Comment commencer un projet en photographie de rue
Photographier en série est la recette du bonheur. Voir un projet éclore, s'accomplir, est le summum du plaisir en photographie. Certains vous diront que c'est la seule manière de procéder, je suis en désaccord avec cette assertion radicale.
La photographie peut être extrêmement simple et rester un petit journal de votre vie quotidienne. La photographie peut aussi être utile de manière tout à fait pratique pour communiquer l'existence ou l'avancée d'une activité. Quand je photographie mon fils, je n'ai pas d'intention de publier, d'exposer ou d'assembler les photos dans un livre, ce n'est pas un projet et ça reste pour moi de la photographie.
Mais si vous voulez aller plus loin dans votre expression artistique, une seule voie : le projet photographique, quelque soit la forme finale qu'il prenne.
Explorons ici quelques moyens d'initier un projet photographique.
Une obsession
Un projet photographique devrait commencer par ce que vous pouvez photographier pendant 5 ans sans jamais vous lasser. Un projet est avant tout une obsession.
J'ai personnellement une obsession avec New York que je n'aurai jamais fini d'explorer, si je ne m'y installe pas un jour je sais que j'ai encore quelque chose à aller chercher. Dès que mon projet "Ville Déserte" a commencé j'ai eu mes yeux sur New York qui est pour moi la capitale du monde. J'ai commencé un autre projet à New York avec une autre obsession, concentrée sur les couleurs primaires. Quand j'ai un projet en tête et qu'il s'accroche, j'ai l'impression qu'il me reste à l'esprit en permanence, que je ne peux plus le lâcher tant que je n'en ai pas sorti un objet fini. Pour moi cet objet fini est un livre, mais cela pourrait prendre d'autres formes : un diaporama, un film, pourquoi pas un Leporello.
Alex Webb parle de l'obsession dans son livre On Street Photography and the Poetic Image, quand il décrit son processus d'écriture de livres. Il explique qu'une grande partie du projet est de découvrir la nature particulière de son obsession, sans vraiment en connaître la fin. La plupart de ses projets commencent par une phase exploratoire autour d'une destination particulière. Puis l'obsession nait et grandit après une découverte.
Photo Genaro Bardy - Primal NYC
Photo Genaro Bardy - Primal NYC
Photo Genaro Bardy - Primal NYC
Photo Genaro Bardy - Primal NYC
Le succès
Pour débuter un projet, commencez par analyser vos photos qui ont eu du succès dans le passé. Quelles en sont les caractéristiques ? Que racontent-elles ? Pourriez-vous réaliser cette même série là où vous vous trouvez maintenant ? Dans d'autres endroits ?
Mes villes désertes ont commencé parce que je suis arrivé pour une semaine de travail (dans ma vie passée) à New York la veille de l'ouragan Irene en 2011. Toutes les télés étaient en boucle, Brooklyn avait déjà des zones inondées par les pluies incessantes et le couvre-feu était recommandé à partir de la fin de journée. J'ai descendu Manhattan le long de la 5ème avenue depuis Mid-Town vers le quartier financier à travers Greenwich Village. Plus j'avançais, plus la ville se vidait de ses habitants. J'ai édité mes photos pendant la nuit de l'ouragan et publié mes photos le lendemain matin sur mon blog, Facebook et Flickr. Ce projet était tout simple et s'appelait alors "Le Calme avant Irene". À l'époque c'était mes photos qui avaient été le plus partagé, et probablement la seule fois où l'une d'elles était en page d'accueil de Flickr.
3 ans plus tard, alors que je commençais mon activité de photographe professionnel, je me suis demandé comment je pouvais reproduire ce type de photos, sans personne. Parce que je voulais travailler à Paris et que je ne pouvais pas prévoir les ouragans, j'ai essayé de me demander quelle serait la nuit la plus calme de l'année. Noël était un mois plus tard, j'ai fait un rapide repérage et tracé un parcours pour la nuit de noël pour réaliser un maximum de photos, c'était un essai. L'ouragan est alors arrivé pour mes photos qui ont été reprises dans des dizaines d'articles. Une fois le principe éprouvé à Paris, j'ai eu mes yeux sur Londres, Rome, Tokyo, et bien sûr New York pour continuer le projet.
Photo Genaro Bardy - Le Calme avant Irene - New York, 2011
Photo Genaro Bardy - Le Calme avant Irene - New York, 2011
Une histoire
C'est ici que vous devez prendre conscience qu'un projet photographique peut simplement être un projet d'auteur, indépendamment du moyen qui est utilisé pour raconter une histoire, en l'occurence des photos.
Nous avons tous des histoires que nous racontons à des amis ou des nouvelles connaissances. Quelqu'un dans votre famille qui a un parcours étonnant ? C'est une histoire. Un lieu pour lequel vous avez un attachement particulier ? Vous connaissez certainement des dizaines d'histoires de ceux qui le peuplent.
La particularité d'une histoire est à priori la notion temporelle. Une histoire ça commence par "il était une fois" et ça finit par "ils vécurent heureux" si vous vous appelez Disney. Vous aurez des personnages dont vous voudrez réaliser des portraits, des lieux dont vous aurez besoin de paysages ou de détails, quantité d'éléments qui composeront votre histoire, ils seront toujours liés par le temps : vous aurez un début, un incident, un sujet, qui évoluera dans le temps. L'ensemble va constituer un arc narratif.
Et puis vous trouverez des histoires qui ne respectent aucun code, qui ont des manières originales d'être racontées. En cinéma par exemple Christopher Nolan est connu pour jouer avec les codes narratifs en modifiant les structures temporelles classiques.
Vous trouverez autant de manières de raconter une histoire que d'histoires, vraiment. Mais si vous voulez débuter un projet, commencez par l'histoire que vous connaissez et qui fascine quand vous la racontez. Photographiez ses personnages, ses lieux, et utilisez l'évolution dans le temps pour la développer.
Le hasard
Marchez de manière aléatoire, perdez-vous en prenant des directions au hasard, au fil d'inspirations spontanées. Robert Adams explique qu'il ne pourrait jamais commencer un projet en écrivant à l'avance ce qu'il devait photographier. Ce sont les photos issues d'explorations aléatoires qui donneront une idée à posteriori.
Pour Robert Adams la plupart des livres commencent par une marche et des photos, sans aucun plan. Quand on connait le travail dantesque réalisé pour ses livres, on pourrait dire que le hasard se transforme alors... en obsession.
Photo Genaro Bardy - My Soul so Cool from the Bath of Light - Salvador de Bahia, 2018
Photo Genaro Bardy - My Soul so Cool from the Bath of Light - Riohacha, 2019
Photo Genaro Bardy - My Soul so Cool from the Bath of Light - Bogota, 2019
L'ancien
Revisitez d'anciennes séries de photos et demandez-vous ce que certaines pourraient avoir en commun. Pourquoi avoir choisi une photo plutôt qu'une autre ? Est-ce que cette raison tient encore aujourd'hui ? Et si vous commenciez à assembler certaines photos de séries qui n'ont rien à voir, comment pourriez vous continuer ce que vous commencez à raconter ?
Un projet photo ne va pas révolutionner le monde de l'art, il ne doit pas être un statut ou une épreuve de vanité. C'est simplement un assemblage de photos, accompagné de textes plus ou moins longs. Cela peut paraître basique, mais je suis convaincu que vous aurez besoin de pratique en projets photographiques pour progresser, que vous avez besoin d'éprouver et de rater des projets comme on rate des photos. Commencez par un projet basique en re-visitant des photos déjà réalisées.
Photo Genaro Bardy - Underdogs - New York, 2010
Photo Genaro Bardy - Underdogs - New York, 2011
Un titre
Notez des titres dans un carnet, dès que vous voyez un assemblage de mots qui feraient un bon titre de projet. Un titre que vous auriez envie d'explorer comme lecteur, un bon mot, un jeu de mots, une phrase qui chante, une poésie en prose, tout ce qui vous passe sous les yeux et qui ferait un bon titre.
Je crois qu'il n'y a rien de plus beau qu'un joli carnet avec une belle écriture, mais j'écris de manière totalement désordonnée mes carnets ne ressemblent à rien. Personnellement j'utilise Google Keep (Application Android et Web), qui me permet de synchroniser entre mon ordinateur et mon téléphone. Puisque j'ai pris la fâcheuse habitude de lire tout ce qui n'a pas de photos sur l'application Kindle de mon téléphone, je copie les passages qui m'intéressent dans Keep.
