Comment rester inspiré
Le principal obstacle en photographie est de rester chez soi pour de mauvaises raisons. Vous aurez peut être peur d'aller vous confronter aux autres, peut-être que la météo n'est pas clémente, peut être que vous avez décidé de manière totalement arbitraire que vous devez photographier à la tombée du jour, alors que vous êtes en couvre-feu.
Peut-être que vous avez décidé de travailler sur un projet qui ne contient que des paysages alors que vous vivez dans une grande ville. Peut-être que vous prenez le prétexte d'un futur voyage, et vous commencerez à photographier là bas. Et je ne vous parle même pas de la bêtise de croire que nous avons besoin d'une optique ou d'un nouvel appareil. Je connais ce problème, je crois qu'il ne me quitte jamais vraiment : nous trouvons toujours une raison de ne pas photographier.
Il me semble pourtant essentiel de toujours continuer à produire des photos, le plus souvent possible. En premier lieu, c'est le seul moyen de progresser et d'élever le niveau de ses photos. Pour progresser, il convient de produire beaucoup pour chercher une expertise. Cette expertise ne s'acquiert qu'avec un gros volume de pratique dans les bonnes conditions. C'est à dire qu'il convient de photographier beaucoup en cherchant à produire des photos d'une qualité exceptionnelle.
Arrive alors la question évidente quand on a posé ces principes : comment savoir si sa production va dans la bonne direction ?
Ce qui est fabuleux en photographie, c'est que la source d'inspiration pour trouver des sujets à photographier, chercher des projets photographiques à mener, pour contrer toutes les fausses raisons que l'on se donne ET pour viser un niveau exceptionnel est toujours la même :
Lire des livres photo des grands photographes.
Lire des livres photo vous montrera le niveau à atteindre. Si vous analyser les photos pour ce qu'elles sont et pas uniquement le sentiment qu'elles vous procurent, vous pouvez en déduire la manière dont elles ont été produites. Et ainsi, vous améliorerez vos propres photos.
Lire des livres vous montrera ce qui a déjà été fait par les plus grands. Cela ne vous empêchera pas de continuer à photographier les mêmes sujets ou des projets similaires. Vous saurez simplement où vous situer et pourrez essayer d'apporter une petite pierre à l'édifice. C'est tout ce que nous pouvons espérer.
Lire des livres vous montrera qu'une grande majorité des livres photo des grands maîtres de la photographie ont été produits là où ils ont vécu. Commencez à photographier en bas de chez vous. Commencez par photographier votre quotidien. La photographie, c'est ce à quoi vous avez accès. Tout est déjà là, autour de vous.
Mon dernier conseil sera de vous dire d'utiliser l'appareil que vous connaissez le mieux, avec une seule optique fixe, aussi longtemps que vous pourrez. Photographier c'est d'abord voir, on voit mieux quand on est habitué à une focale.
Personnellement, je me suis séparé de 80% de mes livres photo quand j'ai quitté la France pour le Brésil. Mais depuis que j'ai posé le pied à Salvador, c'est un livre photo par mois minimum. C'est la première ligne de mon budget. Et bien souvent c'est un livre par semaine. Avec l'importation fréquente et les temps de transport Brésiliens, je reçois parfois mes livres après plusieurs mois, c'est toujours une bonne surprise. Et quand je reçois un livre, j'en commande immédiatement un autre.
Pour rester inspiré, achetez des livres.
La livraison du jour :
New York in Color 1952 1962 par Ernst Haas - Commandez-le ici
Lupin - Techniques de composition
Suite de la série Cinéma et Photographie. Puisque les salles obscures n'ont toujours pas réouvert leurs portes, je vous propose aujourd'hui encore un grand succès de Netflix pour y analyser différentes techniques de composition.
S'inspirer des films est probablement le moyen le plus simple (paresseux?) pour progresser en photographie, je me dois tout de même de prendre quelques précautions.
Les techniques de compositions ici sont toujours utilisées avec des personnages puisque nous sommes dans un contexte narratif. Même si les valeurs de plans sont souvent beaucoup plus serrées que dans la photographie que vous pratiquez, ces techniques seront utiles et universelles. En d'autres termes, ce n'est pas fait que pour les portraitistes.
Ce ne sont en aucun cas des règles de composition. Ce sont des outils qui doivent vous servir à remplir votre cadre et penser ce qu'il contient.
Technique des tiers
Découpez votre cadre en 3 horizontalement et verticalement. Positionnez vos sujets à l'intersection ou le long des lignes de tiers.
Symétrie
Donnez de l'équilibre et de la force à votre image en la rendant parfaitement symétrique.
L'effet est encore plus fort quand la symétrie est interrompue.
Centrer le sujet
Placez votre sujet au centre de l'image. Dans un film c'est une technique évidente, voire nécessaire avec les formats utilisés plus longs qu'en photographie.
Contrastes
Créez un contraste fort entre votre premier plan et l'arrière plan.
Lignes Directrices
Utilisez les diagonales ou les lignes de fuite pour attirer l'attention vers votre sujet.
Motifs et répétition
Utilisez dans un même cadre des sujets, couleurs ou motifs qui se répètent pour créer une harmonie.
Profondeur
Donnez de la profondeur à vos images en faisant dialoguer votre premier plan et votre arrière-plan.
Triangle
Utilisée surtout dans des dialogues pour les films, cette technique de composition est très efficace pour positionner plusieurs sujets avec une dynamique ou un nouveau niveau de lecture.
Si ça vous a plu, il y en a d'autres :
Photographe de quoi ?
Pendant une période qui me paraît si longue maintenant que je regarde en arrière, j'étais un professionnel de la communication et de la vente, mais je ne rêvais que de devenir photographe. C'était en même temps une volonté obstinée et têtue, et une sorte de secret dont je ne parlais à personne, submergé par la peur d'être un imposteur.
Je visitais autant d'expos que je pouvais, je me forçais à garder un appareil en permanence avec moi et je photographiais essentiellement dans la rue et aux événements où mon blog me donnait la chance d'être invité. J'ai refusé plusieurs propositions de jobs ou d'association dans la communication, souvent après avoir commencé à travailler. J'acceptais parce que je croyais à l'opportunité qui se présentait et je pensais avoir des compétences utiles au projet. Mais toujours quand je m'engouffrais dans le travail, je cherchais la sortie en pensant "non, ce que je veux dans ma vie, c'est la photographie".
