La Permission en Photographie de Rue
Ai-je besoin d'une autorisation écrite pour publier la photo d'un inconnu sur les réseaux sociaux ? Et pour l'exposer ou commercialiser ? Est-ce que je serai poursuivi si j'utilise cette photo que j'ai prise ? D'une manière générale, a-t-on le droit de "voler des photos" ? Ou plutôt, doit-on demander la permission avant de prendre une photo dans la rue ou dans un lieu public ? Ces questions sont tout à fait légitimes et extrêmement fréquentes chez les photographes qui débutent dans la pratique la plus fascinante à mes yeux et en même temps la plus facile à commencer : la photographie de rue.
J'évoquerai ici ma manière personnelle de pratiquer la photographie de rue, ce qui ne constituera en rien une règle ou une obligation. Si vous êtes curieux sur le cadre légal de ce que vous pouvez faire ou ne pas faire, soyons très clair : vous avez le droit de prendre des photographies d'inconnus dans un lieu public, d'exposer et de commercialiser ces photos sans demander la permission. Si vous voulez savoir pourquoi je vous invite à lire cet article qui en détaille les raisons :
Vous n'avez donc aucune obligation de demander la permission pour prendre des photos, même si ces personnes sont reconnaissables. Mais à mon avis, ce n'est pas parce que vous n'êtes pas obligés que vous ne devriez pas le faire de temps en temps.
Demander la permission par écrit
Dans un lieu public, que la personne soit reconnaissable ou non, demander la permission par écrit est absurde. Voir l'article mentionné plus haut. Si vous travaillez avec un ou une modèle (professionnelle ou amateure), pour une photographie mise en scène et dirigée, alors oui cette permission écrite est indispensable. Mais on ne parle plus ici de photographie de rue.
Demander la permission pour s'approcher
Le principal enjeu dans cette demande de consentement à être photographié est pour moi d'abord un moyen de m'approcher au plus près des personnes que je souhaite photographier. En allant demander la permission et en expliquant ma démarche, je m'approche à une distance raisonnable pour dire à cette personne qui m'intéresse : "je suis photographe, je suis en train de photographier [ceci ou cela], est-ce que je pourrais faire un portrait de vous ?". J'ai toujours mon téléphone de prêt pour montrer une série de photos ou mon compte Instagram ´pour rassurer sur la nature des photos que je produis.
Je n'arrive pas à être en permanence discret, et lorsque je croise quelqu'un qui m'intéresse pour une raison ou une autre, je suis parfois instantanément repéré comme photographe. Je procède alors ainsi et vais parler à la personne en question. Quand je me dirige vers elle, je peux toujours prendre des photos qui seront naturelles. Et lorsque je commence mon portrait, c'est à moi de mettre mon sujet suffisamment à l'aise pour que les attitudes soient naturelles, je peux aussi cadrer de manière à ce que la photo ne ressemble pas à un portrait classique "posé".
S'approcher en photographie de rue est pour moi la principale difficulté qui repousse les photographes qui débutent dans cette pratique. Demander la permission et probablement le meilleur moyen de s'habituer à aller vers les autres, et donc de s'approcher.
Demander le consentement pour être respectueux
Quand je photographie dans un lieu public, je cherche parfois à être discret pour être vu le plus tard possible, mais je met un point d'honneur à toujours être transparent sur ma démarche et sur le fait que je suis en train de photographier.
Si je suis vu ou si l'on me pose la question, j'explique ce que je fais. Je sais que je suis dans mon droit quand je photographie ainsi, mais je tiens à être respectueux des personnes qui deviennent mes personnages. Par exemple, j'essaye de ne jamais prendre en photo des personnes qui seraient dans une situation difficile. Si je n'aimerais pas être pris en photo ainsi, je ne déclenche pas.
De la même manière, je veux toujours expliquer ma démarche de photographe lorsque l'on m'en donne l'occasion. C'est d'abord une histoire de respect. Je sais que certains n'ont aucun problème avec le fait de prendre une photo et de partir sans rien dire, personnellement je préfèrerai toujours le dialogue. Ceci étant, je rentre parfois dans un dialogue conflictuel où la personne refuse obstinément que je garde une photo déjà prise. Je met aussi un point d'honneur à ce que mon travail soit respecté et à expliquer le cadre légal qui me permet de garder cette photo.
Comme vous le voyez, j'ai beau parler de respect je suis plein de contradictions. Mais par principe, je préfère toujours un dialogue et une rencontre pour essayer de mieux comprendre les personnes que je photographie.
Demander le pardon
Plus ma pratique de photographie de rue évolue, moins je demande la permission avant de prendre une photo. En réalité ce que je demande, c'est de garder une photo qui a déjà été faite. Plutôt que de demander la permission, je préfère demander pardon.
