5 leçons de photographie avec Jill Freedman

Jill Freedman, observatrice passionnée de la vie humaine, est née en 1939 à Pittsburgh et décédée le 9 octobre 2019. Autodidacte, elle a consacré sa carrière à photographier la réalité brute de la société américaine. Son travail se démarque par son engagement envers les mouvements sociaux, les manifestations anti-guerre et les luttes pour les droits civiques.

Jill Freedman se distingue par son parcours atypique et sa vision artistique profonde. Diplômée en sociologie de l'Université de Pittsburgh, elle découvre la photographie de manière autodidacte, influencée par des figures emblématiques telles qu'André Kertész et W. Eugene Smith, mais c'est au côté de son caniche Fang qu'elle apprend véritablement à observer le monde. Sa carrière décolle après un séjour à Resurrection City.

Ses projets, tels que "Old News: Resurrection City" et "Circus Days", révèlent un engagement profond pour la justice sociale et une admiration pour les survivants de la vie, marquant l'histoire de la photographie par sa capacité à raconter des histoires et produire des documentaires fascinants, créant ainsi un héritage photographique profondément influent.

Dans cet article, nous explorerons son univers, ainsi que l’impact de son travail sur la photographie documentaire.

Jill Freedman

1- La photographie a une fonction anthropologique

« J’ai étudié la sociologie et l’anthropologie et je me rends compte maintenant que ce que j’ai fait avec mon appareil photo toutes ces années, c’est documenter le comportement humain. Mais je prenais des photos dans ma tête bien avant de devenir photographe. C’est la guerre du Vietnam qui a tout changé pour moi. J’étais en colère et je voulais photographier des manifestations anti-guerre, alors j’ai acheté mon premier appareil photo. »
— Jill Freedman

Jill Freedman identifie deux manières de photographier : 

  • L’une revient à étudier l’être humain à travers la sociologie et l’anthropologie. On observe et répertorie ses faits et gestes, on raconte une histoire et on essaie de la comprendre. Avec ou sans appareil, on s’attarde sur un moment important ou révélateur de la société.

  • L’autre consiste à simplement observer et se remémorer.

Un photographe sait observer, qui sait comprendre ce qu’il se passe devant lui. Mais surtout, un photographe choisit ses sujets parce qu’ils le passionnent, l’animent, le font s’engager dans ce qu’il photographie. De fait, quand Jill Freedman vient s'intéresser aux mouvements sociaux, elle vient documenter le comportement humain à la manière d’une sociologue. L’outil de restitution est simplement différent. La guerre du Vietnam a été le déclencheur de la carrière de Jill Freedman. Elle a transformé sa colère en une expression artistique et documentaire.

Un photojournaliste peut-il être neutre dans sa manière de rendre compte des événements de société ? On reproche souvent aux photographes de prendre une position militante par rapport à leur sujet. Je crois que cette prise de position est inhérente au métier de journaliste. À mon retour du Mali, où j’espérais pouvoir devenir photojournaliste, je photographiais toutes les manifestations à Paris, souvent le week-end. Il m’était impossible d’aller photographier une manifestation en 2013 contre le mariage pour tous avec bienveillance pour ceux qui défilaient. Si je respecte leur droit à manifester, je ne peux que m’opposer aux messages qu’ils portaient et le regard que je posais était forcément transformé.

Il me semble que photographier, c’est porter un message autant que rapporter des faits. La carrière de Jill Freedman en est une parfaite démonstration.

Jill Freedman

Jill Freedman

Jill Freedman

2. Ne faites pas des photos faciles

« Je déteste les photos faciles. Je déteste les photos qui font que les gens ont l’air de ne pas valoir grand-chose, juste pour prouver le point de vue d’un photographe. Je déteste quand ils prennent une photo de quelqu’un se curant le nez ou bâillant. C’est tellement facile. Ça correspond à un gonflement de l’ego. Vous utilisez les gens comme des accessoires au lieu de les traiter comme des personnes. »
— Jill Freedman

Jill Freedman soulève une question fondamentale tant en photographie documentaire qu’en photographie de rue, d’autant plus à notre époque où l'image prend une place prépondérante. Elle vient critiquer ici une approche de la photographie qui déshumanise ses sujets, les réduisant à de simples blagues valorisant le photographe, alors que la représentation des sujets est cruciale ! 

La tendance à rechercher des clichés sensationnels ou provocateurs, souvent au détriment du sujet, pose une question éthique. La photographie ne peut pas être une quête égoïste de reconnaissance, de chercher des photographies exotiques, sensationnelles, avec la récompense des likes d’instagram. Jill Freedman nous rappelle que la photographie est un moyen de révéler des vérités en respectant la dignité de ceux que l’on montre dans nos photos. Cela requiert de la part du photographe de l’empathie, de la compréhension et peut-être même de l’affection envers ses sujets. 

On trouve parfois une règle en photographie de rue : pas d’enfants, pas d’artistes de rue, pas de SDF. Personnellement j’essaye de ne jamais montrer quelqu’un dans une situation dans laquelle je n’aimerais pas être pris en photo. C’est la principale raison pour laquelle je m’interdis de photographier des SDF sans leur demander la permission et je ne montre que très rarement ces photos si je ne suis pas en commande. Je vous renvoie au projet de Corentin Fohlen Home Street Home pour aller plus loin dans cette réflexion.