Et pourtant, je ne savais rien ou presque de la photographie professionnelle. Je n'avais aucune idée de comment en vivre, de comment mes photos pourraient intéresser un client. Je ne savais pas qui étaient les clients, je ne savais pas ce dont ils avaient besoin et je cherchais très peu à le savoir. Plus que tout, je regarde maintenant les photos de l'époque comme celles d'un grand débutant dans la pratique. J'étais en plein syndrome Dunn Kruger, du mauvais côté de la colline, je ne savais même pas produire les photos dont j'espérais tant.
Dunning Kruger Effect
On ne sait pas à quel point on est un mauvais photographe, tant qu'on a pas progressé. Malheureusement, cette phrase est difficile à entendre. Je le vois maintenant instantanément, avec une série de photographies que je trouve moyenne, qui ne sort pas de l'ordinaire. Je crois même pouvoir identifier rapidement une pratique assez "jeune", c'est à dire avec peu d'expérience. Et je garde toujours avec moi cette phrase que me dit une des premières personnes à qui je confiais mon désir ardent de devenir photographe :
Tu veux être photographe de quoi ?
Une amie qui me voulait du bien
Elle était photographe professionnelle. Je lui proposais de nous retrouver pour un café, pour partager nos histoires après 20 ans sans se voir depuis nos années d'adolescence. Je crois qu'elle reste la première personne à qui je confiais mon souhait de me professionnaliser. Sa réponse m'a laissé éteint, secoué. Dans mon souvenir, le sang m'est monté à la tête : je n'en avais aucune idée.
Après notre rencontre, j'ai d'abord eu une réaction de rejet de cette phrase. "Elle photographie en studio, tous les jours pour des archives d'un musée, elle ne sait rien de ma photo ou de ce que je veux faire". Mais en réalité, je ne le savais pas non plus. Blanc-bec et vexé, j'ai ruminé longtemps cette phrase, pour finalement mieux la comprendre.
Je suis toujours le photographe d'un sujet. J'ai toujours besoin de me définir comme photographe si je veux être compris par les autres, notamment ceux qui achètent mes photos. Il y a mille manières d'être photographe, selon les spécialités que l'on pratique, les sujets ou les genres que l'on connaît le mieux.
On peut vendre sa photo comme un service, alors il sera préférable de bien connaître les clients dont on souhaite des commandes et de montrer une expertise dans les genres et styles de photos qu'ils recherchent. On peut vendre sa photo comme un produit, et si les agences de photo-stock à 2 € la photo ne sont pas les cibles, il sera préférable de se présenter comme un artiste. Dans une œuvre d'art, quel que soit le marché auquel on appartient, l'histoire du photographe est aussi importante que ce qu'il montre.
Ainsi, une seule question se pose vraiment : de quoi voulons-nous être le ou la photographe?
Avec les années, j'ai eu beaucoup de clients différents avec des photos très différentes. J'ai été un photographe limace, qui laisse sa bave partout. Mais les projets les plus passionnants et ceux qui m'ont mené le plus loin, ce sont ceux pour lesquels je me suis fixé un objectif, où j'ai poussé les portes (ou envoyé des messages électriques) en disant "je".
"Je veux être photographe de voyage". Si tant est que cela veuille dire quelque chose, j'ai travaillé longtemps pour des agences et des magazines de voyage et c'était comme cela que je me définissais avant tout. "Je veux photographier le paradoxe des villes désertes". Je veux en faire un livre et exposer. Je ne me suis pas arrêté tant que je n'ai pas atteint ces objectifs.
Et alors aujourd'hui, je suis photographe de quoi ? C'est encore trop tôt pour vous le dire, mais dès que je pourrai vous le montrer, vous verrez de quoi il s'agit.
5 leçons de Photographie avec Stephen Shore
Stephen Shore (né en 1947 à New York) est un photographe américain célèbre pour avoir participé à partir de 1972 à la reconnaissance de la photographie couleur comme art à part entière dans les musées et les galeries d'art à une époque où le noir et blanc était encore prédominant.
Il est notamment connu pour avoir eu trois photos achetées par Edward Steichen, administrateur du Museum of Modern Art (MoMA) de New York alors qu'il n'avait que 14 ans. Par ailleurs, il rencontre à 17 ans Andy Warhol, et photographie la Factory et son monde de 1965 à 1968.
Stephen Shore se considère avant tout comme un artiste, il s'est insurgé contre l'esthétisme qui dominait la photographie américaine de l'époque. Pour lui, tout mérite d'être photographié, sans distinction aucune. Son œuvre est ainsi constituée de photographies de paysages aussi bien que de clichés de ses repas dans des hôtels miteux du Texas. Sa démarche était particulièrement novatrice, et comme pour son contemporain William Eggleston, le choix de la couleur participe de cette lutte contre l'esthétisme, au profit d'un regard plus objectif sur la réalité de l'Amérique.
Stephen Shore est également un des meilleurs professeur de photographie qu'il m'ait été donné de découvrir. La simplicité et la pertinence de l'analyse qu'il propose dans son livre "Leçon de Photographie" en font pour moi un livre majeur. Les principes expliqués sur la nature d'une photographie sont essentiels pour tout débutant en photographie.
Parmi les différentes interviews de Stephen Shore, je vous propose ici les passages que j'ai trouvés les plus intéressants de ses échanges avec David Campany, écrivain et curateur d'expositions.
Ambition et inspiration
David Campany : Avez-vous reçu un quelconque enseignement artistique à l'école?
Stephen Shore : Non. J'avais pris des cours d'Art, mais je ne crois pas qu'il y ait une quelconque relation avec mon intérêt pour les photographies. [...] Je développais les instantanés familiaux dès l'âge de 6 ans, vers 8 ans j'ai naturellement commencé à prendre des photos.
DC : Ça peut être un avantage, de n'arriver sans aucun bagage ou histoire avec le medium.
SS : Oui. Si vous avez de l'ambition.
DC : Votre ambition culturelle venait d'où ?
SS : Nous vivions dans une maison d'appartements, l'homme vivant à l'étage était très cultivé-à la tête d'un label de musique. Il connaissait mon intérêt pour la photographie, et pour mon dixième anniversaire il me donna un exemplaire d'American Photographs de Walker Evans.
DC : Wow, commencer au sommet. C'est un livre difficile à beaucoup de points de vue.
SS : Oh oui. Je suis reconnaissant qu'il m'ait donné cette avance. Ma vie aurait été changée s'il m'avait donné un autre livre, plus accessible.
in WAYS OF MAKING PICTURES, interview by David Campany
L'ambition est un caractère qui me paraît essentiel pour quiconque a des vocations artistiques dans sa photographie. À dire vrai, probablement pour tout type de photographie.
L'ambition ne correspond pas nécessairement à la volonté d'être exposé ou d'être choisi par les personnes qui dirigent des musées. Quand je parle d'ambition, je pense plutôt au "niveau" de photographie qu'un photographe est susceptible d'atteindre.