Demander la permission est un bon exercice pour un photographe débutant, essentiellement parce qu'il a besoin de s'habituer à se confronter aux autres. Mais ce que j'ai constaté avec les années de pratique, c'est simplement que mes photos sont meilleures si je m'approche, je déclenche et travaille ma scène au maximum avant d'être repéré, PUIS je demande la permission de garder les photos.
Réussir une lecture de Portfolio
Si vous n'avez pu voir cet épisode de la Petite Fabrique de Photographies en direct, voici le replay. Si vous voulez éviter l'introduction, ça commence vraiment à 4´:30´´.
Ce live est encore une fois (très) long, mais je propose trois analyses de portfolio, alors que je prends habituellement une heure pour une seule lecture de Portfolio. L'exercice est ici un peu particulier, les photographes concernés ne pouvaient répondre que dans les commentaires.
Et puis, si vous ne voulez pas vous frapper toute la vidéo, je remets ici mes quelques conseils à tous pour réussir une lecture de portfolio. Ces conseils sont évidemment très subjectifs, ils n'engagent que moi et probablement que si vous vous adressez à quelqu'un d'autre il aura des critères spécifiques, notamment si cette lecture de portfolio a un objectif précis, pour un concours ou la sélection pour une résidence artistique par exemple.
Quels sujets sont abordés pendant une lecture de portfolio ?
- Pourquoi la photographie pour vous ?
- Quelle est l’histoire des travaux ou projets présentés
- Quelles sont vos motivations à produire ces photos ?
- Edition et séquençage des photos
- Quels sont les objectifs de votre photographie
- Possibilités de financement, opportunités pour des prix, résidences…
- Publications et promotion de ce travail
Comment obtenir le maximum d’une lecture de portfolio ?
- Présentez un maximum de 30 photos. Idéalement toutes les photos sont issues d’un même projet.
- Notez les points importants que vous souhaitez adresser ou les questions auxquelles vous attendez des réponses.
Par exemple : Édition et séquençage, sujet ou angle du projet, biographie, identification de plateformes de publications, production des photos, idées techniques ou esthétiques. - Évitez de parler en permanence :) Écoutez les commentaires et remarques sur vos photos.
Comment présenter ses photos ?
- Limitez votre présentation à 30 photos, si possible avec un seul projet.
- Cherchez la cohérence sur la série de photos. Si vous présentez des portraits, de la photographie de rue, de l’architecture et un projet personnel, vous aurez du mal à laisser un souvenir marquant.
- Une série photos est au niveau de ses moins bonnes photos. Dans le doute, gardez moins de photos, seulement les meilleures !
- Commencez fort et terminez fort, pensez l’ordre et la séquence de photos.
Pour conclure, je tiens à vous dire que mon programme de Mentorat commence par une lecture de Portfolio, afin de définir ensemble vos objectifs du travail que nous accomplirons ensemble. Il reste encore deux places, je ne peux que vous encourager à tenter votre chance, ou plutôt à tenter votre talent :)
5 Leçons de photographie avec Sabine Weiss
Les photographes dont les photos parviennent à m'émouvoir à chaque fois sont rares. Ces rencontres sont précieuses, je tenais à vous partager cette découverte récente de Sabine Weiss.
Sabine Weiss, née Sabine Weber le 23 juillet 1924 à Saint-Gingolph, est une photographe d'origine suisse naturalisée française en 1995. Elle est, aux côtés de Robert Doisneau, Willy Ronis, Édouard Boubat et Izis, l'une des principales représentantes du courant de la photographie humaniste française.
Je ne prétends pas explorer ici l'entièreté de l'immense carrière de Sabine Weiss. Je préfère extraire de mes quelques recherches cinq enseignements qui ont résonné et qui peut-être parleront aux photographes qui lisent ce blog. Sans attendre, voici les 5 leçons de photographie de Sabine Weiss.
Photographe artisan plutôt qu'artiste
Un photographe n'est pas un artiste, c'est d'abord un artisan. Je passais du coq à l'âne en permanence. J'ai fait beaucoup de photographies humanistes, mais je préfère me qualifier d’artisan photographe, car j’ai aussi fait d’autres types de photographies qui requièrent plus de technique. Tout ce que je faisais en couleur, pour la publicité ou la mode, était bien plus compliqué que le noir et blanc à la sauvette !
Sabine Weiss
J'ai gardé en mémoire cette phrase de mon ami photographe Groisillon Alain Roupie : "Je suis un photographe limace, je laisse ma bave partout".
J'ai eu la chance de travailler pour des magazines, pour des associations, dans le voyage ou la voile, avec des enfants, des ados ou des personnes plus âgées, j'ai pu faire des images dans la rue, sur des événements ou en studio, en reportage, en documentaire ou pour de l'actualité. Quelle que soit la situation, c'est toujours passionnant.
