Photographie de Rue au Féminin : Talents occultés et quête de reconnaissance
Celia D. Luna, Cholitas
Le 08 mars arrive et cela fait plusieurs semaines que je me demande comment, en tant que femme, freelance, voyageant à l’étranger, je pourrais faire valoir mes droits. En faisant grève ? Qui va s’en rendre compte ? En allant manifester ? Je suis à Lobitos, un village de 1500 habitants au milieu d’un petit désert péruvien : à qui vais-je réclamer des mesures pour enfin me sentir en sécurité à la maison, au travail mais surtout dans la rue ?
C’est là que je me suis souvenue qu’il y a quelques semaines, Genaro m’a dit que l’audience de sa chaîne Youtube était composée d’environ 80% d’hommes. Et en fait, ce n’est pas vraiment une surprise. Saviez-vous que 63% des personnes qui sont diplômées d’écoles de photo sont des femmes ? Comment explique-t-on alors qu’elles ne représentent que 20% des artistes exposés ? Comment de l’école au travail, s’évaporent-elles pour laisser la place aux hommes ? À votre avis, est-ce vraiment une question de talent ? Bien sûr que non, c’est une question d’éducation, de place dans l’espace public et d’invisibilité. Je vous explique.
1- Les barrières d’une éducation genrée
Vivian Maier, Self-Portrait
Confiance en soi et visibilité : les défis de l’auto-promotion
Dans l’enquête de Biljana Stevanovic, Pierre Grousson et Alix de Saint-Albin intitulée “Orientation scolaire et professionnelle des filles et des garçons au collège. Évaluation d’un dispositif de sensibilisation aux métiers non-traditionnels.” les chercheurs reconnaissent que : “Dès leur prime enfance, les filles apprennent l’obéissance, la docilité, l’attention à autrui, l’usage limité de l’espace ; les garçons apprennent la compétition, l’affirmation du soi, l’usage plus libre de l’espace.” Cela implique notamment que les jeunes filles aient tendance à se sous-estimer par exemple. Elles vont donc avoir plus de difficultés à négocier leur salaire, reconnaître leur talent et le valoriser.
L’étude “Teacher behavior and student achievement. Handbook of research on teaching” (1986) de Brophy & Good, psychologues, révèle que les garçons reçoivent beaucoup plus d’attention que les filles en classe. Cette différence d'interaction crée un terrain inégal dès les premières années de socialisation et contribue à façonner une perception de soi limitée pour les petites filles en primaire. Être moins interrogées implique qu’elles s'entraînent moins à parler en public et qu’elles devront trouver d’autres moyens pour développer leur confiance en soi.
Alors, évidemment, je ne me souviens pas de mes années à l’école primaire. D’ailleurs, même si j’étais déjà bien revendicative, je ne pense pas qu’à 7 ans j’étais capable de conscientiser à qui Madame Hiver, mon institutrice de CE1, accordait plus ou moins de temps de parole. Nous l’avons tous et toutes intériorisé, mais si je vous dis que vous aurez moins de chance d’être interrogé qu’un ou une autre quand vous levez la main, quelle valeur cela donne à votre parole ? Comment venir prendre position, comment vous montrer lorsqu’on vous a si peu donné la parole ?
Cela reste un seul exemple et il est toutefois indéniable que les biais éducatifs existent et sont diffusés bien avant même la naissance d’un enfant. Ce sont ces expériences, qu’elles aient lieu à la maison ou à l’école, qui vont venir déterminer le comportement des personnes une fois adulte.
La quête de légitimité dans un monde masculin
Et si la société entière accentuait ces différences ? L’enquête d’Irène Jonas “La photographie de famille : une pratique sexuée ?” (2010), fait état de la représentation des femmes dans la publicité. Elle pointe en particulier un spot de Kodak des années 60. Si les femmes sont bien présentes dans les publicités, l’image qu’il leur est donné est loin de les encourager à faire d’elles de grandes photographes. Elles tiennent l’appareil maladroitement, curieusement, alors que leur mari, eux, l'œil vif, sont prêts à photographier avec aisance !
Ces images, aussi anodines soient-elles, ont des conséquences. Edith Brenac, chercheuse en sciences sociales, en 1983, souligne la tendance que l’on a à associer la maîtrise technologique aux hommes. Cela exclut naturellement l’intérêt que les femmes pourraient y porter puisqu’on leur enseigne qu’elles n’y comprendront rien.
C’est par ces petites touches successives que les biais de genre s’immiscent dans nos têtes et dans nos vies. Nous ne nous en rendons pas compte, mais ils sont là, bien présents, et viennent limiter nombreux de nos comportements, autant chez les hommes que chez les femmes. Les conséquences pour ces dernières étant beaucoup plus graves et durables.
2- L’Espace public : un terrain réservé aux hommes
N’avez-vous jamais dit à votre sœur, mère, cousine, amie, épouse : “Fais attention quand tu sors le soir !”. L’avez-vous déjà dit à votre frère, père, cousin, ami, époux ? Et même si la réponse est “oui”, il est fort probable que vos inquiétudes soient différentes et/ou que vous ayez davantage le réflexe de le dire quand il s’agit de femmes.
Julia Coddington, Into the Light
Ce conseil, donné avec bienveillance, révèle pourtant une profonde inégalité dans la manière dont nous percevons la sécurité dans l’espace public selon notre genre. Ce dernier est plus hostile pour les femmes que pour les hommes.