Pour produire vos meilleures photos, il est nécessaire d'en avoir l'ambition, parce que cela implique beaucoup de travail. Un travail d'analyse sur les éléments formels qui constituent vos photos, de la composition aux effets de planéité, en passant par tout ce qui constitue la nature d'une photographie. Un travail sur la symbolique et le sens du message ou de l'émotion qui est transmise par vos photos. Un travail gigantesque à la production et à l'édition et la sélection des photos.
Pour la prise de vue, ne vous trouverez des photos exceptionnelles qu'en les cherchant, et en ayant effectué le travail nécessaire sur l'analyse et l'édition de photos.
Photo Stephen Shore - American Surfaces
Photo Stephen Shore - American Surfaces
Photo Stephen Shore - American Surfaces
Photo Stephen Shore - American Surfaces
Lumière et profondeur de champ
David Campany : Beaucoup de photographes ont un problème avec les hautes lumières, les ciels bleus et les tonalités dramatiques des ombres, mais c'est exactement ce que vous préférez.
Stephen Shore : Pour moi, cette lumière du Sud-Ouest Américain communique une clarté d'esprit, donc il y a une attirance psychologique. Ce n'en est pas simplement un symbole, mais aussi une représentation. Aussi, si vous travaillez dans cette lumière assez longtemps, vous devez apprendre à intégrer picturalement ces ombres pour qu'elles ne deviennent pas dominantes dans la photo. Il faut tenir compte structurellement des ombres.
DC : La raison pourrait être aussi physiologique ? Avec beaucoup de lumière, nos pupilles sont plus petites, donc la profondeur du champ de vision est beaucoup plus longue.
SS : Quand on se concentre pour un problème de mathématique, ou pour prendre des photos, les pupilles se dilatent naturellement, et réduisent la profondeur de champ. Quand je me concentre pour prendre une photo, je comprends qu'un espace en trois dimensions se réduit au plan de l'image. Avec les pupilles dilatées, je ne suis pas capable de voir la relation entre l'arrière-plan et le premier plan. Il faut se familiariser avec cela pour que ce ne soit plus une contrainte mentale.
in WAYS OF MAKING PICTURES, interview by David Campany
Stephen Shore évoque ici le travail accompli pour l'exposition puis le livre American Surfaces.
La photographie est en premier lieu une expérience physique, "voir" vient avant la photographie. Il est intéressant de constater que les conditions atmosphériques, la météo, la température, l'humidité ou la pression atmosphérique, vont influencer votre manière de voir.
Cela me rappelle également les nombreux voyages photo où je répète inlassablement qu'une mauvaise météo n'existe pas, il n'y a que ce que nous en faisons en photo.
Photo Stephen Shore - Uncommon Places
Photo Stephen Shore - Uncommon Places
Photo Stephen Shore - Uncommon Places
Photo Stephen Shore - Uncommon Places
Photo Stephen Shore
Photo Stephen Shore
Photographier en couleur
Stephen Shore : Alors que je travaillais sur 'Uncommon Places' en couleur, je déjeunais avec Paul Strand qui me dit, avec la politesse d'un ancien qui parle à un jeune artiste, que l'on ne pouvait pas communiquer les plus hautes émotions en couleur.
David Campany : C'était une opinion bien ancrée à l'époque.
SS : Je me souviens avoir pensé : Que penserait Kandinsky de cette phrase?.
DC : Même s'ils n'étaient pas enthousiastes avec la couleur, beaucoup de photographes étaient équivoques. Walker Evans avait publié de la couleur depuis 1945, mais continuait à dire que c'était vulgaire et uniquement viable artistiquement si le sujet était la vulgarité d'objets ou de surfaces fabriqués par l'homme.
SS : Je comprends ça. Au début des années 80, j'ai réalisé que photographier en couleur la nature jamais touchée par l'homme, est très difficile. Cela pose beaucoup de problèmes. Ceux qui venaient voir mes photos à l'exposition et voyaient simplement une sorte de papier peint. J'ai montré ces photos beaucoup plus récemment, en proposant des tirages légèrement plus grands et encadrés. Ça a retiré le côté "instantanés" mais donné plus de place au spectateur pour bien regarder chaque photo attentivement et la série comme un ensemble.
in WAYS OF MAKING PICTURES, interview by David Campany
Il est curieux aujourd'hui d'essayer de comprendre comment la photographie en couleur a pu être tant dénigrée à une époque pas si lointaine.
Je trouve également passionnant le passage final où Stephen Shore montre l'importance du contexte dans l'expérience d'une photographie pour le spectateur. Un tirage plus grand, un peu d'espace entre les photos, et le sentiment n'est plus le même pour celui qui voit votre travail.
Cela montre également l'importance de penser une série de photographie pour un projet ou une exposition. Chaque photo est importante, son positionnement dans la série l'est aussi parce que le ressenti sur une photo perdure sur la suivante. Enfin ne croyez pas que la taille ou la qualité du tirage soit anodin. J'ai toujours tendance à penser "grand tirage, gros ego" :) mais c'est bien sûr parfois justifié.
Photo Stephen Shore
Photo Stephen Shore
Photo Stephen Shore
La valeur esthétique du sujet
Stephen Shore : J'étais convaincu que la teneur psychologique d'une photo est partiellement communiquée à travers sa structure, que la structure n'était pas seulement une manière de rendre beau quelque chose qui était là, mais qu'elle faisait intégralement partie de l'aspect physique de l'expérience de voir une image.
Je me souviens, en conduisant dans le New Jersey sur une autoroute quelconque, je pouvais voir le World Trade Center depuis une longue distance, et depuis certains angles cela donnait l'impression que les tours étaient trop éloignées et que les proportions étaient fausses. Avec un autre angle, elles étaient rapprochées et ça paraissait naturel. Ce n'est pas une question de savoir si un angle ou l'autre est vrai ou faux, mais qu'il y a des connections physiques, émotionnelles, psychologiques qui se font avec certaines proportions.
D'un autre côté, je ne suggère pas du tout que cela précède le fait, par exemple, qu'une de mes photos où il y a une enseigne d'un restaurant appelé Sambo's, ce qui est clairement raciste.
David Campany : Si on retourne à l'avant-garde des années 20 et 30, on pourrait dire qu'il y avait deux objectifs : montrer la beauté où l'on pensait qu'il n'y en aurait pas, et montrer ce qui n'allait pas avec le monde. Dans les décennies après la seconde guerre mondiale, la photographie sérieuse a commencé à prendre comme sujet principal la vie de tous les jours. Le monde n'est pas sauvé en étant transformé en photo, mais il y a eu la découverte d'une beauté extraordinaire dans des choses ou scènes qui étaient à peine pensées avec une valeur esthétique.
in WAYS OF MAKING PICTURES, interview by David Campany
Si vous avez des aspirations artistiques dans votre photographie, la recherche esthétique sera forcément une question à un moment ou un autre. L'esthétique ne précède pas le message.