Aujourd'hui, j'ai réduit mes activités à l'enseignement à distance et à la production de livres, mais ça n'enlève en rien ma volonté un jour de continuer à me mettre au service d'intentions créatives de clients qui ont besoin de mes photos avec un objectif précis. Du moment que la photo est ma vie, je me considère heureux.
Je garde aussi au creux de mon cœur ce souvenir de voir travailler un autre de mes mentors, Hervé Hugues. À chaque instant, à chaque lieu que nous visitions entre Naples et Séville, il avait cette capacité de produire un volume incroyable de photos remarquables, parfaites. Il semblait savoir répondre à toutes les situations.
Comme Sabine Weiss, je nous crois artisans de l'image, fabricants de photographie. Les projets personnels et artistiques sont fabuleux à créer et accomplir, mais je crois aussi que l'on peut trouver des photos exceptionnelles quand on produit pour les autres.
Je n’aime que les photographies prises dans la rue, au hasard des rencontres, car alors j’étais libre et parce qu’il s’agit d’êtres humains. Mais lorsqu’on me demandait de photographier des ministres, des tableaux ou des usines, je le faisais. Vous savez, je n’ai pas été malheureuse de faire de tout.
Sabine Weiss
Si je le pouvais, je serais dans la rue chaque jour pour rencontrer des gens et des photos. D'ici là, je resterai un artisan de l'image.
Photo Sabine Weiss
Photographier l'instant
Contrairement à Doisneau ou Brassaï, les photographies de rue et les reportages de Sabine Weiss n'étaient jamais mis en scène. Je me retrouve complètement dans cette démarche, même si j'admire cet autre modèle qui consiste à mettre en scène autant que possible, comme Steven Mc Curry.
Toutes les photos que je prends sont entièrement dans l'instant. Ce que j'aime faire est un instantané. Même s'il n'y a personne, j'aime le click, click, click. Je n'attends jamais.
Sabine Weiss
Je crois que c'est avant tout une question de personnalité. Préférer l'instant tel qu'il se présente est un choix qui a des conséquences sur la manière de produire ses photos. Préférer l'instant n'empêche pas de mettre en scène, par exemple pour un portrait, mais cela pousse au maximum à la discrétion si vous voulez vous approcher.
Par ailleurs, je n'hésite pas à prendre des libertés avec la vérité en effaçant certains éléments si cela peut rendre une photo meilleure, et que je ne travaille pas sur un sujet lié à l'actualité (ce qui ne m'est plus arrivé depuis longtemps).
Enfin, en situation de reportage où ma présence est connue et acceptée, comment savoir à quel point la personne devant l'objectif "joue" son rôle? Non, vraiment, ce n'est pas une histoire d'honnêteté, seulement de goût et de procédé. Ce sont simplement les images que je préfère.
Photo Sabine Weiss
Photo Sabine Weiss
Photo Sabine Weiss
La photographie de rue est devenue impossible
Selon Sabine Weiss, il est impossible aujourd'hui de prendre des photos dans la rue tel qu'elle le faisait, prenant exemple du jour où elle a voulu prendre en photo une fillette dans un bistro :
Le père a vu que j'avais photographié sa fille. Ils me sont tombés dessus avec un copain, j'ai dû enlever la photo de mon appareil. Ils m'ont dit, heureusement que vous avez l'âge que vous avez, sinon on vous cassait la gueule.
Sabine Weiss
Je suis en respectueux désaccord. Mon expérience m'a montré qu'il est toujours possible de prendre des photos dans la rue. Je trouve même que la photographie de rue est un art nécessaire qui relate de notre époque, même si les photos sont noyées dans les millions qui sont produites chaque jour.
C'est un fait, la mauvaise compréhension de ce qu'est le droit à l'image et l'évolution parfois très négative de notre rapport à l'image a des conséquences. Mais je crois aussi qu'en expliquant sa démarche, en restant droit dans ses bottes tout en étant pédagogique si nécessaire, on peut produire, garder et publier des photographies prises dans la rue. Même des photos dites humanistes.
Ces photographies sont peut-être devenues plus difficiles, mais pas impossibles.
Photo Sabine Weiss
Photo Sabine Weiss
Photo Sabine Weiss
Le noir et blanc est plus facile
J'ai une passion constante pour le noir et blanc, qui revient fréquemment dans ma vie de photographe par périodes plus ou moins longues. Des photographies en couleur qui résistent à l'épreuve du temps sont pour moi plus rares à trouver et plus difficiles à produire.