Marylène Lieber, sociologue, souligne que les hommes occupent une place plus détendue et permanente dans les lieux publics. Ils peuvent se permettre d’être statiques, d’observer, de se détendre, sans sentir le même niveau d’urgence ou de menace. En contraste, les femmes utilisent l’espace public majoritairement comme un lieu de transition. Elles restent en mouvement, non pas par choix, mais comme stratégie pour minimiser l’exposition à des interactions potentiellement dangereuses ou inconfortables. Et ce, entre autres stratégies, comme celle de mettre des écouteurs, de ne pas s’arrêter pour chercher son chemin, et j’en passe ! Je suis concernée par ces stratégies et je suis sûre que si vous demandez aux femmes autour de vous, elles pourront les valider ou vous en donner d’autres. Essayez pour voir.
Approfondissant le débat, l’autrice Virginie Despentes adopte une perspective particulièrement tranchée concernant ses déplacements extérieurs. Elle souligne avoir pris pleinement conscience que sortir de chez elle implique un risque d'agression. Face à cette réalité, elle se voit confrontée à deux options : demeurer cloîtrée chez elle ou choisir d'embrasser ce risque. J’ai toujours su que je n’étais pas en sécurité dans la rue, j’ai toujours dit à mes amies de m’envoyer un message en arrivant chez elles. Toutefois, ce passage de la série Valeria m’a fait froid dans le dos. Pourquoi ? Parce que malgré les milliers de kilomètres qui peuvent nous séparer, nous vivons toutes la même chose. Parce qu’hier encore avant de rentrer chez moi, mes amies m’ont dit la même chose, parce qu’hier encore, j’ai hésité à passer par le chemin plus court, car plus sombre. À Paris, à Cherbourg ou à Lobitos, ceci est notre quotidien et illustre parfaitement pourquoi il est plus compliqué pour une femme d’être photographe de rue. Nous ne sommes pas les bienvenues dans l’espace public.
Cette dynamique vient directement affecter l’expression artistique des femmes, notamment dans la photographie de rue. En effet, cette dernière demande une immersion dans un espace, un arrêt, un moment de pause pour capturer une scène, un visage ou une émotion. Or, cette immobilisation va à l’encontre de l’instinct de survie que beaucoup de femmes ont développé pour naviguer en sécurité dans ces espaces. Comment, alors, les femmes peuvent-elles concilier ce besoin de sécurité avec la volonté de s'exprimer artistiquement ? Comment déconstruire quelque chose qui est profondément ancré dans notre éducation et qui nous permet de survivre ?
Genaro, dans ses enseignements, enseigne des techniques afin de surmonter ses peurs en photographie de rue. Cependant, il est primordial de reconnaître que les défis auxquels les femmes font face sont amplifiés. Être statique, simplement présente dans un lieu, peut être perçu comme un acte de défiance, voire comme une invitation non désirée à l’attention ou à l’interaction.
Alors, quand Hannah Price, dans sa série “City of Brotherly Love”, redirige le regard et vient mettre la lumière sur ces hommes, elle nous montre un courage incroyable pour se réapproprier l’espace urbain. Fatiguée du harcèlement de rue, elle utilise son appareil photo comme un outil de pouvoir et de réclamation de son droit à l’espace public. Par ses photographies, elle transforme avec bienveillance, une expérience négative en œuvre d’art. D’ailleurs, son projet montre bien que l’agresseur peut être monsieur tout le monde.
Hannah Price, “City of Brotherly Love”
Hannah Price, “City of Brotherly Love”
Hannah Price, “City of Brotherly Love”
À l’opposé, Julia Coddington, lors de son échange avec Genaro, partage comment, de par son âge, elle se sent invisible dans la rue. Cela lui confère un avantage dans sa pratique de la photographie de rue. Cette invisibilité, souvent considérée comme un inconvénient dans d’autres contextes, devient ici un outil qui lui permet de naviguer plus librement dans l’espace public, soulignant comment les perceptions et expériences peuvent varier grandement selon les individus. Personnellement, je pense que le harcèlement de rue et le sexisme n’ont pas d’âge. Les agressions ne sont pas réservées aux femmes plus jeunes et l’invisibilité aux plus âgées. À 25 ans, nous sommes invisibles au travail, mais pas dans la rue. Et inversement. Finalement, notre place et la manière dont on nous observe dépend des hommes. À nous de résister et de nous réapproprier l’espace et le temps, même si ce n’est pas toujours possible.
Une fois que les femmes ont surmonté les obstacles, les biais éducatifs et le malaise inconscient de leur présence dans la rue, les femmes photographes doivent se frayer un chemin pour se faire connaître dans le monde de l’art.
Hannah Price, Cursed by Night
Hannah Price, Cursed by Night
3- L’invisibilité dans le monde de l’art
Dans l'ombre des hommes : se faire reconnaître en tant que femmes
Dans la partie précédente, je vous parlais d’invisibilité. Être une femme est un combat quotidien : les réalisations des hommes sont souvent bien plus valorisées et célébrées que les contributions féminines. Elles doivent alors faire face à un double défi : celui de prouver leur talent, mais aussi leur droit d’exister face à celui des hommes alors qu’elles vivent dans un monde où leur présence est souvent minimisée ou ignorée.