Ce n'est pas parce que vous proposerez un paysage en pause longue avec une composition parfaite du bord de mer en Islande que vous échapperez à la symbolique des photos d'Islande en 2021 : c'est un lieu devenu extrêmement fréquenté par des touristes jusqu'au début de l'année 2020, pour l'instant abandonné par une pandémie.
Le choix du sujet et ce qu'en montre une photo prédomine dans l'expérience d'une photographie. Pourtant, l'esthétique est essentiel pour en sublimer le message. La recherche esthétique doit pourtant être au service de votre démarche et de ce que vous souhaitez exprimer.
Photo Stephen Shore - Transparencies
Photo Stephen Shore - Transparencies
Photo Stephen Shore - Transparencies
Photo Stephen Shore - Transparencies
Photo Stephen Shore - Transparencies
Une photo est une illusion
Stephen Shore : Quelque part au milieu des années 80, se posa à nouveau pour moi la dernière question formelle essentielle. Parfois je tombais sur une photo qui donnait à voir une illusion convaincante d'un espace en trois dimensions.
David Campany : Qu'est-ce que cela veut dire "une illusion convaincante d'un monde en trois dimensions" ?
SS :J'utilise ces mots parce que je sais que je suis en train de regarder un bout de papier plat. Donc, c'est une illusion. Je ne suis pas en train de regarder à travers une petite fenêtre un monde miniature. Je dis "illusion" parce que c'est une illusion.
in WAYS OF MAKING PICTURES, interview by David Campany
Pendant dix ans, Stephen Shore se consacra presque exclusivement aux paysages, à la nature. Cette période du travail de Stephen Shore me renvoie aux évolutions de ma photographie depuis 10 ans.
J'ai d'abord été porté dans mes premières années par la volonté farouche d'être dans un démarche narrative, je voulais écrire et photographier et je rêvais de photojournalisme. Je me suis accompli dans un autre secteur, en travaillant pour des agences ou des magazines de voyage.
Du côté de ma photographie plus personnelle, j'ai toujours été un témoin de la rue, du fourmillement de la ville et de ses habitants. Je ne photographiais qu'en noir et blanc. Et pourtant, ce sont des photos d'architecture en couleur, prise sur trépied, de la ville vidée de ses habitants qui ont été propulsées à la vue d'un public plus large. Ces photos m'ont porté pendant 4 ans et je ne travaillais presque plus en photographie de rue.
Aujourd'hui, je suis forcément impacté par le pays où je vis, sa lumière et ses ambiances. Je ne pourrais pas imaginer photographier sans couleurs et sans les compositions plus complexes que je recherche à Salvador.
Photo Stephen Shore
Photo Stephen Shore
Photo Stephen Shore
Photo Stephen Shore
Ma première ville déserte
Novembre 2014, Paris.
En quelques semaines, je sens que ma vie a changé. Je reviens d'un voyage à New-York et Londres où j'ai filmé des entretiens de directeurs d'hôtels pour le projet d'un ami. C'est un projet ambitieux, compliqué à produire, qui est surtout séparé en deux temps, nous devons le terminer en janvier quelques semaines plus tard en Asie et au Moyen-Orient.
Pour la première fois de ma jeune carrière de photographe j'ai de quoi travailler pendant plusieurs mois. Jusque là je n'ai eu que des petites missions, trop rares pour que je puisse dire que la photographie est ma profession. C'est en arrivant à Paris que je prends la meilleure décision de cette nouvelle vie.
Pont des Arts - Desert in Paris, 2014 - Photo Genaro Bardy
Point de non retour
Je vais annoncer à tous ceux que je croise que je suis photographe. Je suis en plein syndrome de l'imposteur, mais je sens que c'est le moment où jamais. Je change tous mes profils sur les réseaux sociaux, Facebook, Linkedin, Instagram, Twitter. Je refonds totalement mon site et prépare des portfolios pour intéresser des clients potentiels dans le secteur du tourisme ou du voyage.
Instantanément, des contacts anciens d'agences de communication qui font le gros de mon réseau me proposent des projets. Je commence à remplir l'agenda de portraits, reportages ou de petits films publicitaires. J'appuie encore plus cette décision en proposant à tous ceux que je rencontre de travailler gratuitement si leurs moyens sont trop limités. Mon objectif est de travailler au maximum. En quelques semaines je travaille 7 jours sur 7, et j'ai toujours un projet à communiquer pour intéresser de nouveaux clients.
Quai des Orfèvres - Desert in Paris, 2014 - Photo Genaro Bardy
Point de côté
Mais cette période de l'année est particulière, je n'ai rien à faire pour les deux dernières semaines de décembre, avant de repartir filmer ce premier gros projet. La déduction est évidente : je vais travailler sur un projet personnel, sur des photos qui j'espère pourraient intéresser un public plus large.
Dans mes lectures, je note qu'un bon moyen de commencer est de d'abord travailler en bas de chez soi, ce sera donc Paris. Et je commence à penser aux photos qui ont eu le plus de succès depuis que je partage mon travail. Je le sais bien, ce sont les photos prises la veille d'un ouragan à New York en 2011, quand la ville se vidait avec le couvre feu. Certaines photos avaient alors été beaucoup partagées, au point d'arriver en page d'accueil de Flickr.
La question se pose alors : comment arriver à obtenir des photos de Paris désert ? Je vais faire ces photos pendant les fêtes, peut être que la nuit de Noël les gens sont chez eux et personne ou presque n'est dehors. Essayons.
Pont Alexandre III - Desert in Paris, 2014 - Photo Genaro Bardy
Point de bascule
Il est impossible de décrire le sentiment de joie intense que j'ai ressenti cette nuit de Noël. Je trouvais les photos incroyables, j'étais persuadé que ces photos allaient me lancer et me permettre de vivre longtemps de la photo. Ce que je ne savais pas, c'était les chemins de traverse qu'elles allaient prendre.
J'ai écrit à tous les magazines auxquels j'ai pu penser, du plus prestigieux au plus anodin. Le problème n'était pas tant les réponses négatives, en réalité je n'ai reçu AUCUNE réponse. L'hiver avançait et je n'imaginais pas ces photos prises à Noël être publiées en été. J'ai alors fait ce que je savais faire : les publier sur Facebook, sur mon blog, et les proposer gracieusement à un seul gros blog, en espérant qu'il soit partagé.