Puis demandez-vous comment vous pourriez réaliser un projet photo à partir de chaque titre. Commencez à établir la liste de photos dont vous pourriez avoir besoin pour développer un titre. Marie Lemeland avec qui nous avons réalisé La Ville Miraculeuse y explique avoir pris ce titre d'un poème de Paul Nougé. Ce poème serait d'ailleurs une excellente source pour plein de projets photo :)
Photo Genaro Bardy - La Ville Miraculeuse - Paris, 2018
Photo Genaro Bardy - La Ville Miraculeuse - Salvador, 2019
Photo Genaro Bardy - La Ville Miraculeuse - Shanghai, 2015
L'inspiration
Le moyen le plus facile de commencer un projet photographique est de s'inspirer des grands maîtres. Prenez un projet qui vous intéresse ou vous fascine et demandez-vous : si je devais réaliser un projet similaire, à ma manière, comment est-ce que je ferais ?
Est-ce que c'est un plagiat ? de la copie ? du vol ? Bien sûr que non. Partez du principe que toutes les photos on été faites et que tous les projets ont été réalisés. Ce que vous pouvez proposer sera toujours une adaptation d'un principe déjà vu ailleurs. Me concernant j'ai découvert après "Desert in Paris" que Masataka Nakano avait déjà proposé ce principe avec Tokyo Nobody. Si le principe est identique, les différences sont majeures : Masataka a réalisé son livre sur 10 ans essentiellement le matin, alors que chacune de mes villes désertes sont capturées sur une seule nuit, toujours pendant une fête familiale (Noël à Paris, Londres ou Rome, Thanksgiving à New York, le jour de l'an à Tokyo). Et ça n'a pas empêché d'autres photographes de proposer Paris désert, à d'autres occasions.
https://www.youtube.com/watch?v=nJPERZDfyWc
Tout est remix. Inspirez-vous des plus grands photographes et adaptez les projets que vous aimez à votre sauce, avec votre patte, votre oeil. Si vous croyez en une histoire, c'est une raison suffisante pour commencer à la raconter. Si vous étiez écrivain, vous ne vous empêcheriez pas d'écrire un roman policier parce que ça a déjà été fait.
Pour nourrir votre inspiration, je vous propose deux livres qui contiennent quantité de projets passionnants :
The Photobook: A History Volume III by Martin Parr - Une histoire des livres photo par le génial Martin Parr. Les premiers volumes feraient l'affaire mais celui-ci est plus récent et donc à mon avis plus pertinent.
Magnum histoires - Ce livre est nettement moins cher et regroupe les histoires de séries de photos des grands maîtres de l'agence Magnum. Chaque histoire pourrait être une inspiration pour vous, et ce prix pour un livre si gros et beau c'est le meilleur cadeau que vous pouvez vous faire.
L'ennui en photographie de rue
Il est facile de s'ennuyer en regardant de la photographie de rue. L'offre est devenue pléthorique avec l'explosion du nombre incalculable de photographes que l'on peut suivre, que ce soit sur Flickr, 500px ou maintenant Instagram. Mais ce sont surtout des photographes moyens ou en cours de progrès qui publient leur photos. Croyez bien que je m'inclus dans ce phénomène. J'ai commencé la photographie avec l'avénement des réseaux sociaux et trop longtemps j'ai partagé des photos que je trouve maintenant médiocres.
L'objet ici n'est pas de vous faire prendre conscience de la médiocrité ambiante, c'est une évidence. Ce dont il faut à mon avis prendre conscience et qui peut vous faire gagner un peu de temps et progresser :
On ne sait pas à quel point
on est un mauvais photographe
tant qu'on a pas progressé.
Heureusement en photographie vous n'aurez pas de ceinture jaune, rouge ou bleue, vous n'aurez pas de division 1, de district ou de compétition régionale. C'est notamment pour cette raison que je ne recommande absolument pas de participer à un club photo local qui ne vous permettra jamais de dépasser le niveau de ceux qui l'animent. À la limite si c'est pour vous donner des occasions de sorties et des thèmes pourquoi pas, mais s'il vous plait ne participez pas à des concours jugés par des photographes médiocres. VOUS devez être le seul juge de vos progrès, en vous comparant aux grands maîtres dont les travaux sont accessibles notamment par leurs livres.
Si vous vous donnez pour objectif de progresser, vous verrez les progrès, mais seulement au bout du chemin... Vous ne verrez vos défauts actuels qu'après avoir franchit un cap.
Pourquoi l'ennui
L'ennui en photographie de rue est si vite arrivé, il peut avoir différentes raisons :
- un passant qui marche de dos dans un lieu touristique.
- un cadrage mal maîtrisé.
- un sujet totalement banal.
- le cliché exotique pendant un voyage.
- un geste interrompu au mauvais moment. Certaines démarches fonctionnent, d'autres non, apprenez à les reconnaitre.
- un développement extrême ou à l'inverse extrêmement simple et sans relief. (je vous ai dit pour les profils colorimétriques ?).
- Une scène que vous êtes le/la seul.e à voir. Ne confondez pas le moment que vous avez passé avec la photo qui en est le résultat.
Les exemples sont sans fin. Il me parait essentiel de toujours se demander comment améliorer une photo, tout comme dans le doute il vaut mieux ne pas publier.
Développez un regard personnel
Nous avons tous un message important, mais uniquement s'il vient du fond du coeur. Plusieurs éléments peuvent vous permettre de progresser vers une photographie plus personnelle, qui sera toujours le meilleur moyen de lutter contre l'ennui du spectateur :
- Apprenez le langage visuel. Comment se transmet un message dans une image ? Quel est le signifié (ce que vous voulez dire) de votre signifiant (votre photo).
- Verbalisez vos photos pour les étudier. Commencez par les décrire dans le moindre détail, puis à en expliquez le sens, et enfin ce que vous ressentez en la voyant. Je vous recommande de parler à voix haute, comme si vous parliez à un ami, pour vous forcer à mettre des mots sur vos photos.
- Étudiez la symbolique. De quoi cette photo est-elle le symbole ? Comment feriez-vous si vous deviez photographier la séparation ? Le deuil ? Comment s'exprime la joie en dehors d'un sourire ? Exercice : choisissez un Emoji et essayez d'en faire une photo.
- Montrez vos photos à vos proches. Par exemple entre deux photos qui auraient un sens similaire, mais une composition légèrement différente, demandez-leur celle qu'ils préfèrent, et surtout demandez-leur pourquoi. Une personne ne fera pas de différence, vous resterez le/la seul.e juge, mais vous verrez le chemin que fait votre photo ou plutôt son sens chez quelqu'un d'autre.
- Ne sortez pas "pour faire des photos de [centre de la ville]", plutôt essayez de suivre un sujet. Quelques exemples pour commencer :
- Quelqu’un dans l’eau
- Quelqu’un d’intimidant
- Quelqu’un d’irritant
- Quelque chose de furtif
- Quelque chose d’intemporel
- Quelque chose que vous ne comprenez pas
- Quand vous revenez de votre shooting, demandez-vous ce que vous avez vraiment envie de photographier. Cela n'a pas besoin d'être profondément intellectuel ou compliqué.
- N'oubliez pas que le/la photographe de rue est avant tout un.e sociologue.
5 leçons sur la photographie de rue avec Elliot Erwitt
Elliot Erwitt est un photographe mondialement connu basé à New York mais constamment en voyage. Il est membre de l'agence Magnum depuis 1958, sa carrière continue depuis plus de 60 ans et il a été exposé dans de nombreux musées prestigieux. Elliott Erwitt est une sommité de la photographie et un grand maître de la photographie de rue.
Ces enseignements seront souvent illustrés par des photographies issues du livre Elliott Erwitt's NEW YORK dont je prends conscience à l'instant en commençant cet article que je possède un exemplaire signé. Je pense en avoir fait l'acquisition lors de l'une de ses expositions à Paris, mais rien n'est moins sûr. Je suis en tout cas un fan absolu du travail d'Elliott Erwitt, de son regard et de sa drôlerie, je ne peux pas imaginer présenter certains grands maîtres de la photographie de rue sans Elliott. Il représente une de mes inspirations majeures en photographie.
Eloge de la sérendipité
La sérendipité est la conjonction du hasard heureux qui permet au chercheur de faire une découverte inattendue d'importance ou d'intérêt supérieurs à l'objet de sa recherche initiale, et de l'aptitude de ce même chercheur à saisir et à exploiter cette « chance ». (Wikipédia)
Les photos d'Elliott Erwitt sont un éloge de la sérendipité, un hymne au hasard heureux et à la chance provoquée. La photographie de rue est une pratique qui est pleine de petits moments anodins, intéressants, curieux. La curiosité, voilà, c'est la qualité du photographe de rue. Et notre curiosité, notre soif de voir est étanchée par la sérendipité qui ne manquera pas d'arriver, si et seulement si nous sortons de chez nous pour faire des photos.
