de Salomé, il aurait besoin de son accord. Nous allons voir que ce n’est pas si simple.

Une chose est déjà sûre, le photographe a le droit de prendre la photo et de la conserver s’il le souhaite. Le refus d’effacer la photo par le photographe n’est pas très élégant, mais il est tout à fait dans son droit.

La jurisprudence François Marie Banier protège l’expression artistique

Ceci étant établi, il a été signalé dans commentaires de ce tweet que la Jurisprudence dite François Marie Banier permet dans le cas d’une pratique artistique de se dispenser de l’autorisation.

Le texte sur le “Droit à l’Image” du service Public n’est pas un texte de loi, il se sert de plusieurs textes de loi comme référence :

  • LOI n° 2020-1266 du 19 octobre 2020 visant à encadrer l'exploitation commerciale de l'image d'enfants de moins de seize ans sur les plateformes en ligne

  • Code civil : articles 7 à 16-14 respect de la vie privée (article 9)

  • Code pénal : articles 226-1 à 226-7 Atteinte à la vie privée

  • Code pénal : articles 226-8 à 226-9 Atteinte à la représentation de la personne

  • Code de procédure civile : articles 484 à 492-1

Le texte du Service Public étant une interprétation de la loi, c’est donc bien à la jurisprudence de nous éclairer sur la question, et elle est limpide elle aussi.

Voici la Jurisprudence François Marie Banier, issue du site Droit et Photographie de Joëlle Verbrugge, référence nationale en la matière :

Les faits de cette affaire sont les suivants : Le photographe (et par ailleurs romancier) François-Marie Banier a publié un livre de photographies intitulé « Perdre la tête » (Editions Gallimard, ISBN 978-2070117543).

Or, il se trouve que la personne photographiée n'a pas du tout apprécié de ne pas avoir été consultée avant la publication dans un livre qu'au surplus elle résumait en une publication montrant essentiellement des « marginaux et exclus » et qualifiant semble-t-il l'ouvrage de « Musée des horreurs », et a assigné l'éditeur sur le fondement des articles 9 (droit au respect de la vie privée) et 1382 (responsabilité civile extra-contractuelle) du Code civil.

Déboutée par le Tribunal de Grande Instance, elle a interjeté appel ce qui a amené la Cour d'Appel de Paris à prononcer un arrêt qui paraît important dans ce conflit constant entre les notions de respect de la vie privée et de liberté d'expression.

La Cour, dans ce cas, précis, a en effet fait primer le principe de liberté d'expression, en considérant que « ceux qui créent, interprètent, diffusent ou exposent une oeuvre d'art contribuent à l'échange d'idées et d'opinion indispensable à une société démocratique » avant de relever que « le droit à l'image doit céder devant la liberté d'expression chaque fois que l'exercice du premier aurait pour effet de faire arbitrairement obstacle à la liberté de recevoir ou de communiquer des idées qui s'expriment spécialement dans le travail d'un artiste, sauf dans le cas d'une publication contraire à la dignité de la personne ou revêtant pour elle des conséquences d'une particulière gravité » (CA Paris, 5/11/2008, 06/03296, 1. de C. C/ Gallimard).

Reste donc pour tout photographe, sur base de cette jurisprudence, à espérer que la situation personnelle de la personne photographiée n'entrainera pas, suite à la publication de la photo, « des conséquences d'une particulière gravité »... mais il s'agit malgré tout d'une avancée considérable dans l'analyse de ces principes contradictoires.

Pour ma part je peux donc à mon sens envisager la publication de ma photo...

Source : La jurisprudence ne perd pas la tête

Par conséquent, il me semble que dans le cas présent, Salome ne peut s’opposer à la prise de la photo, ni même à sa diffusion ou commercialisation.

Le photographe mis en lumière ici pourrait certainement se retourner contre Salome pour la diffusion de sa photo sans son consentement, mais il aurait alors à prouver le préjudice subit par cette publication.

J’ai essayé ici de rester factuel, sans donner mon opinion sur le sujet ou sur la manière qu’ont eut les intervenants de faire savoir leur droit ou ce qu’appellerait la morale. Néanmoins, je ne peux que me réjouir que la photographie de rue comme expression artistique soir protégée ainsi. Il serait bon que la page du service public fasse également connaître que le droit d’expression artistique prévaut sur le droit à l’image, pour éviter la méconnaissance flagrante de la loi par tous ceux qui ne sont pas photographes.

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Inspiration Genaro Bardy Inspiration Genaro Bardy

5 Leçons de Photographie avec Bruno Barbey

Bruno Barbey est un photographe reporter et journalistefranco-suisse, né le 13 février 1941 à Berrechid au Maroc sous protectorat français et mort le 9 novembre 2020. Il fut membre de l’agence Magnum dès 1966 et membre de l’Académie des beaux-arts de 2016 à 2020.