Le premier jour de publication des photos de Paris Désert, alors que je commençais à écrire aux amis pour qu'il partagent cet article, j'ai été totalement dépassé. Les photos étaient reprises par une quantité invraisemblable de blogs, notamment Fubiz dont je rêvais en secret depuis si longtemps. Le lendemain des médias "classiques" et beaucoup plus puissants prenaient le pas. L'album Facebook faisait 50 000 vues en quelques jours, les articles avaient jusqu'à 10 000 partages, j'avais du mal à répondre à tout le monde.
Quand je commençais la photographie, je rêvais que des photos fassent le tour du monde. Deux ans plus tard, New York désert était repris par près de 200 articles en 12 langues. Ce sont les photos qui m'ont permis les rencontres et presque tous les projets de mes premières années de photographe.
Et je sais que ces photos existent avec ma décision de travailler coûte que coûte, de produire toujours plus et tout le temps, puis avec la décision de les distribuer gratuitement pour qu'elles puissent être vues.
Pont d'Iéna - Desert in Paris, 2014 - Photo Genaro Bardy
Place du Tertre - Desert in Paris, 2014 - Photo Genaro Bardy
Manières de voir - de John Berger
Ce texte est une traduction libre par votre serviteur des premières pages de l'essai de John Berger dans le livre 'Ways of Seeing'. Si vous voulez poursuivre la lecture, je ne saurai trop vous recommander de vous procurer Ways of Seeing en version originale ou en Français.
Voir vient avant les mots. Un enfant regarde et reconnaît avant de parler.
Mais il y a aussi un autre sens à cette proposition selon laquelle voir vient avant les mots. C’est la vue qui établit notre place dans le monde qui nous entoure ; nous expliquons ce monde avec des mots, mais les mots ne pourront jamais dépasser le fait que nous sommes entourés par ce monde. La relation entre ce que nous voyons et ce que nous savons n’est jamais figée. Chaque soir nous voyons le soleil se coucher. Nous savons que la terre tourne pour cacher le soleil. Et pourtant, le savoir, l’explication, ne correspondent jamais vraiment à ce que nous pouvons voir.
Le peintre surréaliste Magritte montra ce décalage permanent entre les mots et la vue dans une peinture appelée “La clef des rêves”.
La manière dont nous voyons les choses est transformée par ce que nous savons ou ce en quoi nous croyons. Au moyen-âge, quand les hommes croyaient en l’existence physique de l’enfer, la vue du feu devait signifier quelque chose de différent du sens que nous lui donnons aujourd'hui. Ainsi, leur idée de l’enfer devait beaucoup à la vue du feu brûlant et des cendres qui en résultent, ainsi qu’à leur expérience de la douleur d’une brûlure.
En amour, la vue de l’être aimé est une expérience entière dont les mots ne pourront jamais rendre compte. Seul l’acte d’amour peut temporairement s'accommoder temporairement de ce sentiment.
Et pourtant cette vue qui vient avant les mots, et qui ne peut jamais être pleinement décrite par eux, n’est pas seulement une réaction mécanique aux stimuli. On ne peut penser à la vue mécaniquement que si l’on isole de la vue la petite partie qui concerne la rétine. On ne voit que ce que l’on regarde. Voir est un choix. La conséquence de ce choix est que ce que nous voyons devient accessible, et je ne parle pas ici d’accessibilité par le toucher. Toucher quelque chose, c’est entrer en relation avec cet objet.
Fermez les yeux, déplacez-vous dans la pièce et notez comment la faculté de toucher est une forme statique et limitée de la vue. Nous ne regardons jamais juste une seule chose ; nous sommes toujours en train de regarder la relation entre ce que nous regardons et nous-mêmes. Notre vue est toujours active, en mouvement constant, elle contient en permanence les choses dans un cercle autour d’elle-même, la vue constitue ce qui est présent pour nous tels que nous sommes.
Rapidement après notre capacité à voir, nous réalisons que nous pouvons également être vus. L'œil des autres se combine avec le nôtre pour rendre complètement crédible que nous faisons partie du monde visible.
Si nous acceptons le fait de pouvoir voir cette colline là-bas, nous acceptons le fait de pouvoir être vus depuis cette colline. La nature réciproque de la vue est plus fondamentale que celle du dialogue écrit ou parlé. Et souvent, le dialogue est une tentative de verbaliser ceci, une tentative d’expliquer comment “vous voyez les choses”, littéralement ou métaphoriquement, et une tentative de découvrir comment “l’autre voit les choses”.
Au sens que nous emploierons ici, une image est toujours fabriquée par un être humain.
Une image, c’est la vue qui a été recréée ou reproduite. C’est une apparence, ou une série d’apparences, qui a été détachée du lieu et du temps dans lesquels elle fit son apparition et fut préservée - ce temps peut aussi bien être quelques jours ou quelques siècles. Chaque image contient une manière de voir. C’est également vrai pour une photographie.
Contrairement à ce que l’on pourrait croire, une photographie n’est pas un enregistrement mécanique. Chaque fois que nous regardons une photo, nous sommes conscients, quand bien même infiniment peu, que le photographe choisit de voir ainsi parmi des possibilités infinies.
Ceci est également vrai pour les photos les plus triviales, avec des instantanés dans un cadre familial. La manière de voir du photographe se réfléchit dans son choix du sujet et ce qu’il inclut ou exclut du cadre. Et pourtant, alors que chaque photo contient une manière de voir, notre perception ou appréciation d’une photo dépend aussi de notre propre manière de voir.
Les images ont d’abord été faites pour conjurer l’apparence de quelque chose d’absent. Progressivement, il parut ensuite évident qu’une image pourrait survivre à ce qu’elle représente; ainsi elle montrait comment quelque chose ou quelqu’un apparaissait auparavant, et donc comment il avait été vu par d’autres personnes.
Plus tard encore, la vision spécifique du fabricant de l’image fut également reconnue comme faisant partie de l’image. Une image devint un enregistrement de comment X a vu Y. Ceci était le résultat d’une conscience individuelle toujours plus importante, accompagnée d’un sens de l’histoire lui aussi toujours plus grand. Il serait difficile de dater précisément cette prise de conscience, mais elle existe certainement en Europe depuis le début de la Renaissance.
Aucune autre relique, aucun autre texte venus du passé ne peut offrir un témoignage plus direct du monde qui entourait nos ancêtres d’une autre époque. Les images sont plus précises et plus riches que la littérature. Dire ceci ne nie en rien la qualité expressive ou imaginative de l’art en question, en ne le considérant que pour son témoignage documentaire. Plus l’art est expressif et imaginatif, plus nous pouvons partager l’expérience et la vision particulière de l’artiste.