J’aime le noir et blanc mais au départ ce n’était pas un choix. Il ne faut pas oublier qu’au début de ma carrière, il n’y avait pas de film couleur. Quand ils sont arrivés, ils étaient lents et difficiles à utiliser. Il fallait des films différents pour l’extérieur et l’intérieur. De plus, on ne pouvait pas mélanger les lumières. Les résultats étaient atroces. Avec les photographes de l’époque, on utilisait donc le noir et blanc car c’était plus rapide mais aussi par habitude. Au final, tout mon travail lucratif de commande est en couleur tandis que mes photographies intimes et personnelles sont en noir et blanc.
Sabine Weiss
Le noir et blanc, d'abord, c'est plus facile à faire. Ca donne l'occasion de surprendre des scènes qui me touchaient plus. Des sujets qu'on voit, qui vous touchent, que vous ne mettez pas en scène. Les gens ne voient même pas que vous photographiez, et s'ils le voient ils sourient. Si vous dites quelque chose, ils posent.
Sabine Weiss
Sabine Weiss nous parle ici d'un temps que beaucoup d'entre nous ne peuvent pas connaître. Le noir est blanc n'est plus une contrainte ou imposé, c'est devenu un choix artistique.
En revanche, je crois qu'il est plus facile d'apprendre la photographie et les particularités de la nature d'une image quand on ne s'encombre pas l'esprit avec la couleur. À titre personnel, j'ai commencé presque exclusivement en noir et blanc pendant quelques années et n'ai développé quelques compétences en couleur qu'en devenant professionnel, croyant (sûrement à tort) que le noir et blanc me limiterait.
Photo Sabine Weiss
Photo Sabine Weiss
Photo Sabine Weiss
Le portrait fugitif
Le portrait est une de mes activités favorites en photographie. Les outils sont les mêmes, mais la pratique est absolument différente, et tout aussi passionnante.
Pour réaliser un portrait, il faut aller vite, c'est très fugitif. Il y a des personnalités qu'on peut diriger, comme Joan Miró, qui avait beaucoup de fantaisies. Par contre, je n'aurai jamais demandé à Giacometti de faire quoi que ce soit. La vie d'un photographe est remplie d'anecdotes.
Sabine Weiss
Pour moi un bon portrait est d'abord une rencontre, il dépende de la qualité de la relation que vous arriverez à établir avec la personne photographiée. C'est aussi une recherche constante et une improvisation permanente avec l'environnement.
J'ai eu la chance de tellement de rencontres merveilleuses en commande pour des portraits, je pourrai ne produire que cela.
Photo Sabine Weiss
Photo Sabine Weiss
Photo Sabine Weiss
Interviews
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https://youtu.be/qKX5fwfGT08
Photo Sabine Weiss
La ville sans fin
Explorer Tokyo est une histoire sans fin. Si Tokyo commence les yeux écarquillés, elle donne vite le sentiment de ne jamais finir, d’avoir toujours quelque aventure à proposer, quelque soit le quartier dans lequel je me trouve.
Tokyo a toutes les caractéristiques d’un endroit familier, d’une ville que je crois connaître. Je reconnais le gigantisme de New York ou de Shanghai, je ressens la douceur mystique de Rome, la gastronomie de Paris, je me perds dans des malls qui pourraient être à Singapour. Mais dans son ensemble, Tokyo est Sui Generis, unique en son genre.
Les sensations qui cohabitent sont extrêmes, pleines de contrastes. Je me sens comme un enfant qui ouvre à peine les yeux et qui ne voit que le contraste. C’est ce contraste permanent entre des expériences qui ne vont pas ensemble qui me donne la sensation presque instantanée d’être perdu, d’avoir perdu chacun de mes sens.
On se plairait à peindre Tokyo comme un espace de coercition terrible avec la robotisation, le consumérisme galopant, la déprime contrainte, l’esclavage salarié et la culture Japonaise comme une apologie du repli méditatif et de la soumission, mais Tokyo est aussi une ville excentrique, rebelle, moqueuse et désobéissante. Ainsi je vous propose de vous perdre avec moi dans Tokyo et de suivre les traces d’une expérience de 36 heures dans cette ville interminable.
Photo Genaro Bardy - Tokyo, 2017
Le son du silence
Se perdre dans Tokyo en marchant est le meilleur conseil, il y a trop à faire, autant laisser le hasard décider. Depuis la gare centrale de Tokyo, j’avance vers le centre d’affaires surplombé de tours qui chatouillent les nuages. La première déstabilisation vient du décalage entre ce que je vois et ce que j’entends. La vie s’agite devant mes yeux mais le silence est partout, c’est incompréhensible.
Les rues sont pleines de trafic, pourtant je crois voir glisser les voitures autour de moi. Les trottoirs sont occupés mais personne ne semble pressé. Aucune animosité, pas de klaxons ou de chauffards, aucun cri, aucune voix qui dépasse. Le bruit est bien présent, mais partout le calme est apparent. C’est un sentiment étrange, unique.