Fasciné par le cinéma néo-réaliste italien, il débute en 1962 un essai photographique sur les Italiens, en séjournant pendant plusieurs semaines et à de nombreuses reprises en Italie. Ce qui lui donnera l'occasion de réaliser son premier livre et de rencontrer Henri Cartier Bresson et Marc Riboud.

Il serait difficile d'énumérer ici sa longue et brillante carrière, notons que Bruno Barbey est connu pour avoir photographié les révoltes ouvrières et étudiantes de Mai 68. Il a également photographié les émeutes étudiantes à Tokyo. En 1970, il réalise avec Jean Genet un reportage sur les Palestiniens, en 1971 et 1972, il couvre la guerre du Vietnam, notamment la bataille d'An Lộc.

Il amorce en 1972 un travail au long cours sur le Maroc, pays de son enfance, avec le désir de sauver une mémoire en train de se perdre. Plusieurs livres, avec des textes de Jemia et J. M. G. Le Clézio et de Tahar Ben Jelloun, en seront publiés dans les années 1990 et 2000.

En 2016, Bruno Barbey est élu membre de l’Académie des beaux-arts de l'Institut de France, en même temps que Sebastião Salgado et Jean Gaumy, à la suite de la création de deux nouveaux fauteuils dans la section de photographie, ce qui fait de lui un monument de la photographie Française.

La plupart des textes de Bruno Barbey cités ici sont issus du livre Magnum Histoires. Voici 5 leçons de photographie avec Bruno Barbey.

Photo Bruno Barbey

Photo Bruno Barbey

Apprenez à lire le rythme de la rue

« Il y a certains rythmes qu’on apprend à connaître. Quand on est dans la rue, on regarde autour de soi, on est regardé et l’on comprend les signaux qui s’échangent à travers les regards. Le Maroc est visuellement très séduisant mais il exige beaucoup de temps et de patience. Ça fait partie du défi et du plaisir. J’étais récemment en Ouzbékistan, où les gens se laissent facilement prendre en photo. On peut photographier comme on veut sur les marchés et dans les lieux publics, composer comme on veut, en un sens, ce sont des conditions idéales pour un photographe. L’Égypte et l’Inde sont aussi des endroits où il est facile de travailler. Tandis qu’au Maroc, un photographe doit apprendre à se confondre avec les murs. Pour prendre une photo, il faut soit aller vite, avec tous les risques que cela comporte, soit faire preuve d’une patience infinie. Par rapport au temps passé là-bas, j’ai pris beaucoup moins de bonnes images au Maroc qu’à peu près partout ailleurs. C’est le contraire de l’Italie où les gens adorent être photographiés et n’ont pas de complexes devant l’objectif. C’est comme s’ils vous disaient : « Prenez-moi comme je suis. » Cela dit, au Maroc, le jeu n’est pas dépourvu de charme. »
— Bruno Barbey

Chaque culture propose un rapport à l'image différent, et cela aura des conséquences pour la ou le photographe qui travaille dans la rue ou dans des lieux publics. Je garde en mémoire mon premier séjour au Rajasthan, où j'étais interrompu régulièrement dans mes photos pour poser avec des passants ou des touristes Indiens qui cherchaient parfois à lier une amitié.

Ici à Salvador, quand je demande la permission personne ne refuse une photo, mais toutes mes rencontres commencent avec un pouce levé et un sourire béat. Je baisse l'appareil, je discute, je cherche à sortir la personne de la pose. J'essaye de trouver une attitude naturelle ou fidèle à ce que je perçois de la personne. Mais le rapport à l'image est très particulier, partout au Brésil et plus encore à Bahia. C'est alors difficile de retranscrire des ambiances et la vie du Nordeste qui se passe essentiellement en extérieur, dans la rue ou ailleurs, quand tout le monde cherche à poser dès qu'il voit un objectif. Pour d'autres raisons que Bruno Barbey, je cherche aussi à être discret, mais je m'expose à passer pour un voyeur ou un voleur de photos, ce qui est très mal pris par ceux qui s'en rendent compte.

En tout état de cause, ce que je retiens ici est le besoin d'adapter sa pratique photographique à la culture du lieu où l'on se trouve. Sans cette réflexion, on ne peut accéder qu'aux photos basiques vues mille fois ailleurs.