Ce texte est une traduction libre par votre serviteur des premières pages de l'essai de John Berger dans le livre 'Ways of Seeing'. Si vous voulez poursuivre la lecture, je ne saurai trop vous recommander de vous procurer Ways of Seeing en version originale ou en Français.
Maroc - Nouveau Départ
Sous un ciel de mille étoiles, le feu de camp improvisé crépite régulièrement au rythme d'une légère brise. Les flammes éclaircissent seulement les visages et les mains, les vêtements de notre groupe se fondent dans le sable des dunes qui nous entourent. Comment suis-je arrivé là ? J’ai complètement oublié et c’était bien le but de ce voyage. Abdou tourne ce visage buriné par les âges qui m’est devenu si familier, il m’observe transporté dans des rêveries puis me dit : “vous savez, ce n’est pas seulement de la musique, c’est une guérison”.
Sortir du cadre
Marrakech est le point de départ de ce fabuleux voyage. Quand je pose le pied sur le tarmac je ne suis pas vraiment arrivé au Maroc, ma tête est encore à Salvador où je veux retourner et aux mille problèmes que j’ai laissés derrière moi à Paris. Les décisions qui viennent sont d’importance et je me trouve dans une situation inextricable, rien de ce que je puisse faire n’aura d’influence positive, aucune solution n’est acceptable. Dans ce genre de situation, j’essaye de m’extraire de l’équation, de méditer à une alternative. Je pars au Maroc avec l’objectif de changer de perspective. Quand il est urgent d’attendre, je sors du cadre, littéralement.
Partir est pour moi une meilleure option que d’attendre, Steve Jobs méditait en marchant, je médite en roulant. L’aventure du désert Africain est à peine à 3 heures d’avion du centre de l’Europe, c’est le chemin le plus court vers l’évasion. Rester allongé sur une plage ne m’a jamais reposé, j’ai besoin d’un mouvement visuel permanent, et rien de mieux que le road trip pour ça.
En Afrique du nord comme en Inde, quand les routes peuvent être des épreuves, rien n’est plus important que le chauffeur. Par chance Abdou qui se présente à moi entre le soleil de midi et le trafic coloré d’une capitale de la Méditerranée, a une personnalité joyeuse, entraînante.
S’il est le premier contact avec la route pour son passager, il est aussi le premier entremetteur à chaque étape. Autour d’Abdou les visages s’illuminent, ce qui peut paraître une complication se résout facilement. Une discussion commence par le traditionnel “sois le bienvenu” et se conclut par “bonne conti-nua-tion”, lancé presque en chantant. Abdou est chez lui partout après 30 ans sur la route. Docker, marin ou pilote, il a déjà eu mille vies et quand la population se fait rare il a le don de toujours trouver un ami improbable
Maroc, 2018 - Photo Genaro Bardy
Maroc, 2018 - Photo Genaro Bardy
Maroc, 2018 - Photo Genaro Bardy
Maroc, 2018 - Photo Genaro Bardy
Méditation
La route vers le désert est une poésie. Chaque virage annonce un nouveau verset, chaque arrêt donne le repos de la rime. Les décors sont changeants, de forme et de couleurs, ils défilent dans une rêverie de la fenêtre. Quelques kilomètres à peine en sortant de Marrakech, les montagnes du massif du Haut Atlas sont en ligne de mire. Les paysages se simplifient, la vie trépidante et luxuriante de Marrakech laisse place à une nature plus réduite entre les villages de montagne, dans une palette tricolore : le vert encore présent au printemps, le rouge de la pierre et de la terre, et le blanc des sommets qui semble ne jamais disparaître.
Les virages s’enchaînent, les pauses sont culturelles avec l’école coranique et la bibliothèque de Tamegroute et l'architecture spectaculaire d'Ait Ben Haddou. Je les laisse rapidement sur le bord de mon chemin, car l’extraordinaire se trouve après 2 jours de route. Une fois le haut Atlas franchi, la nature se transforme à une rapidité sidérante.
Après quelques jours, nous croisons une voiture… de temps en temps. Je commence déjà à oublier pourquoi je suis parti. En quelques kilomètres, l’horizon rectiligne s’allonge à perte de vue. Sur les bords de la route les couleurs sont des variations d’ocre et de jaune, la poussière apparaît plus dense. La montagne se transforme en canyon, la roche devient sable, le vent semble être le seul à partager la place avec le soleil. Des petits tourbillons de poussière jaune nous accueillent dans l’aride.
Maroc, 2018 - Photo Genaro Bardy
Maroc, 2018 - Photo Genaro Bardy
Maroc, 2018 - Photo Genaro Bardy
Maroc, 2018 - Photo Genaro Bardy
Monochrome
Le décor devient majestueux, les falaises monochromes, ocres, dominent une plaine de steppe jaune avec quelques rochers pour dessiner l’horizon. Puisque nous sommes seuls la plupart du temps, nous pourrions être des explorateurs d’une nouvelle planète rouge. Le chemin lui aussi se transforme, à vrai dire il disparaît complètement. Cette route ressemble probablement à ce que ressentiront un jour ceux qui découvriront Mars, c’est saisissant.
Seule l’expérience d’Abdou permet de se diriger, car les pistes prennent mille directions et il décide lui seul de notre chemin. Le 4x4 rebondit et tremble pendant ce qui me semble être des heures. Et puis, alors que je suis absorbé par la magnificence des canyons et de la roche qui nous entourent, les roues semblent perdre toute adhérence. Pendant quelques secondes, le véhicule pourrait aussi bien être un bateau. Les cailloux sont devenus du sable.
Un couple de nomades croise notre route, avançant à pied dans la steppe avec un âne chargé de provisions pour plusieurs jours. Quelques kilomètres plus tard, nous devinons une tente cernée de sable et de vent qui doit être leur destination.
Au fil des kilomètres, la roche disparaît. Des vagues de sable se forment et le désert océan nous entoure. J’ai l’impression qu’Abdou roule à une vitesse folle, plus aucune trace ne nous précède. “Nous sommes sur le Lac Iriki”, me dit-il.
Quand la pluie vient, c'est impraticable pour quelques jours, le temps qu’elle s’évapore, mais nous sommes bien au fond du lac, sur un plateau sans fin. Une cabane en forme de bateau est perdue au milieu des dunes. Dans le rétroviseur le soleil tombe entre deux montagnes au loin, le ciel devient orange derrière nous, pourpre devant.