Photo Elliott Erwitt
USA. New York City. 1949.
Photo Elliott Erwitt - USA. New York. 1968.
Déambuler sans direction ou plan
Que vous soyez en train de découvrir une nouvelle ville ou que vous exploriez en bas de chez vous, laissez-vous porter par l'instinct, ne faites aucun plan. Elliott Erwitt explique régulièrement ne faire aucun plan quand il explore une ville, je crois que c'est la meilleure manière de pratiquer la photo de rue.
Trop souvent j'ai une idée pré-conçue de là où je souhaite aller, de ce que je voudrais voir ou photographier. Mais chaque fois que je décide d'aller photographier et d'avancer sans but ni trajectoire je découvre des scènes merveilleuses, une lumière incroyable ou un sujet inattendu. Ne soyez pas un touriste, restez un explorateur.
Quand j'emmène des groupes à New York, j'aime improviser en fonction de la météo, d'un ferry raté qui me fait aller dans une autre direction, d'envies soudaines ou d'inspirations sur des lieux photographiés par certains que j'admire. Je laisse toujours une place à l'inattendu, je crois que la photographie de rue devrait toujours être pratiquée ainsi.
Photo Elliott Erwitt - USA. New York City. 1953.
Photo Elliott Erwitt - USA. New York City. 1950.
Photo Elliott Erwitt - USA. New York. 1954.
Ne pas se soucier de la technique
Certaines des photos du livre Elliott Erwitt's New York ne sont tout bonnement pas justes techniquement. Mise au point approximative, notamment sur la photo de couverture ! Flou avec une vitesse qui pourrait paraître trop lente. Les exemples sont nombreux et ne posent aucun problème.
L'émotion passe devant la technique, le moment est plus important que la photo elle-même. C'est une leçon d'humilité et de curiosité, regardons avant de déclencher, observons plutôt que de régler. Et ne regardons pas nos photos quand nous sommes dehors, nous pourrions laisser passer un moment merveilleux.
Photo Elliott Erwitt - USA. New York.
Photo Elliott Erwitt - USA. New York.
Photo Elliott Erwitt - USA. New York.
Travailler toute sa vie
Tous les moments sont bons, même lors de commandes et de travaux qui peuvent paraître inintéressants. On retrouve dans Elliott Erwitt's New York quantité de clichés issus de son activité de photographe professionnel, des photos qui sont clairement des commandes. Et on trouve des moments de tendresse de son quotidien, des moments de vie de tous les jours. La photographie peut être tellement personnelle, intime, simple et profondément subtile en même temps. La photographie ne s'arrête jamais. C'est pourquoi je croie que pour devenir un meilleur photographe il faut se servir de son appareil tout le temps, toute sa vie.
Elliott Erwitt travaillera littéralement toute sa vie, aussi. Lors d'une interview en 2017 il explique alors à l'âge de 88 ans que ses 4 ex-femmes et 6 enfants ne lui laisseront jamais le temps d'une retraite pourtant bien méritée. Je me sens totalement concerné par cette observation, j'ai commencé bien trop tard et je ne mets jamais d'argent de côté, je sais que j'irai au bout et travaillerai tout ce que je pourrai. Ce qui ne me pose aucun problème, à part de ne pas pouvoir travailler en permanence sur des projets personnels. Mais les commandes sont aussi des occasions de voir autrement et différent.
Photo Elliott Erwitt
Photo Elliott Erwitt - USA. New York City. 1954. Jazz alto saxophonist Paul DESMOND.
Photo Elliott Erwitt - USA. New York City. 1950.
Photo Elliott Erwitt - USA. New York, New York. 1954. Third Avenue El.
Ne pas se prendre au sérieux
Les livres d'Elliott Erwitt sont pleins de drôlerie, de moments facétieux. Ces photos ne sont jamais des situations inconfortables ou honteuses, juste une pointe d'amusement souvent mêlée à une infinie tendresse. Ou parfois simplement un chien qui a une sacrée gueule.
Je partage avec Elliott un amour infini des chiens, dont nous sommes les meilleurs amis (et pas l'inverse). Je lui dois également la popularisation du 'Dogview', principe de prise de vues où le photographe se met à la hauteur d'yeux du chien.
La photographie n'est pas une question de vie ou de mort, c'est bien plus sérieux que ça ! Travailler sérieusement sans se prendre au sérieux, voilà un mantra fabuleux à garder des photos d'Elliott Erwitt.
Photo Elliott Erwitt - USA. New York City. 1977.
Photo Elliott Erwitt - USA. New York.
Photo Elliott Erwitt - USA. New York.
Photo de rue et droit à l'image - Peut-on photographier des inconnus sans demander la permission ?
Oui, tant que c'est dans un espace public.
C'est la principale question de débutants dans mes workshops et certainement la question la plus posée à propos de la photographie de rue : Peut-on photographier des inconnus sans demander la permission ? Alors attaquons cette réponse en essayant d'être le plus concis possible, c'est à dire un peu plus qu'un "oui" qui devrait pourtant suffire. Les informations présentées ici sont issus d'articles et interviews de Manuel Dournes et Joëlle Verbrugge, juristes spécialisés et reconnus sur la question.
Le droit à l’image est régi par plusieurs textes :
Règlement (UE) 2016/679 relatif à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel, Droit à l'effacement (article 17)
Loi n°78-17 du 6 janvier 1978 - Informatique et libertés - Article 110
Code civil : articles 7 à 15, respect de la vie privée (article 9)
Code pénal : articles 226-1 à 226-7, Atteinte à la vie privée
Code pénal : articles 226-8 à 226-9, Atteinte à la représentation de la personne
Code de procédure civile : articles 484 à 492-1
Ces textes ne contiennent pas d'élément qui encadre directement le droit à l’image, c’est donc par jurisprudence que les désaccords sont réglés. En pratique le droit à l’image est en conflit avec le droit d’auteur, le droit qu’a le photographe de s’exprimer par la photographie. En cas de plainte, c’est donc au magistrat de décider s’il faut donner la priorité au droit d’auteur du photographe ou au droit à l’image de la personne photographiée.
Le droit à l'image n'intervient qu'à la publication
Sur le principe, on ne peut pas empêcher la prise de vue. Le droit à l’image intervient à la publication. À ce titre, Joëlle Verbrugge conseille de toujours déclencher d'abord, puis de se poser la question du droit de publication. La question du droit de la diffusion ne vient que dans un deuxième temps. C’est là qu’il est intéressant de garder un contact ou l'autorisation de ceux que l’on a pris en photo, surtout si le cliché est polémique.
En réalité à part dans le cas d'une diffusion qui amène un préjudice à la personne photographiée, vous avez tout à fait le droit également de diffuser les images sur Internet si vous n'êtes pas photo-journaliste ou photographe professionnel.
Légalement, les personnes photographiées ne peuvent obliger à effacer une photo sur le boitier
Selon Manuel Dournes des poursuites ne peuvent être engagées que s’il y a diffusion ou publication effectives. La prise de vue n’est pas en soi illicite, tant que les images ne circulent pas aucune poursuite ne peut être engagée. Les personnes qui s’estiment lésées doivent démontrer l’intention coupable de celui qui diffuse les images sauf en matière de diffamation où la charge de la preuve est renversée.
Ainsi selon Joëlle Verbrugge le photographe doit faire preuve de bon sens, si la personne photographiée est dans une situation peu enviable elle peut s'opposer à la diffusion de l'image. Son argument est alors que la photo porte atteinte à sa dignité, ce cas est protégé par le droit à l’image.
Ainsi on ne peut pas interdire l’acte de photographier lorsqu’il se déroule dans un lieu public. C’est la diffusion qui nécessite l’autorisation, pas la prise de vue tant que vous ne pénétrez pas dans un espace privé. Vous pouvez toujours expliquer à quelqu’un votre bon droit de prendre une photo, dont seule la diffusion nécessiterait (éventuellement) son accord.
Si le droit à l’image des personnes semble complexe, c’est parce qu’il est à la fois mal défini et protégé en France. Sa première apparition remonte à 1803 avec l’inscription de l’article 9 au Code civil : “Chacun a droit au respect de sa vie privée.” Toute personne physique a donc le droit d'autoriser ou non la diffusion des photos et vidéos sur lesquelles elle figure.