Photo Bruno Barbey

Photo Bruno Barbey

Photo Bruno Barbey

Photo Bruno Barbey

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Se méfier de la compassion et des photos qui changent le monde

« À l’époque, il y avait beaucoup de magazines capables de consacrer entre huit et vingt-quatre pages à un essai photographique dont on pouvait vraiment être fier, et ce fut une période très productive de ma vie professionnelle. J’ai ainsi pu obtenir d’importantes publications dans des magazines comme Life, Paris-Match, Stern et National Geographic. Aujourd’hui le photojournalisme est en déclin. Je le pratique encore : par exemple, pendant l’invasion irakienne, j’ai accepté une commande de Time pour photographier le sud de l’Irak quand les Américains s’en sont emparés en 1991 pendant la première guerre du Golfe. Je me suis intéressé aux marines américains patrouillant les champs de pétrole en feu et souhaitais éviter de montrer les corps Irakiens morts. Je ne pense pas que les photos de cadavres apportent beaucoup à l’histoire de la guerre : on en voit sans arrêt à la télévision. Bien sûr, il faut rendre compte de la guerre, mais c’est devenu une sorte d’industrie. Je suis devenu méfiant envers la « compassion ». Certains photojournalistes privilégient des endroits visuellement forts en espérant que leurs images vont changer le monde, mais je n’en suis pas si sûr, malheureusement. Dans la pratique photojournalistique actuelle, il y a parfois plus de photographes que de combattants, ou plus de photographes que de réfugiés. »
— Bruno Barbey

N'ayant pas le début du commencement de la moitié de l'expérience de Bruno Barbey, j'aurai du mal à commenter cette proposition. Cependant, j'ai également l'impression que la profession de photojournaliste a toujours été au coeur des bouleversements des médias, et ils ont étés permanents depuis que la photographie existe. J'ai le sentiment que chaque nouvelle génération de photojournalistes se réfère aux précédentes comme à un âge d'or utopique où les médias avaient de l'argent qui coulait à flot.

Oui, les temps ont changé. La photographie numérique a facilité l'accès à ce métier. Les réseaux sociaux ont donné la possibilité à certains photographes de devenir leur propre média, de distribuer directement leurs photos. Cela a aussi donné la possibilité je crois à beaucoup plus de monde de pouvoir vivre de la photo par des canaux nouveaux, avec de nouvelles manières de faire. Et je ne peux pas me résoudre à m'en plaindre. C'est ainsi, les manifestations ou les événements médiatiques sont couverts par beaucoup de photographes. La compétition est intense, parfois. Je vois cela comme une obligation à être original, à se remettre en question et à être toujours plus indépendant des clients ou des rédactions.

Je suis peut-être un doux utopiste, mais j'ai la conviction que si l'on travaille sur le sujet qui nous tient à coeur sans avoir de commande, si le sujet est bien traité, les photos exceptionnelles prennent leur indépendance et dépassent complètement le photographe. Une photo peut faire le tour du monde en une journée grâce à ces réseaux tant décriés, et si le photographe n'en tire pas toujours un profit direct, il a la possibilité aujourd'hui de profiter des conséquences et des opportunités que cela lui donne. En revanche, je suis d'accord avec Bruno Barbey, les photos qui changent le monde sont trop rares pour que cela puisse constituer un objectif.

Photo Bruno Barbey

Photo Bruno Barbey

Photo Bruno Barbey

Photo Bruno Barbey

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Photographie de rue et droit à l'image

« Aujourd’hui, en France, la photographie de rue devient difficile en raison des nouvelles lois sur le droit à l’image. On m’avait demandé de prendre des photos pour un livre sur Jean-Paul Sartre et Simone de Beauvoir. J’ai accepté parce que je les avais déjà photographiés. J’habitais Montparnasse où ils avaient passé la moitié de leur vie et j’aimais retrouver les lieux qu’ils avaient fréquentés comme Le Dôme, La Coupole et Les Deux Magots. Mais quand j’ai commencé discrètement à déclencher, un vigile est venu m’interrompre : « Avez-vous contacté notre service de relations publiques pour avoir l’autorisation de photographier ? ».
On ne peut plus photographier librement à Paris. La moitié des images que j’ai prises pour cette commande ont été refusées l’éditeur parce qu’elles représentaient des personnes qu’on pouvait reconnaître. On m’a dit : « Si c’est pour avoir des procès, on ne publie pas. Ou alors vous refaites les photos, mais sans les gens. Pourquoi ne pas prendre la terrasse du café avec les consommateurs de dos ? » Aujourd’hui des avocats opportunistes sont spécialisés dans la traque des photographes pour gagner de l’argent sur leur dos et celui des utilisateurs. »
— Bruno Barbey

Je suis en respectueux désaccord. Les temps ont changé, c'est un fait établi. Il est certainement plus difficile aujourd'hui de pratiquer la photo de rue avec les problèmes que pose le droit à l'image. Mais le droit à l'expression artistique existe, même avec des personnes qui seraient reconnaissables sur les photos. Et le droit à l'image est un droit opposable. Cela veut dire que prendre la photo est autorisé. Vous ne vous exposez à un problème que dans le cas d'une diffusion qui porte préjudice à la personne photographiée, et c'est à elle de prouver ce préjudice.