Nous nous arrêtons quelques minutes pour observer une famille de dromadaires, le plus jeune marche à peine droit dans les longues pattes de sa mère. Ils ont trouvé le seul coin de verdure piquante que j’ai vu depuis des heures. La scène est fascinante, je sais que les dromadaires appartiennent à quelqu’un qui les regroupera bientôt, mais ils me donnent un vrai sentiment de liberté. Je sais qu’un jour je devrai rentrer, mais le moment est unique de simplicité et de beauté.
Lac Iriki - Maroc, 2018 - Photo Genaro Bardy
Maroc, 2018 - Photo Genaro Bardy
Maroc, 2018 - Photo Genaro Bardy
Maroc, 2018 - Photo Genaro Bardy
Le rituel Gnawa et la musique comme thérapie
Juste avant la pénombre, Abdou m’informe que nous sommes arrivés. Je sens bien que l’endroit est reculé, qu’il espérait arriver avant la nuit tombée. Les dunes de sable fin devant nous sont gigantesques, un jeune homme habillé d’un turban et d’une tunique blanche se tient là et dans un grand sourire nous accueille. “Sois le bienvenu”. En quelques mètres, qui paraissent plus longs quand les pieds s’enfoncent dans le sable, je me tiens devant une tente au pied de la plus haute des dunes. Mon hôte, que j’apprends être Qassim, me fait le tour du propriétaire, je suis étonné de ne pas voir d’autres campements, d’autres tentes, d’autres aventuriers.
Le plus jeune de mes hôtes prépare un feu qui grandit vite avec la brise qui s’est levée. La nuit vint, mais pas les ténèbres.Par chance je suis arrivé un soir de pleine lune, elle éclaire d’un voile bleu roi le sable et est entourée de millions d’étoiles. Après quelque repos mérité, le dîner est servi dans un décor impossible, avec tout le confort que l’on peut espérer.
Et alors que je crois avoir eu mon lot de scènes incroyables, un petit groupe d’hommes à la peau plus sombre arrive en file indienne depuis une dune. Deux d’entre eux tiennent dans leur mains ce que je sais être qu’une guitare, tous les autres des petites coupelles de métal dont je deviens vite curieux de l’usage. Avec le feu sur ma gauche, des montagnes de sable autour et une voie lactée au-dessus de la tête, je les observe parler dans leur langue vivace à Abdou qui nous a rejoint. Et après un silence que je n’ai vu qu’en religion, les coupelles de métal s’entrechoquent et commence une rythmique mélodieuse. Ce sont des instruments, des claquettes qui sont utilisés avec une grande douceur, sans soubresaut.
J’apprendrai par Abdou que la musique et les rituels Gnawas ont pour origine des cultes sahéliens adaptés par les descendants de musulmans Subsahariens au Maghreb. Ces pratiques on diverses origines Peules, Haoussa, Barnou, Foulani, Barma, Bambara, Wolof, Mandingue, Bozo, et d'autres tribus du Mali et du Burkina Faso… de ces régions où le désert du Sahara n’a jamais été une frontière pour ceux qui doivent le traverser. Ces peuples, souvent amenés dans la région par des marchands d’esclaves, ont dû se métamorphoser pour survivre, et adopter l'Islam comme religion afin d'assurer leur continuité. Leur musique est d’une rythmique que je n’avais jamais expérimentée, leurs chants paraissent mystiques.
Je comprends que les Gnawas sont une confrérie religieuse dont les pratiques sont avant tout thérapeutiques, y compris leur musique. Le moment n’est bien sûr pas à l’argumentation scientifique, je me laisse transporter par leurs chants en levant la tête vers le ciel.
Au petit matin, après une nuit de plomb avec le seul vent pour musique, je ne sais pas bien quel mal fut guéri, mais je me sens tellement mieux.
En gravissant la dune pour observer le lever du soleil au bout de cet océan de sable, je sens une énergie nouvelle, avec pour seul regret le devoir de rentrer un jour.
Maroc, 2018 - Photo Genaro Bardy
Maroc, 2018 - Photo Genaro Bardy
Maroc, 2018 - Photo Genaro Bardy
Maroc, 2018 - Photo Genaro Bardy
Maroc, 2018 - Photo Genaro Bardy
Les livres qui m'ont marqué cette année
J'aurais probablement dû vous parler de ces livres en fin d'année dernière, pour le petit bilan classique. Mais puisque je crois que ces livres sont absolument intemporels, je préfère vous dire que je les ai lu l'année dernière et ne pas dater le titre de cet article.
Je ne vous proposerai qu'un seul livre photo, et encore, pas celui qui m'a le plus marqué par sa qualité. Le problème auquel je suis confronté est que je ne souhaite pas faire la promotion du travail d'un photographe au comportement absolument détestable, quelque soit la qualité de ses productions. Pour mieux comprendre, je vous invite à lire cet article si l'anglais ne vous rebute pas. Le photographe n'a pas été condamné, mais je ne peux promouvoir son travail à la lumière de ces informations.
Ceci étant expliqué, je vous propose de trouver un autre livre photo d'un photographe remarquable : Niagara d'Alec Soth. Les deux autres livres que je vous propose ici ont alimenté ma réflexion sur la photographie, que ce soit sur la pratique ou sur la réflexion fondamentale sur ce qu'est une image et ce qu'elle représente pour ses spectateurs.
Niagara d'Alec Soth
Le talent d'Alec Soth dans la narration avec ses images m'a captivé dès les premières pages. Je pensais feuilleter rapidement Niagara quand j'ai reçu le paquet, j'ai relevé le nez une heure après, captivé par ses images et les histoires racontées.
Les chutes du Niagara sont un des lieux les plus visités et probablement les plus photographiés au monde, Alec Soth a choisi de prendre un angle étonnant sur ce lieu. Il raconte l'histoire de couples qui se font et se défont dans les Motels de la région. Que ce soit dans les ambiances, les portraits stupéfiants ou les détails choisis, toutes les images d'Alec Soth étaient pour moi extraordinaires.
Je retiendrai notamment le tirage d'une des photos qui est inclut dans le livre, et les photos des lettres d'amour ou de haine que s'échangèrent un couple photographié par l'auteur. La profondeur du travail accompli est extraordinaire, je ne connaissais que trop peu Alec Soth, j'ai décidé de me procurer tous ses livres.
Vous pouvez l'acheter les yeux fermés.
La couverture du livre
Photo Alec Soth
Photo Alec Soth
Photo Alec Soth
Photo Alec Soth
Ways of Seeing de John Berger
La version Française de ce livre s'appelle "Voir le Voir", mais je lis toujours en version originale quand j'en ai la possibilité.