En deux siècles, la juridiction a autant évolué que les modes de diffusion des images. Ainsi, depuis 2008, pour que quelqu’un réussisse à faire interdire une publication, il faut qu’il prouve ce qui lui porte préjudice. Le simple fait de se reconnaître sur une image ne suffit pas.
Au-delà de cette jurisprudence, plusieurs cas de figure tempèrent l’article 9 depuis longtemps. Si la personne est non reconnaissable – lorsqu’un individu est flou, de dos, dans une foule, ou encore à contre-jour... –, l’autorisation n’est pas nécessaire. Il ne suffit pas que quelqu’un se reconnaisse sur une image parce qu’il se savait présent sur les lieux, par exemple ; il faut qu’il puisse être clairement identifiable par un tiers.
Les photographes de rue ont le droit de diffuser et vendre les photos
Joëlle Verbrugge l’explique également en citant le verdict d’un procès, la personne photographiée peut faire condamner la diffusion d'une photo :
quand l’image de la personne est contraire à sa dignité
quand la personne démontre que la diffusion lui cause « des conséquences d’une particulière gravité »
Elle donne un exemple : si vous photographiez un couple qui s’embrasse, mais qu’il s’agit d’un homme et de sa maitresse. La femme s'identifie sur votre cliché et demande le divorce à son mari. Ce dernier peut porter plainte pour préjudice moral et éventuellement financier.
S’il n’y a aucun préjudice, aucune conséquence sur la personne photographiée, le photographe est dans son droit. La liberté d’expression artistique prime sur le simple désir d’une personne qui ne souhaite pas voir son image diffusée.
Ce même droit d’expression artistique nous autorise également à vendre nos photos et les tirages, à les exposer, à éditer et vendre un livre photographique.
Connaissez votre droit
Il me parait crucial en photographie de rue de bien connaître ces éléments pour pouvoir réagir à certaines situations qui peuvent être un peu tendues quand une personne vous identifie en train de la prendre en photo. Le droit à l'image est systématiquement évoqué et si vous pratiquez la photo de rue suffisamment proche de vos sujets ces discussions finiront par arriver.
Gardez le sourire, présentez votre travail, demandez la permission de garder la photo ou de réaliser des portraits. Mais connaissez votre droit, vous avez le droit de garder cette photo.
Si vous voyagez, un droit différent s'applique dans chaque pays bien que ces principes soient largement partagés, la prise de photos dans un lieu public est très rarement interdite. Tout de même, renseignez-vous avant de partir en voyage.
Pour aller plus loin :
Comment choisir les bonnes photos
Avec le temps, ma sélection de photos est en train d'évoluer. Pendant mes premières années de photographie professionnelle, je dirais qu'un bon 80% de mes choix de photos, à la prise de vue comme à l'édition, correspondait à ce que je pensais ou croyais être "les bonnes photos". Je photographiais pour mes clients plus que pour moi. Je laissais la commande ou ce que j'imaginais être les photos qui fonctionnaient prendre le dessus sur mon envie, mon intuition, ma volonté créative. Je crois que je me suis perdu pendant quelques temps, en oubliant les premières photos qui m'ont donné envie de faire de la photo mon métier.
Je comprends maintenant que la liberté de voir est totale, absolue, infinie. Je suis le seul à me mettre ces barrières, alors que je sais au fond quelles photos je voudrais voir, quelles photos je voudrais choisir de prendre ou choisir de montrer. Certaines photos rejetées sont toujours là, je peux toujours retourner les voir et recommencer ma sélection.
Laissez le temps faire son oeuvre
La plus importante des méthodes de sélection des photos est de laisser du temps entre la prise de vue et l'édition. Nous avons tous des photos à envoyer vite, pour un client, un ami ou la famille, mais pour celles qui sont les plus importantes, je vous propose l'exercice : laissez passer une semaine, pourquoi pas un mois, avant de commencer à éditer les photos.
Vous aurez un oeil neuf, frais, détaché de l'émotion de la prise de vue. Vous expérimenterez aussi le plaisir incomparable de redécouvrir des instants que vous aurez oublié.
Underdogs - New York
Collectionnez les outsiders
Pour chaque projet, pour chaque voyage, je crée une collection de photos qui ont peu de chances de passer la sélection ou d'être publiées, mais pour lesquelles j'ai de l'affection. J'oublie toute règle ou convention, tous les principes de composition ou d'exposition. Ce sont simplement les images que j'aime. Elles sont toujours classées par thématique, par projet ou événement, mais elles sont à côté. Les outsiders. Les underdogs.
Souvenez-vous qu'en sport on aura toujours tendance à vouloir que le petit poucet gagne. Les belles victoires sont gagnées par ceux qui n'avaient aucune chance. Et puis quand vous en aurez suffisamment dans cette collection, posez vous la question : et si je devais publier uniquement les outsiders, ça donnerait quoi ? Si vous deviez choisir les meilleures des "pas assez bonnes", est-ce que vous pourriez encore raconter cette histoire ? Parfois oui. Et quand ça marche... c'est une belle victoire.
Underdogs - Paris
Commencez plus de projets que vous ne pourrez jamais publier
Les meilleurs projets photographiques devraient finir dans un livre, une exposition, un film... un ensemble cohérent qui devient plus que la somme de ses photos.
Pour trouver les projets qui vous parlent, qui vous font avancer, qui vous prennent au tripes, ça ne viendra pas du premier coup. On ne commence pas par écrire un roman du premier coup. On commence par la grammaire et le vocabulaire, la syntaxe et une rédaction. Puis une nouvelle, des dialogues, et enfin une histoire. Est-ce que la première histoire est la bonne ? On peut avoir cette impression parce que c'est un aboutissement, la somme de travail en amont est vertigineuse. En réalité créer un projet est une démarche en elle-même que je vous conseille de pratiquer également. Faites des erreurs, écrivez plus d'idées de projets que vous ne pourrez jamais en réaliser.
Travailler sur un projet photographique est un travail d'auteur. Multipliez les projets, commencez par voir des similitudes dans des photos qui n'ont rien à voir, cherchez des histoires à raconter dans les photos que vous avez déjà. Et commencez à assembler des collections de photos sur une intuition, sur une intention créative similaire, écrivez tous les titres de projets que vous pourrez imaginez.
De temps en temps vous aurez un projet que vous ne pourrez plus lâcher, parce qu'il vous parle ou parle de vous. Aussi parce que vous en aurez raté ou abandonné des dizaines avant.
My Soul so Cool from the Bath of Light
My Soul so Cool from the Bath of Light
Horizons New York
Horizons Paris
2 projets commencés, un seul ira au bout
Passez en miniatures
Les photos fortes sont toujours fortes quand elles sont toutes petites. Sur votre logiciel d'édition, affichez votre shooting en miniature et identifiez les meilleures très rapidement en regardant l'ensemble de loin. Cela ne vous dispense pas d'un vrai travail d'édition. Mais vous verrez parfois des photos que vous avez laissé de côté pour de mauvaises raisons.
Cette méthode fonctionne également avec une collection de photos dont le volume est trop important, où vous avez peut être le sentiment qu'elles fonctionnent toutes. Effectuez un tri parmi une collection de photos que vous trouvez réussies et ne gardez que celles qui fonctionnent en miniature.
Les meilleures photos fonctionnent toujours en miniature
Séparez la couleur du noir et blanc
La couleur et le noir et blanc sont tout à fait compatibles. Mais je les crois tellement différents dans leur principe que je vous recommanderai de les séparer pour la sélection de photos. Le noir et blanc donne des sentiments radicaux. La couleur vous plongera dans des émotions tellement variées.
Les mélanger me semblerait être un voyage en montagnes russes, trop d'infos contradictoires, trop d'éléments dissemblables qui ne se répondent plus.
Personnellement sur un projet ou un événement, je commence par l'un des deux, généralement la couleur. Puis j'ai une deuxième phase d'édition avec un ensemble très large de photos, y compris certaines rejetées en couleur. Je les passe toutes en noir et blanc avec un pré-réglage et je recommence l'édition en noir et blanc. La sélection est très souvent différente, et ne partage pas les mêmes émotions ou informations.
Ma sélection finale sera parfois en noir et blanc, parfois en couleur, parfois les deux. Mais le travail d'édition je le réalise dans l'une puis l'autre.