Malgré des progrès, les femmes restent sous-représentées dans les expositions majeures. Les structures de pouvoir existantes dans le monde l’art tendent à perpétuer une dynamique excluante, limitant l’accès des femmes aux ressources, à la visibilité et au soutien financier. C’est le principe du boys’ club. Elles doivent évoluer dans un écosystème fermé, dans lequel les réseaux masculins dominent et viennent limiter les opportunités pour les femmes. Cette exclusion se manifeste à travers divers canaux, comme les médias spécialisés ou les galeries d’art. En effet, les médias jouent un rôle clé dans la visibilité des artistes. L’absence d’une couverture équitable contribue à l’invisibilité des femmes dans le secteur.
Julia Coddington, Into the Light
Vers une inclusion authentique
La lutte pour une représentation équitable et authentique des femmes dans le monde de l’art exige un changement structurel et culturel. Cela inclut la création de politiques inclusives, le soutien à la diversité des voix et la valorisation des contributions féminines sur un pied d'égalité avec celles des hommes.
Des efforts spécifiques sont déployés pour valoriser le travail des artistes femmes à travers l'organisation d'expositions dédiées. Un progrès notable a été observé : alors qu'en 2018, les femmes constituaient 20% des exposantes à Paris, ce pourcentage a grimpé à 36% en 2023, témoignant d'une amélioration significative. Cependant, lors de mes recherches sur Magnum et les femmes photographes, j'ai remarqué que, pour célébrer les 75 ans de l'agence, une exposition intitulée “Close Enough” leur était consacrée. A priori, c’est une excellente initiative. Néanmoins, cette exposition a été conçue autour d’une citation de Robert Capa, le fondateur de l’agence : “ Si vos photographies ne sont pas assez bonnes, c'est parce que vous n'êtes pas assez près ”. L’orientation de cette exposition autour de cette phrase est problématique parce que :
Il n’y a aucune obligation de s'approcher des gens quand on fait de la photographie de rue. Cela donne une idée erronée de la pratique.
Robert Capa oublie le privilège qu’il a d’être un homme blanc : s’approcher d’une personne dans la rue peut être mal perçu et générer des réactions défavorables, d’autant plus lorsque l’on fait partie d’un groupe minoritaire.
Enfin, la mise en avant de femmes dans le cadre d’une exposition s’articulant autour d’une citation attribuée à un homme soulève la question de la représentativité et de l’équité dans le discours sur la photographie.
À mon sens, une représentation authentique et respectueuse des femmes dans le monde de l'art sera atteinte lorsque nous leur accorderons de l'espace dans autant d'expositions, et surtout, lorsque celles-ci ne seront pas ancrées autour des propos d'un homme. Toutefois, chacun et chacune nous avons la responsabilité de diversifier notre savoir et celui des autres. Si tous les créateurs.trices de contenu, petits ou grands, s’appliquaient à être davantage inclusif.ves, cela permettrait aux passionné.es de l’être un peu plus !
Au-delà des lieux, chaque média, petit ou grand, chaîne Youtube, podcast, a la responsabilité de favoriser les représentations de tous les groupes sociaux. D’ailleurs, en tant qu’individus, nous sommes tout aussi responsables ! Nous avons le pouvoir et le devoir d’orienter et de varier nos recherches, d’aller plus loin que la première page de Google, qui présente évidemment un discours dominant.
Nous l’avons compris, l’éducation genrée, la navigation dans l’espace public et l’invisibilité persistante des femmes sont de fort obstacles à leur représentation en photographie de rue. Il est primordial de reconnaître et de valoriser la contribution des femmes, non seulement dans la photographie mais dans tous les domaines de la création artistique. Pour cela des collectifs comme Women Street Photographers, Women in Street, Unexposed, Street is a woman ou encore La part des femmes existent !
Vivian Maier, Street 3
Vivian Maier, Street 3
Vivian Maier, Street 3
Pour conclure cet article, je voudrais vous parler de Vivian Maier, si vous ne la connaissez pas déjà. Elle illustre parfaitement l’invisibilité des femmes dans la photographie. Découverte posthumément, son œuvre illustre qu’un talent extraordinaire peut rester caché lorsque les systèmes en place ne fournissent pas les moyens de reconnaissance et de soutien équitable. Maier, qui a choisi de garder son art pour elle-même de son vivant, nous rappelle que derrière chaque histoire connue se cache une multitude de talents inexplorés et de récits non racontés, souvent entravés par les barrières sociétales et les préjugés de genre.
Au-delà de l’invisibilité, son histoire illustre le contraire de la recherche de profit. Pourquoi Vivian Maier n’a jamais parlé de sa passion pour la photographie ? Était-ce par simple humilité ? Parce qu’elle n’a pas osé aller plus loin ? Cela ne l’intéressait pas ? Ce que je me demande moi c’est si son éducation et le traitement réservé aux femmes dans le monde de l’art ne l’ont pas empêché d’aller plus loin. Qu’est-ce que s’est dit Vivian lorsqu’elle a décidé que ses photos ne valaient pas la peine d’être vues ? Reconnaître son talent, c’est reconnaître ce que nous avons manqué et ce que nous ne pouvons plus nous permettre d’ignorer.