La principale conséquence néfaste du droit à l'image est ce que certaines personnes croient savoir, y compris d'après mon expérience chez des personnes représentant l'autorité publique. Mais la nécessité de documenter le monde et l'expression artistique des photographes seront toujours pour moi plus importants que ces changements culturels qui font grincer les dents.

Connaissez votre droit et restez droit dans vos bottes. J'irais même jusqu'à dire que j'espère un jour un joli procès médiatique pour faire connaître ces problèmes. Mais les procès ne concernent, oh surprise, que ceux qui attaquent des médias en espérant un joli chèque au bout.

Photo Bruno Barbey

Photo Bruno Barbey

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Travailler avec des écrivains

« Je consacre principalement mon temps à la réalisation de livres et d’expositions. Je m’intéresse aux compositions minimalistes et aux ingrédients simples. J’aime travailler avec des écrivains qui ont une grande connaissance des thèmes que je photographie comme J.-M. G. Le Clézio, Tahar Ben Jelloun, Paul Bowles, Arthur Clarke, Dom Morales et Czesław Miłosz. »
— Bruno Barbey

Je trouve fascinant de voir qu'un des photojournalistes les plus reconnus disent ne s'intéresser qu'à son travail d'auteur et d'artiste. Peut-être que travailler sur l'actualité, ou sur un sujet institutionnel, est surtout un moyen d'améliorer sa pratique. Mais l'objectif d'un grand photographe comme Bruno Barbey était d'être libre de travailler sur les sujets qui le passionnaient. Cette liberté était le fondement de l'agence Magnum, je crois que ces principes sont toujours d'actualités quand on voit les projets que les membres de cette prestigieuse agence mettent en avant.

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Photo Bruno Barbey

Photo Bruno Barbey

La photographie est universelle

« La Photographie est le seul langage qui peut être compris dans le monde entier. »
— Bruno Barbey

Voir vient avant les mots. Je n'avais jamais réalisé que la photographie était un langage absolument universel, compris de tous. Et il est certain que tout le monde peut comprendre la beauté transcendentale des photographies de Bruno Barbey.

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Être là

La particularité de la photographie documentaire, du reportage ou de la photographie de rue est le besoin d'être là. Mettez un peintre ou un écrivain dans une salle blanche, donnez-lui des toiles ou de quoi écrire, sa seule limite est son imagination. Il peut peindre ou décrire un paysage, un portrait, il peut peindre de manière abstraite ou écrire de la poésie.

Mettez un photographe dans la même pièce, il peut toujours produire une photo blanche, grisouille, voire même noire, il peut réaliser un auto-portrait. Mais la nature de la photographie documentaire est d'enregistrer le monde. Un photographe de rue ne peut jamais vraiment compter sur son imagination. Il doit interagir avec ce qui l'entoure pour produire une photo.

C'est aussi l'une des plus grandes forces de cette photographie. Aucun autre medium, à l'exception du film documentaire, ne peut prétendre : "voici ce qui est arrivé". Le photographe a peut-être choisi où se tenir et quand déclencher, mais la photographie documentaire aura toujours cette relation unique avec le monde, avec le temps, et donc avec l’histoire.

Mes lectures m'ont mis sur le chemin d'Anders Ericsson avec son livre Peak: Secrets from the New Science of Expertise, où il décrit ses études et travaux avec certains des plus grands experts de leur domaine. Sans dévoiler quoique ce soit, car je le commence à peine, ce livre démontre que pour progresser il est nécessaire de se confronter à des problèmes de plus en plus difficiles, de toujours repousser les limites de sa zone de confort.

Pour ma photographie, le plus grand mur qui s'élève sur mon chemin, c'est la photographie documentaire. Je n'ai jamais cherché à pousser plus avant mes premières expériences au Mali, où je savais déjà que j'avais besoin "d'être là". Ce constat m'a frappé alors que je sortais enfin de chez moi après notre deuxième confinement pour produire quelques photos dans Salvador. Je veux plus, je suis déterminé à produire des photos qui aient un plus grand impact social, d'abord en documentant chez moi, à Salvador.

Alors je m'organise, je commence à préparer, à étudier. J'espère arriver à être là, malgré la peur.

Feira de Sao Joaquim - Salvador, Bahia April 2021 - Photo Genaro Bardy

Feira de Sao Joaquim - Salvador, Bahia April 2021 - Photo Genaro Bardy

Feira de Sao Joaquim - Salvador, Bahia April 2021 - Photo Genaro Bardy

Feira de Sao Joaquim - Salvador, Bahia April 2021 - Photo Genaro Bardy

Feira de Sao Joaquim - Salvador, Bahia April 2021 - Photo Genaro Bardy

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