Jill Freedman

Jill Freedman

3. La mémoire comme mission sacrée

« Je crois que se souvenir est une mission sacrée et, par conséquent, on doit être digne de cette mission. »
— Jill Freedman

Ici, Jill Freedman évoque le devoir de mémoire et notamment son travail concernant l’Holocauste. 

Jill Freedman souligne la responsabilité qui incombe à ceux qui documentent, représentent ou partagent des histoires ou des images liées à des tragédies humaines. Si l’on se réfère à l'œuvre de Jill Freedman et ses différentes prises de parole, Il est nécessaire de rendre hommage à la vérité, à la souffrance et à la dignité des personnes impliquées dans ces tragédies. 

Dans le contexte de l’Holocauste l’objectif doit être d’éduquer les générations futures et de ne pas tomber dans le sensationnalisme ou l’exploitation de la douleur. Jill Freedman a photographié et documenté comment les familles juives se souviennent des horreurs de la seconde guerre mondiale et ont crée de nouveaux rituels autour du devoir de mémoire. 

À Salvador, quand je photographie les rituels et les célébrations Candomblé, je ne peux pas seulement m’arrêter au folklore d’une religion locale qui vénère 12 déesses. Les divinités Candomblé sont directement issues des rituels Vaudous Africains, que les esclaves qui ont construit la ville de Salvador n’avaient pas le droit de pratiquer. Les divinités féminines de la religion Candomblé ont été associés aux saintes de la religion Chrétienne qui leur était imposée. Un million et demi d’esclaves, de femmes et d’enfants, ont été importés par bateaux depuis la Centrafrique et le Bénin, c’est cette mémoire que véhiculent les photographies des rituels Candomblé aujourd’hui.

Jill Freedman

Jill Freedman

Jill Freedman

4. Le Consentement en photographie

« La plupart des gens adorent qu’on les prenne en photo. »
— Jill Freedman

Jill Freedman disait demander systématiquement le consentement de ses sujets avant de les prendre en photo. Lorsqu’ils refusaient, elle partait. 

Elle a souvent photographié des individus dans des moments authentiques, montrant une réalité de la vie quotidienne. Cela reflète une capacité à établir un lien avec ses sujets pour se faire accepter voire oublier pendant qu’elle prenait des photos.

Mon expérience personnelle est de privilégier le moment que l’on passe avec les gens que l’on photographie à la photo qui en sera peut-être issue, si on a un peu de chance. Une photo réussie est trop rare, alors que l’occasion de créer une vraie connexion avec les gens que l’on rencontre, c’est à chaque fois.

Je vais préférer obtenir des photos authentiques en étant discret, en essayant de m’approcher sans me faire repérer. Mais je pars du principe que je vais dialoguer avec les personnes que je photographie. J’ai rencontré certains de mes meilleurs amis avec la photographie et ces rencontres aléatoires. Et si jamais je n’ose pas y aller, je demande la permission. On peut tout à fait obtenir des photographies naturelles en demandant la permission et en continuant à photographier si besoin après avoir pris un portrait.

Et pui Jill Freedman avait absolument raison sur ce point : la plupart des gens aiment les photos et les photographes.

Jill Freedman

Jill Freedman

Jill Freedman

5. New York comme Échappatoire

« Venir à New York, c’est toujours une façon de s’échapper à votre vie. »
— Jill Freedman

Jill Freedman était fascinée par New-York, pour son énergie et sa diversité. Cette ville est une source d’inspiration pour quantité de photographes parce qu’elle est absolument photogénique et parce que toutes les populations du monde s’y croisent. Chaque quartier est une nouvelle découverte. 

Pour Freedman, la ville représentait un échappatoire, un lieu où l’on peut se perdre et se redécouvrir. J’ai une histoire particulière avec New York, c’est la ville où je découvrais la photographie. Je voyageais seul pour le travail et chaque minute de mon temps libre était consacré à l’exploration d’un quartier ou d’un nouveau lieu et de ses habitants. J’y ai voyagé depuis plus de 25 fois, souvent avec des photographes, c’est naturellement que je me suis intéressé aux photographes qui ont façonné l’histoire de la ville en photographie.

Quel est votre lieu à vous ? Celui qui vous apporte un sentiment de plénitude ou d’émerveillement ? Ce peut être un lieu en apparence plus simple, mais le plus important est l’attachement que vous aurez à ce lieu, car c’est ce qui se verra dans vos photos. 

Jill Freedman

Jill Freedman

Jill Freedman

Jill Freedman est décédée le 9 octobre 2019, laissant derrière elle un héritage indélébile dans le monde de la photographie documentaire. Pour continuer l’exploration de son travail je vous propose l’une de ses dernières interviews, réalisée par Josh Ethan Johnson dans le cadre de sa série documentaire Wrong Side of The Lens. Cliquez sur ce lien pour voir la vidéo.

Genaro Bardy

Photographer & Writer

and now I guess… Youtuber

Dad of two, husband of the One

https://instagram.com/genarobardy
Précédent
Précédent

5 leçons de photographie avec Fan Ho

Suivant
Suivant

Comment utiliser la photographie en sociologie ?