La quête de visibilité et de reconnaissance des femmes dans la photographie de rue, et dans toutes les formes d’art, doit continuer, voire s’intensifier, afin de révéler les talents cachés mais pour affirmer la richesse que nous pouvons apporter à notre tissu culturel. Cela vaut pour les femmes, mais également pour tous les groupes minoritaires. Le manifeste du collectif “La part des femmes” dit : “Plus de 80% des photographies sélectionnées ou achetées sont l'œuvre d’hommes occidentaux.” Alors, si vous êtes d’accord pour dire que ce n’est pas possible que le talent ne concernent que les hommes blancs, je vous propose un petit challenge : pendant un mois, orientez vos recherches sur des œuvres et des carrières de femmes photographes, de toutes origines, de tous milieux sociaux. L’objectif est d’être le ou la plus inclusif.ve possible ! Et si vous voulez en faire profiter tout le monde, je vous invite à partager vos trouvailles sur les réseaux sociaux à travers le #DefiDiversiteArtistique. Voilà déjà un premier pas pour agir à votre niveau !
Je commence tout de suite en vous invitant à découvrir :
Célia D. Luna avec son projet “Cholitas Bravas”
Vous en êtes ? 😉
Vous pouvez me retrouver sur : Linkedin & Instagram
Sources :
Biljana Stevanovic, Pierre Grousson et Alix de Saint-Albin. Orientation scolaire et professionnelle des filles et des garçons au collège. Évaluation d’un dispositif de sensibilisation aux métiers non-traditionnels. Les Sciences de l’éducation - Pour l’Ère nouvelle, vol. 49, n° 1, 2016, pp. 91-119. ISSN 0755-9593. ISBN 978-2-918337-26-3.
Brophy, J. E., & Good, T. L. (1986). Teacher behavior and student achievement. Handbook of research on teaching., Macmillan: 328-375. In W. M.C. (Ed.), Handbook of research on teaching (pp. 328-375). New-York: Macmillan.
JONAS Irène, « La photographie de famille : une pratique sexuée ? », Cahiers du Genre, 2010/1 (n° 48), p. 173-191. DOI : 10.3917/cdge.048.0173. URL : https://www.cairn.info/revue-cahiers-du-genre-2010-1-page-173.htm
Brenac Édith (1983). « Système S ou le bricolage au féminin ». Pénélope, n° 9, automne.
Le manifeste du collectif La part des femmes, URL : https://la-part-des-femmes.com/le-collectif-et-le-manifeste/
Comment utiliser la photographie en sociologie ?
3 procédés pour exploiter la photographie dans une recherche sociologique
The Bath of Light, Genaro Bardy
La photographie est un outil puissant employé dans nos livres d’histoire et de géographie. Elle relate des évènements, étaie des théories et bien plus encore. Son travail va au-delà de la simple capture de moments esthétiques ou mémorables. Ses applications s’étendent à diverses disciplines, notamment la sociologie. Elle offre aux chercheurs un moyen d’explorer, d’appréhender et de représenter la réalité sociale. Alors, comment utiliser la photographie en sociologie ? Il existe plusieurs approches pour exploiter les images dans les enquêtes : les analyser et les transformer en outils de recherche, de collecte des données, ou encore comme objets de restitution des résultats.
1- Analyser l’image pour la transformer en outil d’enquête
La manière la plus simple pour exploiter la photographie dans votre enquête sociologique est de s’en servir comme une donnée et de l’analyser. Ainsi, selon Becker, vous pouvez utiliser du contenu historique, journalistique, documentaire ou artistique. Chacun de ces usages apporte une perspective unique à la compréhension de la réalité sociale. L’art offre des représentations émotionnelles et subjectives du monde. A contrario, le documentaire et le photojournalisme capturent des moments authentiques et viennent refléter le quotidien.
En étudiant ces images, on rend compte de pratiques liées à une époque ou à un groupe social. Appréhender le contexte dans lequel les clichés ont été photographiés permet de constater des conditions de vie, des normes culturelles ou encore des changements sociétaux. Observez les prises de vue d’Andreas Gursky par exemple et vous y découvrirez sa vision du monde moderne. Comparez-le à d’autres auteurs à la même période et vous noterez peut-être l’ampleur de l’influence de la globalisation dans l’art.
Rappelez-vous toutefois que le cliché n’est réellement sociologique que lorsque les méthodes d’analyse sont employées pour en tirer des informations et des enseignements. Une démarche globale doit être appliquée à cette étude. Gardons en mémoire tout de même que les photographes eux aussi sont des sujets qui ont des opinions ou des perspectives qui influencent leurs œuvres. La Rocca indique que la réflexion critique sur la subjectivité des images est essentielle pour une recherche rigoureuse.
👉 Pour avoir un aperçu du travail d’Andreas Gursky, je vous invite à lire mon article “L’histoire de la photo la plus chère au monde”
2- Capturer une photographie pour la recherche sociologique
Outre l’analyse d’images existantes, la photographie peut être utilisée de différentes manières remplissant plusieurs fonctions essentielles.
2.1 Un outil de mémorisation
Selon La Rocca, la photographie témoigne des lieux, des interactions sociales ou encore des aspects importants de la vie quotidienne. Comme le dictaphone, elle enregistre l’information pour le sociologue qui la traitera avec le recul nécessaire. L’analyse du chercheur devient ainsi plus complète. Elle ne se base plus uniquement sur ses notes, ses observations ou sa mémoire. La perte de données est donc moindre. Du contenu supplémentaire est accumulé alors qu’il aurait pu être invisible au premier abord.