Même salle, deux ambiances
Même photo, pas la même photo
Refusez de choisir deux photos similaires
Trop souvent sur des séries ou des événements j'ai tendances à choisir des photos qui se ressemblent dans les premières étapes. Tout simplement sur un moment précis magnifique ou un cadrage que l'on voit fonctionner on le répète pour essaye de l'améliorer. La photographie numérique nous permet cette recherche et ce perfectionnement, j'en profite souvent.
Mais au moment de la sélection finale, je refuse d'avoir deux photos similaires ou proches dans l'intention, l'idée ou l'information que les photos transmettent.
C'est parfois dur, parce que j'aime franchement plusieurs photos dans ces moments-là. Mais je me l'impose pour surtout éviter la monotonie qui peut venir si vite sur une série de photo. Et puis les rejetées à ce moment là, elles vont garnir mon dossier d'outsiders. Avec un peu de temps, elles referont peut être surface et gagneront le droit d'être publiées.
9 techniques de composition en photographie de rue
Je voudrais vous dire qu'il n'y a pas de règles en composition, mais que l'on peut tout de même trouver quelques méthodes ou techniques qui fonctionnent bien et régulièrement. Ce ne sont pas des règles, mais des outils.
Votre objectif en photographie de rue doit être de constituer un "arsenal" de compositions avec lesquelles vous êtes à l'aise parce que vous les avez répétées des dizaines et des dizaines de fois. Vous pourrez ainsi les utiliser dans toutes les situations qui se présentent à vous en photographie.
Voici 9 techniques de composition en photographie de rue que je pratique régulièrement, toutes illustrées à New York ces derniers mois :
Cherchez les reflets
Quand il pleut à New York je sais que je vais trouver des reflets partout. Et si la drache est forte, j'ai des parapluies à disposition à toutes les sorties de métro pour 5$. La pluie est une bénédiction :)
Fonctionne aussi avec les miroirs, devantures en verre, tout ce que vous pouvez trouver vraiment.
Photo Genaro Bardy - New York, Nov 2019
Photo Genaro Bardy - New York, Nov 2019
Approchez vous autant que possible
Plus vous serez proche de votre sujet, plus la connexion et l'empathie par celui qui verra votre photo sera forte.
Si vous avez peur d'y aller, dites-vous que c'est tout à fait normal. Un photographe de rue compose avec cette peur, on s'y habitue mais elle ne part jamais vraiment.
Et si vous avez besoin de mes petits trucs pour vous approcher, c'est par ici.
Photo Genaro Bardy - New Yorkers, Nov 2019
Photo Genaro Bardy - La Ville Miraculeuse New York, 2018
Isolez votre sujet
Il peut parfois être difficile de n'avoir qu'un seul personnage sur sa photo dans une grande ville. Trouvez un cadre intéressant ou graphique et attendez qu'une seule personne passe dans votre cadre.
J'aurais pu aussi vous proposer l'exact inverse : attendez qu'il y ait plus de monde ;)
Photo Genaro Bardy - New York, Dec 2018
Photo Genaro Bardy - New York, Dec 2018
Changez de perspective
Mettez vous au sol et passez en "dogview". Levez votre appareil au dessus de votre tête à bout de bras. Inclinez votre appareil. Plongée, contre-plongée... Ne vous limitez pas aux photos droites et à hauteur d'yeux.
Photo Genaro Bardy - New Yorkers, Nov 2018
Photo Genaro Bardy - New Yorkers, Nov 2019
Photo Genaro Bardy - New York, Nov 2019
Proposez des portraits
La photographie de rue devrait être absolument naturelle, "non posée" ? Quel est l'imbécile qui a sorti ça ? Frick the rules. Pardon mais zut et flute.
Demandez des portraits à ceux que vous rencontrez et pratiquez dans des conditions difficiles. Demandez-vous comment améliorer vos cadrages, comment obtenir de meilleurs arrière-plans, comment vous servir de la lumière naturelle, comment être fidèle à la personne devant vous ?
Photo Genaro Bardy - New York, Nov 2016
Photo Genaro Bardy - New Yorkers, Sept 2018
Cherchez les contrastes
La photographie est littéralement de la "peinture avec la lumière". Si la lumière vous semble trop faible, c'est parfois bon signe. Cherchez des contrastes forts, ils sont toujours agréables à l'oeil.
Photo Genaro Bardy - New York, Nov 2019
Photo Genaro Bardy - New York, Nov 2019
Photo Genaro Bardy - New York, Nov 2019
Identifiez des lignes directrices
Les lignes vont guider le regard dans votre photo. Et les flèches seront suivies instinctivement.
Photo Genaro Bardy - New York, Avr 2019
Photo Genaro Bardy - New York, Nov 2019
Photo Genaro Bardy - New York, Nov 2019
Juxtaposez plusieurs cadres
Cherchez des "cadres dans le cadre", qui seraient délimités par des fenêtres, des portes, ou toute forme géométrique. Puis superposez plusieurs cadres dans une même photo.
Photo Genaro Bardy - New Yorkers, Nov 2019
Photo Genaro Bardy - New York, Nov 2018
A-MU-SEZ VOUS !
La première règle en photographie de rue est qu'il n'y a pas de règles. La composition est d'abord un instinct, avec une seule constante : utilisez l'intégralité de votre cadre. Ne vous limitez pas au centre de votre appareil, c'est finalement la seule règle que l'on devrait apprendre. Au delà de ce principe, la ville est un terrain de jeu. Amusez-vous !
Photo Genaro Bardy - New York, Nov 2019
Photo Genaro Bardy - New York, Nov 2019
Photo Genaro Bardy - New York, Nov 2019
Photo Genaro Bardy - New York, Nov 2019
Commencez par ce qui vous intéresse
Si vous débutez en photographie de rue, il est légitime de se demander :
"Qu'est-ce que je vais bien pouvoir photographier ?"
Je vous propose de commencer par sortir de chez vous et d'aller dans le premier lieu public qui vous vient à l'esprit. Peut-être est-ce la gare qui vous emmène au travail, le parc où vous promenez votre enfant, votre chien ou les deux, un centre commercial où vous avez besoin de faire une course. Ce que je vous propose est d'intégrer la photographie de rue dans votre vie quotidienne.
Simplement prenez votre appareil photo et donnez-vous 15 minutes, pourquoi pas 30 minutes, et commencez à photographier TOUT ce qui vous intéresse. Un visage que vous trouvez intrigant, des mains qui se tiennent, de l'architecture nouvelle ou en construction, un détail au sol. Photographiez des publicités, des lettres, des mots, des signes, des formes géométriques. Et commencez à parler avec des inconnus. Posez leur des questions étonnantes ("qu'est-ce qui vous rend fier ?") ou toutes simples, engagez la conversation et faites des portraits. Prenez les emails et envoyez les photos.
N'ayez pas peur de déclencher, la photographie numérique permet le luxe de chercher constamment, prenez ce cadeau et faites en des photos anodines, infantiles, amusantes ou terrifiantes. Vous êtes seuls avec ces photos et rien ne vous oblige à les partager ou à penser absolument à être un artiste qui connait toute l'histoire de la photographie. La photographie est simple, c'est ce qui vous plait et ce à quoi vous avez accès.
Ne cherchez pas à savoir si ce que vous faites est "de la photographie de rue" stricto sensu, ne répondez pas à des critères ou des définitions. La photographie de rue n'a aucune règle si vous le décidez.
Un seul conseil : prenez des chaussures confortables. Il se pourrait bien que vous ayez envie de recommencer.
Photo Genaro Bardy - Itaparica, Dezembro 2019
Photo Genaro Bardy - Pituba, Dezembro 2019
Photo Genaro Bardy - Lisboa, Novembro 2019
Livre : On Street Photography and the Poetic Image - Alex Webb and Rebecca Norris Webb
Lorsque que j'ai décidé d'emménager ici à Salvador (de Bahia, la ville au Brésil, pas le pays), j'ai à peu près tout laissé derrière moi. Non pas que j'ai accumulé beaucoup avec les années, ce n'est pas la première fois que ça m'arrive, mais j'ai surtout laissé à mes anciens voisins ou quelques amis un grand nombre de livres photo. Je recommence donc ma bibliothèque ici, avec 2 à 3 mois de délai de livraison pour Amazon, ce qui a eu pour conséquence que dans mon impatience j'ai commandé 2 fois le même livre, celui dont je veux vous parler aujourd'hui : "On Street Photography and the Poetic Image" d'Alex Webb et Rebecca Norris Webb.