Photo Genaro Bardy - Tokyo, 2017
Photo Genaro Bardy - Tokyo, 2017
Le calme permanent ne peut être une conception, une décision politique. Ce doit être une culture, une qualité partagée par le plus grand nombre, les Japonais sont calmes parce qu’ils ont été éduqués ainsi. Je vais en recevoir une confirmation frappante, alors que je me dirige vers le temple de Meiji Jingun, plus grand temple Shintoïste de la capitale.
Meiji-jingu est un vaste sanctuaire au centre du parc Yoyogi, dans le quartier de Harajuku. Pour y accéder une immense allée de terre est bordée d’un jardin impérial délicatement entretenu. En cette saison de fêtes de début d’année le chemin pour accéder au sanctuaire est bondé, des milliers de familles viennent célébrer le cycle naturel et le retour de la lumière en ce début d’hiver. Il n’y a pas de temple qui puisse accueillir ce flux continu de prières, chacun attend son tour. Et pourtant ce qui semble être un million d’âmes avance doucement, en ligne et à petit pas, dans un calme religieux. Le respect et le silence paraissent naturels, mes voisins m’apprennent ce proverbe qui les caractérisent le mieux :
[かんにんはいっしょうのたから,
kannin wa isshou no takara]
« la patience est un trésor de la vie »
Proverbe Japonais
Prières au temple Meiji-jingu - Photo Genaro Bardy - Tokyo, 2017
Photo Genaro Bardy - Tokyo, 2017
Dans un contraste saisissant, la sortie du parc marque le début d’un des quartiers les plus commerçants de Tokyo. Un temple de la consommation aussi agité que bruyant. Quand la curiosité m’amène dans un scintillement de lumière, le volume sonore devient extrême, presque insupportable. Les machines à Jackpot ou de jeux vidéos incompréhensibles remplissent une salle immense, la cacophonie est totale.
Photo Genaro Bardy - Tokyo, 2017
Un temple bondé traverse les années dans un silence total, à quelques mètres le bruit et la fureur sont le temple des paradoxes de la vie occidentale.
À perte de vue
Quand je prends de la hauteur depuis Tokyo Tower ou Tocho, le siège métropolitain, le vertige est double : l’horizon est lui aussi totalement rempli de béton. A perte de vue des immeubles blancs, la ville est compacte, dense, interminable. Quelques performances architecturales ressortent de la baie de Tokyo, mais l’ensemble paraît uniforme. C’est une répétition d’immeubles qui donne l’impression de perdre la vue dans un labyrinthe infini.
Photo Genaro Bardy - Tokyo, 2017
Photo Genaro Bardy - Tokyo, 2017
Il y a peu de villes aussi impressionnantes visuellement que Tokyo : photogénique, télégénique, la ville offre un immense panorama de ressources optiques, d’angles inattendus. La seule sensation qui domine depuis les hauteurs est d’être serré, entouré d’un entassement de béton et de verre. Au loin, le mont Fuji, point culminant du Japon, domine l’horizon et rappelle que la ville s’est bien construite dans un environnement naturel.
Au niveau de la rue, il n’y a pas que le gigantisme qui vous fait sentir infiniment petit. La foule est rappelée partout par l’omniprésence des enseignes, la publicité est incomparablement plus développée que partout ailleurs. Je suis stupéfait par la quantité d’annonces visibles, leurs différentes formes se succèdent sans interruption des deux côtés de la rue.
Photo Genaro Bardy - Tokyo, 2017
Les annonces des grands commerçants de Shibuya sont encore plus grandioses. Le carrefour le plus fréquenté du monde assomme par la quantité de voitures et de piétons, quand je lève la tête pour respirer je ne parviens à rien regarder d’autre que des publicités, mariée à ce que l’on doit reconnaître pour être la plus belle écriture du monde. Devant une telle quantité de voitures et un tel flot de musiques, j’ai l’impression que le monde entier défile devant les yeux. C’est un spectacle hypnotique qui déroute, épuise ou émerveille, mais qui ne laisse pas indifférent.
A la nuit tombée, quand les enseignes s’illuminent, on ne peut trouver une maison sans enseigne électrique. La nuit ne donne plus l’impression de cycle naturel, la lumière n’est pas une commodité pour se déplacer, elle éblouit par ses messages. Il est vraiment étonnant de voir toutes ces annonces accrochées aux portes des maisons, aux poteaux qui bordent les rues dont les fils électriques qui les alimentent paraissent tentaculaires ou sur des cabines spéciales suspendues dans les airs.
Et au détour des gratte-ciel bordés d’enseignes lumineuses de Shinjuku, je tombe sur un bloc de petites maisons d’à peine 2 étages. Ce minuscule quartier est coincé entre la voie ferrée, les centres commerciaux et la gare la plus fréquentée du monde, c’est un îlot qui est resté deux cents ans en arrière, un de ceux où l’on découvre le véritable goût de Tokyo une fois la nuit tombée.