2.2 Outil de médiation auprès des enquêtés
Fabio La Rocca établit la pratique de la “photo-elicitation”. L’image se transforme en un outil de médiation entre l’enquêteur, qui expose des clichés, et l’enquêté qui les commente. D’une personne à une autre, ou encore d’une communauté à une autre, les interprétations peuvent différer. Sans mise en situation, ces informations deviennent inatteignables.
Par ailleurs, l’entretien est un exercice complexe pour les enquêtés. Ils peuvent être parfois intimidés, peu loquaces et ainsi fournir des réponses lacunaires et concises, peu bénéfiques à la recherche. L’utilisation du photolangage intervient comme solution à cette difficulté.
2.3 Outil d’échantillonnage
Le travail de Robert Frank dans “Les Américains” est un exemple pertinent de l’utilité de la photographie comme outil d’échantillonnage. En capturant des scènes diversifiées de la vie américaine des années 1950, il a pu fournir un éventail visuel et varié de la société à cette époque.
Le chercheur comprend davantage les caractéristiques et les dynamiques sociales pour une période. Cela complète et enrichit les données textuelles ou auditives, permettant d’obtenir une vision plus globale de la réalité étudiée.
2.4 Outil de récolte de données : La native image making
Pour finir, le “native image making”, notion abordée par Wagner en 1979, implique de laisser aux enquêtés le pouvoir de photographier leur quotidien et leur environnement. Les participants s’approprient ainsi leur propre représentation. Si la subjectivité est évidente dans ce cadre, elle l’est également dans celui des entretiens. Il est toutefois primordial d’en tenir compte lors de l’analyse des données. En encourageant les interviewés à documenter leur réalité sociale, cette approche permet d’accéder à des perspectives uniques et d’obtenir des informations plus intimes et plus personnelles. L’image qu’un individu peut vouloir exprimer en face à face, ou celle qu’il aura l’audace d’exhiber par le biais d’un média sont différentes.
La subjectivité de la photographie est un défi pour les chercheurs. L’objectivité totale est impossible de part et d'autre. La Rocca l’indique clairement : photographe, sociologue ou participant, chacun apporte ses propres valeurs, biais et interprétations dans la capture d’un cliché.
3- Restituer visuellement les résultats d’une étude menée
Dans le cadre d’une enquête, la photographie peut être un élément de restitution essentiel. En effet, en associant les images aux analyses textuelles, les chercheurs peuvent présenter leurs conclusions de manière plus percutante et captivante. Par ailleurs, elles fournissent des preuves visuelles qui confortent les arguments et apportent un éclairage supplémentaire sur les phénomènes sociaux.
Cette restitution offre une dimension impactante aux résultats de l’investigation. Elle peut être facilitatrice lorsque les sujets étudiés sont complexes ou difficiles à décrire uniquement par des mots.
L'utilisation de photographies contribue également à la communication avec un auditoire plus large. Les images ont un pouvoir émotionnel et peuvent toucher les spectateurs d'une manière plus profonde que les données brutes ou les analyses statistiques. Cela rend la recherche sociologique plus accessible et permet d'engager un public plus diversifié et intéressé. Des expositions peuvent être organisées pour sensibiliser aux problématiques sociales importantes.
Cependant, il est crucial que les chercheurs soient conscients des responsabilités éthiques liées à l’usage de photographies dans la restitution des résultats. Ainsi, ils doivent s’assurer de respecter le droit à la vie privée des personnes et d’obtenir leur consentement éclairé avant utilisation publique. Ils doivent également veiller à ne pas manipuler ou déformer les images afin de préserver leur authenticité et leur intégrité en tant que sources d'information.
La photographie propose aux sociologues une palette d’outils pour explorer, capturer et témoigner de la réalité sociale. En analysant des clichés, en les exploitant comme un moyen de communication visuelle ou média de restitution, les chercheurs approfondissent leur compréhension du monde et en offrent de nouvelles perspectives. Ils apportent des preuves, non modifiables, à leur enquête et en renforcent sa crédibilité. La prise de vue artistique, journalistique ou documentaire vient en dire beaucoup sur nos sociétés. D’ailleurs, n’est-ce pas ce que nous, photographes, exécutons au quotidien ? Témoigner de la réalité que l’on observe.
Références :
Mathilde Buliard, « François Cardi, Photographie et sciences sociales. Essai de sociologie visuelle », Lectures [En ligne], Les comptes rendus, mis en ligne le 23 février 2022, consulté le 21 juillet 2023. URL: http://journals.openedition.org/lectures/54528 https://doi.org/10.4000/lectures.54528
LA ROCCA Fabio, « Introduction à la sociologie visuelle », Sociétés, 2007/1 (no 95), p. 33-40. DOI : 10.3917/soc.095.0033. URL : https://www.cairn.info/revue-societes-2007-1-page-33.htm
Becker Howard S. Sociologie visuelle, photographie documentaire et photojournalisme. In: Communications, 71, 2001. Le parti pris du document, sous la direction de Jean-François Chevrier et Philippe Roussin. pp. 333-351.
www.persee.fr/doc/comm_0588-8018_2001_num_71_1_2091
L’histoire de la photo la plus chère du monde (et de son auteur)
Quand l’art contemporain se penche sur les clichés les plus onéreux jamais vendus, le nom d’Andreas Gursky surgit inévitablement. Figure énigmatique qui transcende les frontières de la photographie traditionnelle, il est l’auteur de l’image qui a longtemps détenu le titre de « la photo la plus chère au monde ». Comment son œuvre a-t-elle acquis une telle aura ?