Ways of Seeing de John Berger contient sept essais, 4 écrits et 3 exclusivement visuels. Ils correspondent au travail pour une émission de télévision diffusée en 1971 pour la BBC qui avait rencontré un franc succès. Le sujet n'est pas spécifiquement la photographie mais plutôt notre rapport à l'image, que ce soit dans l'explication de l'élitisme des œuvres d'art ou peintures classiques ou dans notre surexposition aux publicités et à la représentation de la femme dans les médias.
Le premier essai du livre est un choc. La réflexion fondamentale décrit parfaitement notre rapport à l'image. Pour les photographes que nous sommes, John Berger explique notamment pourquoi chaque image contient également l'histoire de son auteur. C'est fascinant.
À tel point que je souhaite vous en proposer une traduction de deux pages du premier essai pour vous convaincre de vous le procurer.
Cliquez ici pour vous le procurer en Français.
Zen in the Art of Archery d'Eugen Herrigel
Le dernier livre que je vous propose n'a carrément aucun rapport avec la photographie. Ce livre m'a marqué parce que je crois que les principes qui y sont décrits peuvent s'appliquer à toute pratique, que ce soit du tir à l'arc donc, mais aussi toute autre pratique sportive ou artisanale.
Ce livre m'a fait avancer à titre personnel, et si je dois parler de photographie, je crois qu'il a fait de moi un meilleur professeur. Dans mes formations et ateliers, j'essaye de concevoir les meilleurs contenus et de trouver les meilleures méthodes pédagogiques pour faire progresser les participants.
La philosophie Zen Japonaise n'était pas instinctivement la première ressource vers laquelle je me serais tourné, et pourtant je crois que les principes expliqués ici sont tout à fait adaptables à la pratique de la photographie.
La Fabrique des Images - 2021
Devenir une ou un meilleur photographe ne passe pas par la connaissance de votre appareil photo ou par une leçon sur un logiciel de développement.
Ce n’est pas la casserole qui fait la cuisine.
Ce n’est pas la planche qui surfe la vague.
J’ai essayé de résumer le chemin du progrès en photographie avec le mythe de Sisyphe. Le photographe trimballe ses prises de vues depuis la nature d’une photographie jusqu’à leur publication :
Ces sujets correspondent exactement à ce que j’essaye de transmettre, que ce soit sur mon blog, dans les ateliers en direct sur Facebook et dans mes programmes de formation ou de mentorat en ligne.
Aujourd’hui j’aimerais vous dire que je vais également proposer ces principes dans des nouveaux ateliers à Paris au mois de Juin prochain. En vrai, en petit groupe dans une salle de formation et en pratique dans les rues de Paris, 5 heures par jour.
Ce sont les ateliers de formation les plus complets et intensifs, je n’ai tout simplement jamais vu ces contenus dans d’autres ateliers alors qu’il me paraissent essentiels. Je vous propose deux ateliers différents, que j’ai appelés La Fabrique des Images :
- Atelier de Photographie de Rue - 2 jours
Paris, les 12 et 13 juin 2021 - Atelier de Production d’un Magazine Photo - 4 jours
Paris, du 15 au 18 juin 2021
J’ai bien conscience que ces ateliers auront lieu alors que la crise sanitaire ne sera probablement pas terminée. J’ai confiance en ces dates, je pense que nous pourrons procéder à ces ateliers sans trop de problèmes. Je choisirai un lieu bien ventilé et ferai respecter les gestes barrières, les sorties seront avec masque. Si par malheur je devais repousser ces dates et qu’elles ne vous convenaient pas, vous seriez intégralement remboursés.
Ces précautions étant prises, je tiens à vous dire que ces ateliers correspondent aux contenus sur lesquels j’ai le plus travaillé, mon objectif est toujours que vous repartiez en ayant progressé dans votre réflexion et dans votre pratique de la photographie. Je suis vraiment impatient de pouvoir vous y retrouver.
Cinéma et Photographie - Les Couleurs dans The Joker de Todd Phillips
La manière dont sont utilisées les couleurs en photographie est un sujet trop peu étudié et commenté. Dans cette série d'articles sur le cinéma et la photographie, je vous propose de voir comment les couleurs sont exploitées dans le film The Joker de Todd Phillips. J'aime voir et revoir ce film, pour son histoire d'abord, mais aussi pour le travail remarquable de Lawrence Sher, le directeur de la photographie qui a travaillé avec Todd Phillips.
Nous verrons ici quatre manières classiques d'exploiter les couleurs dans un film, et donc dans vos images. Cela ne constitue en rien une règle, c'est tout au plus un outil d'analyse. En connaissant et analysant les couleurs qui fonctionnent bien ensemble, vous pourrez chercher les bonnes combinaisons, par exemple si vous pratiquez comme moi beaucoup de photographie de rue.
Pour les besoins de l'exercice, nous utiliserons ici une roue chromatique. Si vous voulez créer des palettes de couleurs et poursuivre votre réflexion sur le sujet, vous pouvez utiliser l'outil d'Adobe et appliquer différentes harmonies chromatiques à partir d'une couleur.
Couleurs Complémentaires
Dans une roue chromatique, les couleurs complémentaires sont opposées, de part et d'autre de la roue. Associer des couleurs complémentaires est la manière la plus évidente de créer une harmonie chromatique.
Schéma Monochrome
Un schéma de couleur monochrome va utiliser une seule et même teinte de couleur (duh), éventuellement avec différents niveaux de saturation pour conserver du contraste.
Pour des films comme en photographie, la couleur utilisée aura une forte valeur symbolique. La technique la plus facile pour obtenir une teinte monochrome est par l'éclairage.
Couleurs Analogues
Les couleurs analogues sont les couleurs directement adjacentes de votre couleur principale dans la roue chromatique. Utiliser deux couleurs complémentaires et leur couleur analogue est un excellent moyen de créer une harmonie visuellement puissante.
Couleurs Tétradiques
Si vous utilisez une couleur principale et les deux couleurs analogues de sa couleur complémentaire, on dit que ces 3 couleurs sont Triadiques. Si vous utilisez les 4 couleurs analogues de 2 couleurs complémentaires, elles sont alors tétradiques. C'est subtil, mais particulièrement efficace pour obtenir une palette harmonieuse.
Si vous cherchez à vous inspirer des couleurs d'un grand maître en photographie, je ne saurai trop vous conseiller de poursuivre avec l'article remarquable du Photographe Minimaliste. Il détaille et analyse notamment le travail sur les couleurs d'Alex Webb, à mon avis l'un des plus grands artistes vivants travaillant en couleur.
à bientôt pour une nouvelle analyse de film dans cette série Cinéma et Photographie (cliquez ici pour lire tous les articles).
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