J'ai pour intention de commenter les livres ayant trait à la photographie de rue sur ce blog. Pas les meilleurs, pas tous, simplement ceux que je possède, en essayant de vous expliquer pourquoi je les trouve importants. J'essaierai de sortir ici quelques leçons que ces livres m'ont permis de retenir sur la photographie et comment ils m'ont permis (j'espère) de devenir un meilleur photographe. J'espère que cela vous sera utile. Si ça devait être le cas, s'il vous plait procurez-vous le livre en question, autant pour vous que pour le photographe.
Photo by Alex Webb
Photo by Rebecca Norris Webb
The Workshop Series
On Street Photography and the Poetic Image d'Alex Webb et Rebecca Norris Webb est édité par la fondation Aperture et n'a pas été traduit en français à ma connaissance, ce que j'écrirai ici sera donc traduit par mes soins, je vous prie par avance d'excuser les imperfections éventuelles.
Ce livre appartient à la collection "Workshop" de la fondation aperture, mais ne vous attendez pas à un atelier pratique avec des éléments techniques ou des méthodes de prise de vues, ce livre est plutôt constitué d'une série de commentaires se référant à une photo ou un moment crucial dans leur vie de photographes. L'ensemble relève plutôt d'une philosophie de la photographie, d'un rapport au monde illustré par certaines des plus belles photographies qu'il m'ait été donné de voir. Avec ce livre, attendez-vous plutôt à rentrer dans la tête des auteurs, à partager leurs réflexions et ce qui les fait avancer. Clairement si vous débutez en photographie vous risquez de ne pas comprendre pourquoi cette collection s'appelle "Workshop". Mais si vous êtes un peu plus à l'aise avec votre photographie, vous aurez accès à quelques recettes magiques qui seront autant des guides pour vos prochaines photos que des inspirations à devenir chaque jour un peu meilleur.
Alex Webb et son épouse Rebecca Norris Webb travaillent ensemble depuis leur rencontre, ce livre distingue très bien leurs deux approches à la fois très différentes et complémentaires. Aux explorations d'Alex, répond la vision poétique de Rebecca.
Je n'ai pas de mots assez forts pour décrire le plaisir intense que me procurent les photographies d'Alex Webb, elles sont si parfaites que je peux les observer et les analyser sans arrêt, je reprends ce livre avec joie régulièrement. Pour ce qui est du travail de Rebecca, je me sens plus proche de sa douceur, de ce je ne sais quoi qu'elle sait voir et provoquer. Ses photos sont plus intimes, elles vont gratter quelque chose au coeur qui laisse une forme de nostalgie quand le livre est reposé. Alex et Rebecca utilisent également d'autres photographies que les leurs, toujours pour illustrer le propos du chapitre ou de la leçon qui fait rarement plus de deux pages.
Photo by Alex Webb
Photo by Rebecca Norris Webb
L'aveugle et le bus
Denis Johnson, le poète et romancier, décrivait un jour son procédé en poésie à Alex Webb. Il vivait dans le désert à la périphérie de Phoenix, et chaque jour un homme aveugle, avançant en tapant avec sa canne, arrivait jusqu'à la station de bus. Quand un bus arrivait, il ne demandait jamais au chauffeur la destination. Il montait simplement dans le premier bus qui arrivait. Pour lui, c'est ça la Poésie.
C'est ce qui rassemble les travaux d'Alex Webb et de Rebecca Norris Webb en photographie. La création d'un livre est un procédé artistique, un parcours créatif qui est intuitif plutôt que rationnel, spontané plutôt que préconçu. Le monde est le collaborateur du photographe dans ce double voyage, le voyage intérieur et personnel et le voyage vers les autres plein d'exotisme.
Cela me rassure pour mon prochain livre
Je réfléchis actuellement à la création de mon prochain livre et ces mots m'aident tellement à prendre confiance. Je voudrais que le prochain livre soit parfaitement préparé mais c'est certainement impossible. J'aimerais qu'il soit lu par le plus grand nombre pour que la photographie continue à être ma vie professionnelle, mais je comprends aussi qu'il doit avant tout être vrai, intime, personnel.
Je voudrais écrire un livre qui soit autant un voyage en photographie qu'un roman, avec les histoires que je voudrais laisser sur papier avant que elles ne s'oublient. Et bien soit, je vais le fabriquer ce livre.
Finalement, nous savons que si vous croyez en votre photographie, cela finira par vous emmener où vous avez besoin d'aller - quelque soit le bus dans lequel vous montez.
Alex Webb
Photo by Alex Webb
La première photographie
Quand je photographie les gens dans la rue - que ce soit à Londres, Istanbul, Madrid, La Havane, Oxaca, Séoul, ou New York, où je vis - la première fois que je déclenche mon appareil c'est comme si je posais une question : Est-ce que je peux prendre une photo ?
Et la deuxième fois : Puis-je prendre une autre photo ? Et ensuite une autre...
Alex Webb
La photographie de rue est une méditation
Ce petit texte est pour moi autant un Haiku qu'un Mantra. Il me rappelle que chaque photographie est un doute, une question que je me pose sur ce que je vois. Il me renvoie également à l'état de concentration, de méditation presque, dans lequel je me trouve en photographie de rue. Après quelques temps je suis entièrement concentré vers l'extérieur, vers la lumière, vers ce que je vais trouver de curieux, de beau, de graphique. Et puis après chaque photo, je passe à la suivante sans savoir si la précédente était digne d'intérêt.
Photo by Alex Webb
L'oeil du photographe
J'étais à l'origine une poète, mais mon écriture m'abandonna après l'université. En regardant en arrière, je pense que le genre de poésie lyrique que j'écrivais alors ne contenait pas assez du monde extérieur - ni de ma curiosité à son égard. Ma réponse à la page blanche a été d'acheter un petit appareil photo et de voyager pendant un an, en espérant que mes photographies seraient l'étincelle de ma poésie quand je retournerais chez moi. À la place, je suis tombé amoureuse de la photographie. J'ai réalisé que l'oeil qui se dirigeait vers ces images dans ma poésie était le même oeil qui regardait à travers l'objectif.
Je pense que Wright Morris, l'auteur et photographe du Nebraska l'a parfaitement dit : "Je ne laisse pas tomber l'oeil du photographe quand je pose l'appareil photo"
Rebecca Norris Webb
La poésie est partout autour de moi
La photographie ne s'arrête jamais. C'est une des merveilles de cette pratique, quand vous posez l'appareil photo vous continuez à voir. Je me surprends depuis que je suis photographe à observer autour de moi ce qui aurait pu paraître complètement anodin, anecdotique, sans aucun intérêt. Un paysage par la fenêtre qui défile depuis une voiture ou un train, une réflexion du soleil dans les vagues, plein de petits détails que je n'avais jamais regardé. Je redécouvre des lieux que je croyais connaître, que je les prenne en photo ou non. Cet oeil du photographe est empli d'une poésie qui me réjouit indéfiniment, elle me procure un plaisir insoupçonné. Je ne pourrai plus jamais m'en séparer.
Photo by Rebecca Norris Webb
Chercher des photographies
Bien que mes photos soient souvent décrites comme complexes, mon procédé en photographie de rue est assez simple. Je ressens, je 'renifle' presque la possibilité d'une photographie. J'essaie de suivre le rythme des rues, parfois en marchant dans des situations, parfois en attendant. Tout dépend de ce que le monde me donne en ce jour particulier.
Cette manière de travailler me rappelle ce qu'un de mes professeurs, Charles Harbutt, écrivait : "Je ne prends pas des photos, ce sont elles qui me prennent... Je ne peux rien faire à part avoir de la pellicule dans mon appareil et être attentif"
Alex Webb
Les photos sont un appel
Rien ne peut mieux décrire le procédé de photographie de rue. C'est une envie qui n'a pas d'objet, on attend ou on avance, puis apparait un instant. Ce moment est kinesthésique, charnel, il a une odeur, un bruit, un goût presque. On pressent que la photo va arriver et puis clic. Un pas de côté, est-ce que c'est mieux ici ? Clic.
Je n'ai qu'à être là, dehors, et à explorer. Les photos apparaitront si je travaille assez.
Photo by Alex Webb
Prenez parti
Dans sa plus simple expression, l'art d'un photographe n'est rien de plus que son regard particulier. Mon regard a tendance à relever du rêve et à être d'une certaine manière de travers, comme si je regardais le monde du coin de l'oeil.
Peut-être parce que j'étais extrêmement timide étant enfant, volant des coup d'oeil de côté, perdue dans mes rêveries. Peut-être que la faute revient à mes lectures, trop de poésie. Quelque soit la cause, j'essaie de suivre les directives d'Emily Dickinson, une de mes poètes favorites :
"Dites toute la vérité, mais prenez parti".