Avez-vous déjà vu la photo la plus chère du monde ? Savez-vous qui en est son auteur ? Que la réponse soit oui ou non, je vous invite à lever le voile, avec moi, sur l’originalité et la créativité de l'œuvre et de son artiste. Nous allons observer sa capacité à transcender les limites de la photo afin d’exploiter d’autres techniques de formes artistiques. Quand l’art contemporain se penche sur les clichés les plus onéreux jamais vendus, le nom d’Andreas Gursky surgit inévitablement. Figure énigmatique qui transcende les frontières de la photographie traditionnelle, il est l’auteur de l’image qui a longtemps détenu le titre de « la photo la plus chère au monde ». Comment son œuvre a-t-elle acquis une telle aura ? Qui se cache derrière ces photos ? Préparez-vous à être émerveillé par l'univers captivant d'Andreas Gursky, où le réel et l'imaginaire se mêlent dans un ballet visuel saisissant, offrant un regard unique sur notre monde moderne.
1- L’apprentissage d’Andreas Gürksy
Un pied dans la photographie depuis l’enfance
Andreas Gursky est né le 14 janvier 1955 en Allemagne de l’Est. À deux ans, sa famille décide de déménager à l’Ouest, à Düsseldorf. Ses parents étaient propriétaires d’un studio photo. Nous aurions pu penser que la photographie se révélerait être un choix de carrière évident pour l’artiste. Toutefois, celui-ci y a été opposé pendant de nombreuses années, n’envisageant absolument pas de reproduire le schéma familial. Le destin, parfois taquin, l’a dérouté pendant quelques années avant de le guider vers le chemin d’un avenir artistique extraordinaire.
Andreas Gursky s’initie à la photographie à la Folkwangschule d’Essen. Il y apprendra le photojournalisme. Pendant ses études, il travaille comme chauffeur de taxi afin de subvenir à ses besoins. En 1980, après de vaines tentatives de trouver un emploi en qualité de reporter photographique, un ami lui suggère de s'inscrire à l’École des beaux-arts de Düsseldorf. Il y fera la rencontre déterminante des chasseurs d’images Hilla et Bernd Becher. Ils deviendront ses mentors.
Ils sont tous deux renommés pour leurs tirages capturés en noir et blanc. Ils enseignent donc tout naturellement à leurs élèves leurs techniques de prise de vue. Toutefois, après un an, Andreas Gursky se distingue en faisant le choix audacieux de ne se consacrer qu’à la couleur. Sa décision marque le début d’une exploration artistique hors du commun.
« Je ne suis intéressé que par l’espèce humaine et son environnement » - Andreas Gürky
Gürsky se concentre d’abord sur des éléments du quotidien, spontanés. Sa première photo exhibée s’intitule : « La gazinière allumée ». Capturée en 1980, elle annonce le décalage de ses futures œuvres par rapport à celles proposées à cette époque. L’influence de ses professeurs et leur appétence pour les objets bruts se reflètent dans ses premiers travaux.
C’est en 1987 qu’il présente sa première exposition en solo à l’aéroport de Düsseldorf. Son style unique sera révélé à travers des photographies capturées pendant quatre ans. Elles mettent en exergue des employés de sécurité dans des halls d’immeuble à travers toute l’Allemagne.
Sa fascination pour le monde contemporain marque sa photographie. Il montre progressivement une ambiance urbaine et industrielle, saisissant des scènes captivantes où la répétition anonyme de l’expérience humaine moderne vient dévoiler toute sa complexité. La contrainte sociale qui pèse sur les personnes s’observe dans ses photos. La position de Gursky quant à son art est ferme :
« Je ne suis jamais intéressé par l’individu, mais par l’espèce humaine et son environnement ».
Son objectif est d’exposer une réalité à un moment donné et de laisser libre-court à l’interprétation de son spectateur.
2- Le photographe le plus minutieux et patient
Une fois décidé à se lancer dans la photographie et après avoir pris position sur sa manière d’exercer son art, Gursky a, petit à petit, affiné sa manière de travailler. Dans une société où la photographie se fige souvent dans la prise de vue instantanée, Andreas Gursky fait usage de patience et de minutie pour capturer des moments uniques, voire inexistants. Il observe le monde avec un regard large et captivant. Ses techniques pour nous l’exposer : un choix du sujet précis, des outils innovants, une mise en scène picturale et une production parcimonieuse.
Comment choisit-il ses sujets ?
Dans un premier temps, Andreas Gursky a commencé à photographier de manière très spontanée. Il a ensuite, petit à petit, pris le temps de choisir son sujet. Il étudie les différents lieux qui pourraient l’intéresser et s’y rend avec une idée précise de ce qu’il va shooter.
Il vient explorer des thèmes qui dévoilent l’essence même de l’époque dans laquelle nous vivons en photographiant au-delà de l’évidence. Il met en lumière l’histoire de l’ère de la globalisation. Les clichés des échanges financiers planétaires en sont un exemple. D’ailleurs, cette série initiée par sa photographie emblématique de la Bourse de Tokyo en 1990, ne vous rappelle-t-elle pas vos livres de géographie ouverts au chapitre de la mondialisation ?