Photo Genaro Bardy - Tokyo, 2017
Le goût de Tokyo
Les Japonais divisent la nuit en plusieurs soirées successives, avec un sens pratique remarquable, chacun étant libre de s’en écarter quand il le souhaite. La “première soirée” est assez calme, elle commence tôt, vers 18h. On mange dans un restaurant, on discute, on boit modérément.
Le lieu est exigu. C’est à peine si on s’y tient à six, et ce soir ce sont quinze personnes qui s’y serrent en riant. Derrière le comptoir, Jitsuko accueille les clients d’un grand sourire : “Irasshaimase. Bienvenue”.
Le soir commence à peine, les derniers trains ne sont pas encore passés. A intervalle régulier, juste au-dessus de nos têtes, cent tonnes de ferraille annoncent le vacarme du retour chez eux des travailleurs. Les quatre murs se mettent à trembler, les tables vibrent dans une petite musique de verres de saké et des discussions qui ne s’arrêtent jamais. On parle fort ou on se tait, on sirote son saké dans la fureur des trains et des phrases.
Photo Genaro Bardy - Tokyo, 2017
Jitusko me propose son fameux kanimiso, une assiette de cervelle de crabe. Deux petits bols de porcelaine, une rondelle croquante de radis blanc, mon voisin commande sa deuxième bouteille de Saké, la nuit est lancée.
La deuxième soirée, de 21 à 23 heures environ, est le début des choses sérieuses. D’abord on trouve un bar ou une nomi-ya, sorte de pub japonais où la principale occupation est de boire tout en faisant semblant de manger.
Quand la troisième soirée commence, les esprits sont déjà bien échauffés. Ceux qui veulent attraper le dernier train courent comme s’ils étaient poursuivis par la morale. à peine disent-ils au revoir, un petit salut de la tête et ils s’éclipsent dans la grande ville. Je suis dans un de ces bistrots comme on n’en trouve qu’à Tokyo, niché entre la voie ferrée et ce petit groupe de maisons à deux étages perdu au milieu des gratte-ciels de Shinjuku. Le temps moderne les a oubliés là, entre le fer, le métal et le verre.
On s’y retrouve tard, quand les autres bars ferment, que les derniers trains sont partis, qu’une nuée de taxis verts, jaunes, oranges parcourt la ville, traçant dans la nuit leurs trajectoires lumineuses. Quelquefois, on s’y donne rendez-vous, mais la plupart du temps tout le monde s’y retrouve au hasard des longues tables en bois vieilli.
Ceux qui restent font semblant d’hésiter, on peut déjà les considérer comme perdus. On se fait juste un peu prier de partir, et il convient déjà de trouver un nouveau bar ou un karaoké. Traverser la nuit se fait en chanson, rien de mieux pour s’évader l’esprit que de rejoindre le monde où l’absurde et l’incroyable deviennent la norme.
Desert in Tokyo - 1er janv 2018 - Photo Genaro Bardy
Enfin vient le moment décisif, l’heure où le cercle se resserre, où les limites sont franchies. Les soirées terminent le plus souvent dans des appartements, où les compagnons de route s’écroulent dans un salon étranger. Bientôt, il ne restera plus que moi et Tokyo, comme une affaire personnelle.
C’est à cette heure tardive de la nuit qu’il m’est offert de vivre l’expérience gustative la plus particulière de mon voyage. Je ne m’abandonne pas à la nuit et décide de rester éveillé jusqu’au départ le lendemain. Je me dirige en taxi vers Tsukiji, le marché au poisson du quartier des pêcheurs.
Immense dédale, Tsukiji est le temple de la gastronomie nippone, repaire de tous les gourmets, négociants et restaurateurs du pays. Il ouvre ses portes dès 5h30 et arriver tôt le matin est le seul moyen de découvrir les espaces réservés aux professionnels qui s’agitent dans un ballet fascinant, chaos ordonné où s’échangent 2 900 tonnes de poissons, coquillages et fruits de mer chaque jour.
Photo Genaro Bardy - Tokyo, 2017
Photo Genaro Bardy - Tokyo, 2017
Dans les rues adjacentes, le poulpe, la coquille saint-jacques ou le saumon sont grillés dehors à même les rues, devant les entrées des meilleurs restaurants de Sushis au monde. Aux premières lueurs du jour je n’ai pas à attendre, à tout autre moment il faudrait prendre son mal en patience.
A l’intérieur des restaurants on croirait un voyage dans le temps. Dans un décor calme de bois ancien, une douzaine de chefs préparent les plats à quelques centimètres devant moi. Les sushis de Tsukiji constituent le plus grand sentiment de fraîcheur que j’ai pu connaître, ce n’est plus un repas, c’est un bain salé dans l’océan.