Rebecca Norris Webb
Regarder le monde de travers
J'ai parfois eu tendance à chercher systématiquement une composition parfaite, que tout soit droit, précis et clair. Mais la photographie est une petite musique, une petite histoire personnelle que l'on raconte mieux en se penchant, en cherchant des mélanges ou des reflets incompréhensibles. Parfois la lumière est faible ou insuffisante, ça n'enlève rien à la beauté de ce qui m'entoure.
Je crois qu'il est nécessaire d'expérimenter, de laisser son coeur parler sans chercher à rationaliser, et de regarder le monde de travers. La poésie graphique est une sorte de lâcher-prise, de laisser-aller. Je sais ce que je trouve beau, je dois parfois oublier les règles, les conventions, ou même m'oublier moi-même.
Photo by Rebecca Norris Webb / Blackbirds.
La couleur c'est l'émotion
Comme beaucoup de photographe de ma génération, j'ai commencé à travailler uniquement en noir et blanc, influencé par des photographes de rue comme Henri Cartier-Bresson, André Kertész, Robert Franck, et Lee Friandler. En fait, comme jeune photographe dans les années 70, je regardais la couleur avec mépris, pensant qu'elle ne pourrait qu'être commerciale, loin de la photographie avec un coeur et une âme.
Cependant, au milieu des années 70, j'ai commencé à photographier en Haiti et en Jamaïque, ainsi que le long de la frontière US-Mexique-, j'ai alors réalisé que quelque chose manquait - ce sentiment de lumière brûlante et de couleurs intenses de ces mondes. À cause des endroits où j'avais choisi de photographier - des endroits où la couleur semble être une partie intégrante de la culture et où la vie est souvent vécue penchée et dans la rue - j'ai découvert une manière de travailler avec des couleurs vibrantes, saturées.
J'ai commencé à réaliser que travailler en couleur n'est pas seulement à propos de la couleur. La couleur est émotion. Si le noir et blanc vient du coeur ou de la tête, "la couleur vient du ventre" comme le disait le photographe Belge Harry Gruyaert.
Alex Webb
Couleurs sensuelles
Mes premières années en photographie étaient exclusivement en noir et blanc. J'étais persuadé à l'époque que c'était la seule manière de voir le monde en photo. Je crois maintenant que c'était surtout de l'ignorance et un manque de culture en photo. J'ai développé un travail en couleur quand j'ai souhaité passer professionnel, pour donner plus de cordes à mon arc et pouvoir répondre à plus de demandes.
Maintenant que je vis à Salvador de Bahia, je ne pourrais pas imaginer cette ville sans une couleur que je trouve sensuelle, qui me prend à la gorge. Je travaille actuellement sur un projet qui ferait un lien entre les villes coloniales de Salvador et de Carthagène des Indes en Colombie. Son titre : "My soul so cool by the bath of light". Ce bain de lumière, je crois bien que c'est la couleur.
Photo by Alex Webb
Ce que j'ai appris en photographiant comme Bruce Gilden
Depuis que j'ai découvert la photographie de rue, les photos de Bruce Gilden génèrent chez moi une fascination, elles m'obsèdent. Le seul autre photographe qui me donne ce genre de sentiment est Alex Webb, qui fera l'objet d'un autre article sur ce format.
Bruce Gilden est connu pour utiliser une méthode de prise de vues radicale, qui crée la polémique dans les commentaires sur tout ce qu'il produit : le flash à très courte distance de ses sujets, la plupart du temps sans demander la permission.
J'ai voulu pratiquer cette technique de prise de vues pour deux raisons :
on ne peut pas vraiment s'approcher plus près des sujets en photo de rue, c'est pour moi l'étape ultime de la démarche.
je voulais repousser mes limites personnelles, voir de quoi j'étais capable. Je me suis lancé ça comme un défi, une performance. Je ne savais pas à quel point j'allais apprécier le résultat.
Ce que j'ai appris en photographiant comme Bruce Gilden :
Les gens sont le plus souvent sympathiques avec un photographe
Cet homme pourrait avoir un regard qui parait sombre en fronçant les sourcils. C'est qu'il est bien curieux de voir débouler un gaillard le flash à la main pour se coller dans votre nez. Mais le moment l'a amusé, il était joyeux à à finit notre petit moment ensemble en nous bénissant. Je n'ai pas su s'il était pasteur étant parti un peu vite, mais ce monsieur représente bien mon sentiment général en photographie de rue.
Les gens que je croise sont pour une grande majorité sympathiques si vous photographiez avec le sourire et transmettez de la joie de vivre. Oui le flash à un mètre génère plus de réactions méprisantes voire agressives, mais dans l'ensemble elles restent des cas particuliers qui sont juste mis en valeur par la méthode. Ces réactions négatives ne dépassent pas 10% avec la méthode de prise de vues la plus agressive en apparence. [Faith in humanity restored]
Parisiens, 2019
Le flash résout beaucoup de problèmes techniques
Vitesse fixe à 1/160e de secondes ou au 1/200e, ouverture à F8.0 pour avoir une bonne profondeur de champ, le flash qui fige le(s) sujets. Quelques soient les conditions de lumière je peux travailler et me concentrer sur l'interaction avec les personnes que je rencontre. L'interaction est inévitable et je préfère largement être dans ces conditions et me concentrer sur la photo puis sur l'explication éventuelle de la démarche si la personne s'arrête.
Mon taux de photos "gardées" n'est pas meilleur, mais quand j'en ai une qui est forte elle me marque plus durablement. Le flash a une certaine tendance à rendre tout plus beau, mais surtout il me fait oublier les réglages de mon appareil, ou me permet de ne pas penser au sens de la lumière.
C'est extrêmement appréciable de se concentrer uniquement sur ce qui vous entoure et de rechercher le bon sujet/cadrage.
Parisiens, 2019
Impossible d'anticiper une photo
C'est peut être parce que je débute dans cette pratique, mais il m'est apparut difficile d'anticiper une photo, de savoir avant quel type de photo j'allais obtenir.
Il m'est aussi devenu impossible de savoir si j'allais être vu avant ou au moment du déclenchement, ou quel allait être le type de réaction qui serait capturé. C'est de la pure chasse, on ne peut pas composer avant de s'approcher.
C'est très nouveau pour moi et particulièrement excitant, ce doit être dû probablement à une bonne montée d'adrénaline.
Bahianos, 2019
Demander la permission marche toujours aussi bien
C'est la base en photo de rue, si vous avez peur d'y aller demandez la permission. Cela vous habituera à aller au contact, vous pourrez capter des moments naturels autour du portrait que vous aurez demandé, et enfin vous constaterez que la plupart des gens sont charmants.
Je vais pas vous mentir je ne faisais pas le fier la première fois que j'ai tenté l'expérience sur la plage de Barra, coin qui peut être réputé assez chaud à Salvador. Du coup je me suis raccroché aux bases, j'ai systématiquement demandé la permission avant de shooter. Alors oui, j'ai fait du portrait avant tout, mais je crois aussi avoir attrapé quelques beaux moments. Et puis ça m'a détendu et j'ai fini par déclencher sans demander sur la fin.
Bahianos, 2019
Se baisser au sol est utile, et difficile à maitriser
Observer Bruce Gilden travailler est maintenant facile, si vous n'avez pas peur de l'anglais : https://www.youtube.com/watch?v=ejlIgyYhlJ8
Avant de commencer cette technique du flash à un mètre je ne voyais pas bien l'intérêt de chercher à me mettre au sol. En essayant c'est apparu comme une évidence, ça permet de composer en remplissant le cadre plus facilement. Et ça donne un sentiment exacerbé en rendant le sujet "dominant" avec la contre-plongée.
Du point de vue de la réaction du sujet, si vous ne demandez pas la permission ça permet d'être vu plus souvent comme une curiosité plutôt qu'une menace.
Si j'avais un conseil, je vous dirais de faire attention à ne pas viser trop haut. La séquence passe tellement vite que l'on a vite fait d'avoir 2/3 de ciel sur sa photo, ce qui est rarement efficace sur le résultat.
New Yorkers, 2019
Continuer à arpenter les mêmes rues
Le taux de réussite est traditionnellement très bas en photographie de rue, je l'ai trouvé encore plus faible avec cette technique. Probablement qu'avec une pratique plus régulière j'arriverais à m'en sortir un peu mieux, mais combien de clichés ratés pour une photo potable ? Pfffffiiiu il faut être persévérant.