Gursky brise les barrières en adoptant une perspective unique. Il se rend dans des endroits inaccessibles et les ouvre au grand public à travers ses images.
Il indique avoir capturé de nombreuses photos, les stocker et ne les ressortir pour travailler dessus que des années plus tard, lorsqu’il décide d’en faire un sujet.
Andreas Gursky, " Frankfurt ", 2007
Andreas Gursky, " Tokyo, stock exchange ", 1990
Des outils innovants au service d’œuvres gigantesques
Dès ses débuts, Gürsky a été attiré par les grands formats. En effet, les dimensions monumentales confèrent de l’ampleur à ses photographies et permettent au spectateur de se plonger dans l’image. Au départ, il recomposait ses épreuves pour les agrandir et créer des panoramas étonnants. L’étendue de ses tirages et l’innovation que cela représentait ont donné une importance fondamentale à son travail. Ses impressions peuvent mesurer jusqu’à trois mètres de long. Dès les années 80, Gürsky produit des scènes tellement larges qu’elles ne peuvent être tirées que dans un laboratoire commercial. Grâce à ces dimensions, l’observateur qui se rapproche peut étudier le moindre détail que Gursky aura choisi avec attention. L’évolution du numérique l’a emmené plus loin dans son exploration artistique en ajoutant et supprimant des éléments, mais également en jouant avec la composition pour constituer des spectacles uniques reflétant sa propre vision du monde. Ses images défient alors les limites du réel et invitent le participant dans un univers à la fois familier et étrange. Sa maîtrise de l’outil lui permet de créer des images exceptionnellement nettes et précises.
Sur la photographie « 99 Cent II », quand Gursky s’attèle à la retouche, il augmente la colorisation pour attirer le regard. Il ajoute un miroir au plafond afin de multiplier l’effet de répétition. Sur cette prise de vue, des allées ont également été greffées. Il vient ainsi nous offrir un spectacle qui n’existe pas réellement.
Andreas Gursky, “ 99 cent ”, 1999
Parfois, ses montages alimentent une utopie que lui seul aperçoit. En 2015, avec « Review », il propose un cliché de quatre chanceliers allemands : Gerhard Schröder, Helmut Schmidt, Angela Merkel et Helmut Kohl. Ils observent la peinture de Barnett Newman’s « Vir Heroicus Sublimis ». Incroyable, mais faux. Cette prise de vue est composée de toute pièce par son auteur. Les quatre politiciens ne se sont jamais retrouvés ensemble à cet endroit.
Gursky, avec les instruments en sa possession, joue avec la réalité et le reconstitue à sa guise.
Andreas Gursky, " Review ", 2015
Au-delà de l’outil numérique, il a également décidé d’utiliser des grues ou encore des hélicoptères pour obtenir une perspective aérienne et de souligner l’immensité de nos environnements urbains et industriels. Pour exemple, « Madonna I » photographie de l’un des concerts de Madonna en 2001.
Il capture la globalité des scènes et révèle des détails insoupçonnés invisibles à l’observateur du quotidien.
Andreas Gursky, " Madonna I ", 2001
Mise en scène et gigantisme
Profondément influencé par sa passion et sa fascination pour la peinture, Gursky en utilise les techniques dans sa composition photographique. Si nous avons pu voir qu’il retouchait ses clichés, il planifie également le décor en le réfléchissant en amont et en faisant poser ses sujets. Comme un peintre, il les met en scène et leur demande de changer leur tenue par exemple. Il manipule le moindre ingrédient afin de laisser apparaître ce que lui souhaite montrer.
Il retravaille ensuite l’image en composant et inventant des éléments qui n’existent pas. Si l’on récapitule, son procédé créatif est déroulé en plusieurs étapes :
Le choix du sujet et la définition de ce qu’il veut en montrer
La mise en scène de la prise de vue et sa capture
La retouche photographique pour ajouter des éléments, mais également composer des œuvres plus grandes
D’ailleurs, si le journaliste Eddy Frankel indique :
« La taille compte dans l’art. Il y a plusieurs centaines d’années, les seuls sujets autorisés à être peints très grands étaient des scènes de la Bible ou de l’Histoire. Gros signifiait important, cela signifiait spécial. ».
Nous pouvons nous demander si ce n’est justement pas l’objectif de Gursky : être spécial grâce à la dimension de ses images mais également par le point de vue omniscient qu’il utilise dans ses photographies. Il adopte une vision divine du monde. Sur « Paris, Montparnasse », par exemple, l’absence de cadre implique une possibilité de reproduction à l’infini. Dans ses œuvres, il ne se contente pas de simplement documenter la réalité, mais il en crée une à part entière.
Andreas Gursky, “ Paris, Montparnasse ”, 1993
Andreas Gursky, " Pyongyang I ", 2007
8 photos par an
L’indépendance qu’Andreas Gursky a gagnée au cours de sa vie en vendant son art lui permet aujourd’hui de se concentrer sur la qualité plutôt que la quantité. Il ne diffuse qu’un nombre limité de clichés par an, environ 8. Cette création parcimonieuse témoigne de son approche méticuleuse et de sa quête de la perfection visuelle. Chaque photo est le fruit d’un long travail de recherche et de retouche. Il ne se contente pas de capturer, mais conçoit des compositions puissantes résistantes à l’épreuve du temps.