« Les gens qui s’amusent n’ont pas de temps libre »
Déjà la foule prend possession des petites rues de Tsukiji, il est temps pour moi de poursuivre ma route, de quitter les contrastes de Tokyo qui se retrouvent jusque dans sa philosophie populaire. Le proverbe ancestral qui correspond le mieux à Tokyo : 遊び人暇なし asobininhimanashi - « Les gens qui s’amusent n’ont pas de temps libre ». C’est un double sens qui désigne les possibilités infinies de la ville la plus peuplée au monde, autant que le manque de temps qui condamne ceux qui en profitent.
Photo Genaro Bardy - Tokyo, 2017
Photo Genaro Bardy - Tokyo, 2017
Photo Genaro Bardy - Tokyo, 2017
Desert in Tokyo - 1er janv 2018 - Photo Genaro Bardy
Les meilleurs podcasts sur la photographie
Image de couverture par Florante Valdez de Pixabay
À la lecture des réponses à une question du remarquable photographe Théo Giacometti, je me suis dit que je ne connaissais pas de bonne liste de podcasts sur la photographie.
Je reprends donc ici les réponses qui m'ont paru les plus intéressantes et le résultat de quelques recherches. Cette liste sera mise à jour au fil de mes découvertes. Si vous connaissez d'autres podcasts que j'aurais oublié, les commentaires vous attendent :)
Vision(s) par Aliocha Boi
Pour écouter Vision(s) sur toutes les plateformes : https://visionspodcast.fr
Perspective par Cécile Lombardie
Pour écouter Perspective sur toutes les plateformes : https://www.podcastics.com/podcast/perspective/
Les Minutes Photographiques par Romain Esteban
Pour écouter tous les épisodes des minutes photographiques : https://shows.acast.com/les-minutes-photographiques
Photographe Pro 2.0 par Fred Marie
Pour écouter Photographe Pro 2.0 sur toutes les plateformes : https://photographe-stratege.com/podcast/
France Culture
Séries d'émissions sur Henri Cartier Bresson : https://www.franceculture.fr/emissions/series/la-presence-dhenri-cartier-bresson
Bonus - Le Film Koudelka Shooting Holy Land
Savoir être chanceux
Tous les conseils que vous pourrez trouver pour améliorer vos photos sont acceptables, intéressants à explorer. Améliorer ses photos est une recherche fastidieuse. C'est aussi l'intervention de la chance. La chance suprême, magique. Pas le hasard. Une photo exceptionnelle est à la fois provoquée et imperceptible.
Ne cherchez pas trop à réaliser une image parfaite. Tous les principes que vous étudierez pour améliorer vos photos seront soudainement anecdotiques à la prise de vue, où le temps manquera toujours. La chance vous informera de sa présence si vous savez reconnaître des bonnes photos. La chance vous dira : "tiens, regarde". Comme une flèche en plein cœur, vous saurez. Mais uniquement si vous savez aussi reconnaître la chance et son intervention.
Pour provoquer la chance, travaillez vos prises de vue à l'édition en devenant le plus exigeant possible. Même si c'est impossible, essayez d'oublier le moment que vous avez passé et regardez vos photos pour ce qu'elles sont, pas pour ce qu'elles représentent seulement pour vous. Est-ce que ce que vous ressentez est effectivement présent et bien décrit par la photo ? Si vous avez un doute, c'est qu'il n'y a pas de doute : la photo est ratée.
Afin de laisser la chance vous informer de sa présence, vous devez être ouvert et capable de réagir à une action en mouvement perpétuel. Et vous devez apprendre à disqualifier une photo si la chance n'est pas intervenue.
Photo Genaro Bardy - Salvador da Bahia - Nov 2020
Photo Genaro Bardy - Salvador da Bahia - Nov 2020
Cinéma et Photographie - En direct le 17 décembre 2020
Je reprends La Petite Fabrique de Photographie, ma petite émission sur la photographie produite depuis mon bureau :) Je compte en proposer plusieurs épisodes, mais je n'aurai probablement pas le temps d'en produire avant le mois de Janvier. Je vous tiens au courant pour la suite, d'ici là voici la bande-annonce pour cet épisode spécial Cinéma qui aura lieu le 17 décembre 2020 à 19 heures, heure Française, sur ma page Facebook : facebook.com/genaro.bardy.photographer
Le mariage des coïncidences
La vie est souvent une comédie, et la photographie peut en révéler des scènes fascinantes par la juxtaposition. Je propose rarement des photos avec des scènes explicitement drôles ou avec des associations comiques. Quand je photographie dans la rue, je cherche à assembler, à lier des éléments qui sont sur différents plans ou qui coexistent dans le cadre.