Puis àpartir d'une certaine heure, quand les conditions de lumières commencent à être faibles, les contrastes avec le flash deviennent extrêmes. C'est un style mais pas celui que je recherchais, ça m'a laissé peu de temps pour travailler.
Ainsi si je veux avoir une série de photo intéressante, il m'a semblé encore plus important de revenir encore et encore au même endroit. D'ailleurs Bruce Gilden est connu pour avoir écumé New York quasi exclusivement sur la 5ème Avenue, pour des raisons de lumière et de population rencontrée, mais je crois que c'est aussi nécessaire à cette pratique.
New Yorkers, 2019
Le résultat est radicalement différent
Avec le flash à un mètre, sans demander la permission, j'ai trouvé les photos fortes, intenses, radicales. Les prises de vues m'ont pris aux tripes comme jamais et je trouve que cela se ressent dans les photos. Peut-être que je me projette trop dans ces photos, c'est une technique nouvelle pour moi. Mais j'ai le sentiment d'être aller explorer quelque chose de nouveau chez moi et chez les personnes que j'ai croisées est bien ancré, là, et j'ai très envie d'y retourner le plus tôt possible.
Découvrir sa personnalité
Avec cette technique, le choix des sujets devient crucial. J'ai très vite compris que je ne pouvais pas photographier tout le monde que je croise (duh), le choix des sujets devient forcément personnel.
Je dois reconnaitre avoir été un peux vexé quand on m'a dit que je ne photographiait "que les vieux" avec mes premières photos sur Twitter. Je n'ai pas été jusqu'à penser qu'on allait saluer la démarche, je sais ce que ce genre de photos génèrent comme commentaires, mais je ne pensais pas être tellement accroché sur la méthode.
Bruce Gilden se décrit comme un "bulldog" dans les rues de New York, sa démarche est radicale et sa manière d'être également. Il peut paraître choquant de l'entendre dire "Je ne savais pas que la rue vous appartenait" à un passant pas content d'être flashé au milieu d'un trottoir. J'ai trouvé ça drôle, au delà du fait que c'est très vrai (la rue ne nous appartient pas).
Et je me suis surpris à défendre des clichés que je voulais garder, à refuser de les effacer alors que je le conseillerai toujours quand j'enseigne. C'est que je dois être moi aussi un bulldog.
Connaître son droit
La méthode est extrême, mais elle reste autorisée. De l'importance de bien connaître son droit, sur Twitter comme dans la rue.
Voici le texte de loi évoqué dans cette conversation : https://www.service-public.fr/particuliers/vosdroits/F32103
Et la réponse que je lui ai opposé : http://thomas-benezeth.fr/blog/le-droit-a-limage-en-photo-de-rue/
Je vais continuer
En conclusion je dirai que j'ai adoré cette pratique. Autant pour les photos qui en sont sorties que pour ce que ça m'a permit d'apprendre sur les autres et sur moi. Je crois que la photographie de rue est avant tout une expérience sociologique, tournée vers les autres et sur nos modes de vie. Cette pratique de la photo de rue en révèle des aspects que je ne soupçonnais pas. Et je n'ai qu'une seule hâte, y retourner.
9 techniques pour s'approcher en photo de rue
S'approcher en photographie de rue est à la fois un des meilleurs moyens de progresser en composition et ce qui pose le plus de problèmes pour tous les photographes que je rencontre.
Rendons à Capa la phrase qu'il a laissé à la photographie :
Si vos photos ne sont pas assez bonnes,
c’est parce que vous n’êtes pas assez près.
Robert Capa
Je vois deux principales raisons qui permettent de dire que vos compositions seront meilleures en vous approchant :
S'approcher permet de remplir son cadre. Il est essentiel de considérer l'intégralité de votre cadre, jusque dans ses coins. Et s'approcher est une méthode qui aura un impact différent du zoom. Je crois d'ailleurs que le zoom est un frein à la photographie de rue parce qu'il est plus menaçant, mais rien n'empêche de pratiquer avec un zoom.
La proximité crée une émotion plus grande avec le sujet, permet plus d'empathie. Je parle bien sûr pour celui qui regarde votre photo.
Enfin si vous débutez en photographie de rue, je ne vous conseillerai jamais de vous limiter à une seule pratique. Si vous refusez envers et contre tout de vous approcher vous vous privez purement et simplement de la majeure partie des photos que vous pourriez réaliser. Comment savoir quel le style qui vous correspond le mieux, si vous n'en essayez pas au moins quelques-uns ?
Mon idée ici ne sera pas de vous permettre de travailler sur vos peurs, sur ce qui vous permet probablement de justifier de ne pas vous approcher des inconnus dans la rue. Ces peurs nous les avons tous. Je me souviens comme si c'était hier de la frousse monumentale qui me saisit lors de ma première sortie photo, alors que j'étais en train de demander de faire le portrait d'un inconnu. Encore aujourd'hui quand j'essaye de nouvelles pratiques plus extrêmes, cette peur revient, c'est bien naturel.
Mon propos sera de vous donnez quelques clés pour surmonter ces peurs et commencer à vous approcher sans créer de conflit avec les personnes que vous rencontrez.
Voici 9 techniques pour s'approcher en photo de rue :
Demandez la permission
C'est la première étape en photo de rue, commencez par allez vers les autres et demandez la permission. Cela vous permettra de voir que la plupart des gens sont charmants, et vous pourrez toujours obtenir des attitudes naturelles en poursuivant la conversation tout en continuant à déclencher.
Donnez l'impression de viser ailleurs
Quand vous serez repéré en photographie de rue, parce que vous serez repéré à un moment ou un autre si vous vous approchez :), la plupart du temps les personnes croisées regarderont dans la direction de votre objectif.
Si vous ne placez pas votre sujet au centre de votre photo, et que vous continuez à regardez droit devant vous après avoir déclenché, quasiment à chaque fois votre sujet ne croira pas être pris en photo.
Cela fonctionne bien entendu beaucoup mieux avec un grand angle.
Trouvez un cadre et attendez
Placez-vous à un endroit où les passants sont obligés de vous approcher, anticipez la vitesse de vos sujets et déclenchez au bon moment.
Ayez l'air d'un touriste
Si vous aimez les vestes à poches et les gros zooms, il est probable que vous soyez repéré rapidement. Disclaimer : j'adore ma veste à 27 poches mais je la place sous ma veste quand je m'en sers.
Je n'ai aucun problème à avoir l'air d'un gros touriste, au contraire. C'est nettement moins menaçant. Il est fréquent d'avoir envie de sortir avec deux boitiers, deux zooms et tout l'équipement dans un sac, mais au delà de la fatigue c'est beaucoup plus intimidant pour les personnes que vous rencontrerez et ça génèrera des réactions beaucoup plus agressives.
De la même manière je ne cache pas mon appareil, il est en évidence autour de mon cou et si l'on me pose la question je dis que je suis photographe et j'engage la conversation. Rien de pire qu'un sniper qui part en baissant les yeux.
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Pour chasser en photographie de rue, tournez autour de votre sujet en essayant de ne pas être repéré. Si vous êtes remarqué, expliquez votre démarche, dites que vous êtes photographe, puis demandez si vous pouvez réaliser un portrait.
Ne regardez pas dans les yeux
C'est parfois le bruit du déclenchement qui va vous trahir. Regardez plus loin que votre sujet, sans accrocher son regard, comme si vous visiez quelque chose derrière lui. Si l'on vous pose la question, recommencez ce qui doit être une habitude : expliquez votre démarche, dites que vous pratiquez la photo de rue, montrez vos photos, proposez de les envoyer. Puis demandez un portrait :)
Ayez l'air de filmer
C'est une technique redoutable alors que le procédé relève exactement du même principe. Passez votre appareil en 'live view' et donnez l'impression de filmer une vidéo, on ne fera généralement pas attention à vous.
Faites réagir
Les réactions au photographe en photo de rue peuvent être très intéressantes. Parlez, brisez la glace, soyez présent dans votre photographie. C'est le moment de sortir votre meilleure blague ou vos plus beaux compliments.
Continuez à photographier
La photo de rue ne s'arrête pas au premier déclenchement, travaillez vos scènes et continuez à chasser le meilleur cliché, même après avoir demandé un portrait.
Bonus : ce qui est petit est mignon
La discrétion en photographie de rue est essentielle. C'est pourquoi je ne me sépare jamais d'au moins un appareil, le plus petit possible. En l'occurence un Ricoh GRII qui tient littéralement dans la poche, et qui me donne encore plus l'air d'un touriste qui photographie sans conséquence.