Ne s’agirait-il pas d’une critique implicite de la production de masse ? En exposant moins, Gursky met l’accent sur l’importance de l’expression artistique authentique et réfléchie. Dans la précision de ses images, il force l’observateur à s’attarder et à analyser le moindre des détails s’il veut saisir l’essence de la photographie.
3- Pourquoi l’œuvre d’Andreas Gürsky est originale ?
Inspiré par la société de consommation
Son travail est marqué par l’abondance de détails, qui capturent l’essence de la globalisation et de la société de consommation. Il souligne la répétition qui caractérise ces univers modernes qui le fascinent. Il nous offre un regard nouveau et une prise de recul sur des images familières. La redondance met aussi en lumière la monotonie et la routine dans lesquelles les humains semblent parfois piégés. Sa vision force le spectateur à plonger dans des scènes d’une puissance visuelle saisissante. Toutefois, il ne cherche pas à exprimer des opinions politiques à travers ses photos, mais plutôt à rendre compte de la réalité telle qu’elle est, sans jugement ni critiques. Il nous laisse le soin, à nous, spectateurs, d’interpréter et de réfléchir sur ces scènes.
Andreas Gursky, « Bergwerk Ost », 2008.
Il intègre la musique dans ses expositions
Au-delà de la photographie traditionnelle, Andreas Gursky explore de nouvelles voies créatives en intégrant des éléments sonores à certaines de ses expositions. Pour « Not Abstract II » en 2016, organisée à la Gagosian Gallery de New York, l’artiste a invité le DJ et producteur Richie Hawtin à composer une bande sonore qui accompagnerait ses clichés. Avec cet ajout, Gursky souhaitait encourager le public à prendre le temps de s’immerger davantage dans l’univers de ses images.
Gursky, passionné par la techno, en a même fait un sujet de travail. « Dance Valley » en est un exemple. À juste titre, dans son interview pour le magazine Vice, Laura Käding, journaliste, n’hésite pas à lui faire remarquer que ses photographies, comme la musique électronique, comportent des séquences, des répétitions et des fréquences.
Bien que Gursky soit principalement connu pour ses impressions de grandes tailles, il ne se limite pas à ce format. Il a également exploré des séries de tirages de plus petite dimension, comme celle sur les super héros. Cette dernière témoigne de sa créativité sans limites et de sa capacité à expérimenter au-delà des conventions.
Andreas Gursky, “ SH III ”, 2014
4- Voici, la photo la plus chère du monde
C’est ce parcours avec les différentes influences qui s’y sont greffées qui ont amené à l’édition de la photographie la plus chère au monde : « Rhin II ». Capturée en 1999, cette image minimaliste expose le Rhin dans une composition épurée et sans présence humaine. La force de la nature, tranquille et majestueuse, y est mise en avant.
Elle est le résultat de nombreuses heures de travail, pendant lesquelles Gursky s’est attaché à effacer toute trace de l’homme. En effet, comme évoqué précédemment, il a souhaité que le Rhin représente le calme et l’infini : mission réussie ! En 2011, pour cette image, il a obtenu 4.3 millions de dollars lors d’ enchères. Elle a été jusqu’en 2022 la photographie la plus chère au monde.
Si elle a été vendue à ce prix, c’est parce qu’il n’y en a que 6 exemplaires. Celle-ci en étant le plus grand. Son unicité la rend rare et coûteuse. Par ailleurs, sur les 5 autres tirages, 4 sont exposés dans des musées, rendant ainsi inaccessible l’acquisition de cette photographie.
Andreas Gursky, “ Rhin II ”, 1999
Notre fascinante aventure dans le monde artistique d’Andreas Gursky touche à sa fin. Son regard sur le monde, sa vision, son obsession pour les détails et sa capacité à capturer des scènes puissantes en font un photographe hors du commun. « Rhin II » incarne non seulement la vision artistique de Gursky, mais a également influencé l’art contemporain en remodelant la manière dont nous percevons le monde qui nous entoure. L’artiste et son œuvre ont transformé l’art contemporain en élargissant les horizons de la photographie, en remettant en question les conventions artistiques et en soulevant des débats cruciaux sur la société moderne, la globalisation et la surconsommation.
Aujourd’hui, la qualité du travail d’Andreas Gursky est connue de tous les collectionneurs. La vente de ses clichés lui a permis de diminuer les voyages et de ne plus avoir à systématiquement exposer son travail. En plus de son métier, il est également professeur à l’académie des Beaux-Arts de Düsseldorf. Il partage un studio avec d’autres confrères photographes. Sera-t-il, comme l’ont été Hilla et Bernd Becher, le mentor de l’auteur ou de l’autrice de la nouvelle image la plus chère au monde ?
Références :
https://www.ericcanto.com/andreas-gursky-photographe/
https://www.artmajeur.com/fr/magazine/8-portraits-d-artistes/andreas-gursky-capturer-l-echelle-monumentale-du-monde-moderne/333853
https://www.independent.co.uk/arts-entertainment/art/features/andreas-gursky-a-god-s-eye-view-of-the-world-9322396.html
https://www.vice.com/en/article/78egzy/exclusive-andreas-gursky-richie-hawtin-nicht-abstract
https://totallyhistory.com/andreas-gursky/
https://gagosian.com/quarterly/2022/05/05/interview-andreas-gursky-max-dax/
https://www.timeout.com/london/art/andreas-gursky-2