Avec un peu de chance, un heureux hasard et l'habitude de la pratique, on peut juxtaposer et trouver un rythme ou un motif dans une photographie. À la prise de vue je n'ai pas le temps d'y penser, je fonctionne purement à l'instinct. Mais à l'édition rien ne me semble plus important que l'analyse et la recherche de moments synchrones.
Je me demande : est-ce que cette photo représente une harmonie ? Une tension ? Un conflit ? Parfois, je trouve des éléments ou des personnages qui se répondent sans le savoir.
Une juxtaposition est souvent un mariage de coïncidences.
La contrainte rend créatif
Le programme L'Étincelle prend fin dans quelques semaines, et tous les participants sont plus ou moins en confinement, que ce soit en France, en Suisse, en Allemagne ou aux Pays Bas.
Je leur propose chaque semaine de commenter leurs photos suite à des exercices créatifs. Beaucoup ont relevé la difficulté à pratiquer la photographie quand on ne peut sortir de chez soi qu'une heure et à un kilomètre pour prendre l'air.
Je sais la difficulté de la situation sanitaire en France et en Europe en ce moment, l'urgence dans laquelle vivent les hôpitaux, les malades qui s'accumulent, et aussi les graves conséquences sur l'économie et la vie quotidienne. La situation au Brésil où je vis n'est pas plus enviable.
Pourtant, je soutiens aux participants du programme que toutes les contraintes du monde ne doivent pas nous arrêter dans notre photographie. Nous ne pouvons pas photographier plus que ce que nous vivons, c'est une philosophie que d'accepter ce qui se présente à nous et c'est un principe que j'encourage à suivre : nous devons nous concentrer sur ce que nous pouvons faire. Si je ne peux photographier qu'ici, j'essaierai d'en tirer le meilleur.
La contrainte comme révélateur
Je dirais même que c'est la contrainte qui rend créatif, si l'on se force à dépasser les limites que nous voyons à nos capacités. Quand on débute en photographie, la limite est technique, l'appareil photo est notre première contrainte. Une fois la technique à peu près comprise, on essaye de remplir le cadre et on commence à penser à comment le remplir, par la composition et la nature si particulière du plan d'une photo. Certaines techniques de composition sont objectivement meilleures que d'autres, quelque soit le genre pratiqué. Bien composer, ce peut être une contrainte.
Si je veux raconter une histoire, si je cherche un principe créatif que je pourrais appliquer sur une série, un projet ou un livre, c'est une contrainte. C'est même toute l'idée des exercices que je donne aux participants à ce programme de formation : je leur donne des contraintes pour révéler une créativité.
Photo Genaro Bardy -
On photographie d'abord ce que l'on vit
À titre personnel, le premier confinement à Salvador de Bahia a duré cinq mois. J'ai commencé par participer au maximum au exercices que je proposais, à la maison. Et puis je décidai de raconter une histoire toute simple, intime, personnelle, car nous attendions la naissance de notre fille Luna. Enfin, j'ai continuer à photographier dès que je sortais, pour la moindre course, même si ça devait être quinze minutes dans un supermarché.
La photo ne s'arrête jamais, et nous aurons toujours des contraintes. Nous avons d'abord les limites que nous voulons bien nous mettre, les raisons que nous nous donnons pour ne pas photographier. Je ne vous dis pas d'absolument proposer un journal de confinement comme tout le monde, je souhaite juste souligner qu'une crise peut aussi être une opportunité. Si vous voulez photographier ou progresser dans votre démarche, vous pourrez toujours le faire. On photographie d'abord ce que l'on vit.
Photo Genaro Bardy
Dépasser ses limites
Depuis quelques mois, j'arrive à m'organiser des journées entières de photographie dans les rues de Salvador, tous les dix jours. J'essaye d'apporter la touche finale au livre dont je vous parlerai bientôt et qui prend forme. Cette semaine, je suis sorti avec une conviction : je ne m'approchais pas assez de mes sujets, des personnes que je rencontrais. J'ai réalisé que le fait d'avoir une go-pro sur le torse pour vous montrer mes shootings me limitait.
J'ai décidé pour la journée d'abandonner la go-pro et d'aller au contact des gens, d'aller leur parler. Je vous rassure, avec un masque et une distance suffisante. En dépassant cette limite, j'ai certainement passé une des meilleures journées de photographie à Salvador, de par la qualité des photos que j'ai réussi à sortir pour mon projet, et pour les rencontres qui m'ont été permises.
Quelque soit la contrainte qui se présente, nous sommes finalement tous seuls à nous mettre des limites. Ces limites doivent nous apprendre à chercher à les dépasser. Il y a des millions de photos à prendre à un instant donné. Tous les choix que nous ferons, les outils que nous choisirons, seront toujours des contraintes. C'est la contrainte qui rend créatif.
Photo Genaro Bardy - Passion parking de supermarché